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public et les encouragements du pouvoir le suivirent toujours. La Bataille d’Aboukir, commandée par lurat, celle des Pyramides. par Bonaparte, le Champ de bataille d’EyIm¢. qui a obtenu le prix au concours, le Soulèvement de Madrid. l’Eat›-roue de François Ier et Cllarle :-(Joint. et, sous la restauration, le grand tableau du Départ de Losi : X VIII. la Duchesse dfzlngoulénre fembarqnrmt à Pauillac, enfin la magnifique Coupole de Ste-Geneviève. tels sont les monuments de l’histoire artistique de Gros. C’est de l’année 1801 à 1826 qu’il remplit cette glorieuse carrière. Il ne saurait entrer dans un cadre aussi rétréci que celui qui nous est tracé, d’apprécier, chacun en particulier, de pareils ouvrages. Le nombre des miniatures qu’il a laissées est prodigieux ; tous ses grands portraits sont connus, plusieurs comme des morceaux du plus haut mérite, tels que ceux du général Lariboissière et de son fils, du roi Jérome, de Masséna, du graveur Galle, de Chaptal. Les sujets de ses grands tableaux appartiennent si intimement à des faits historiques d’une haute importance, qu’il serait inutile de les rappeler autrement que par leurs titres. La composition, cette partie si remarquable de l’art, mérite de fixer l’attention de ceux qui étudient les ouvrages de Gros. On la trouvera toujours poétique, mais profondément réfléchie. ’Tenant singulièrement à cette unité d’action si fortement recommandée par les grands maîtres, il répétait souvent qu’une même pensée doit présider à la composition, que son beau et naturel développement doit être l’œuvre du génie ; s tandis que le défaut de puissance engage la médiocrité à se jeter dans les accessoires et à faire plusieurs tableaux sur une même toile. Ce fut, du reste, le principe qui guide tous les maîtres, soit théoriques, soit pratiques : Vasari, Winckelmann, llengs, ~comme Michel-Ange ou Raphaël, Vélasquez ou Murillo. l’invagination de Gros et la vivacité de son pinceau, hardi jusqu’à la fougue, ne l’empêchèrent pas de se conformer presque toujours à cette rigoureuse unité. Le style de cet artiste, dans ses ouvrages restreints aux plus petites proportions, comme dans ceux où il a développé tout à son aise les mouvements de son allure énergique et puissante, n’a jamais sensiblement varié depuis sa Sapjzo jusqu’à l’achèvement de la Coupole de Ste-Genevieve. Sa manière fut même tellement caractérisée que quelques critiques, ignorants de ses premiers travaux, exprimèrent des doutes sur la flexibilité de son talent ; il y répondit, comme on le sait, par le charmant tableau de Françoir Ier et Clzarler-Quint. Beaucoup de vie, d’animation, de mouvement sur les toiles, et toujours de la pensée sous la couleur ; mais cette belle couleur, que l’on a pu hardiment comparer à celle de Rubens, et qui est souvent plus harmonieuse, plus fondue que celle du peintre flamand, elle est quelquefois forte.jusqu’a la rudesse, comme le pinceau hardi jusqu’a l’exagération, courageux jusqu’à la témérité. Nous «

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croyons que le Champ de bataille d’Eylau est celui de tous les ouvrages de Gros où l’on peut le mieux étudier les défauts et les qualités supérieures de son talent. Ailleurs il a été plus égal, comme dans les Pemférér. plus gracieux, comme dans la Saplao. plus grandiose, comme dans la Coupole de Ste-Genevieve. plus fini, comme dans plusieurs de ses admirables portraits ; nulle part il ne semble s’être essayé avec plus de confiance en ce génie qui lui parlait si haut le langage sévère et audacieux de la peinture historique. Cette page immense a essuyé le genre de critiques que nous avons indiquées dans le talent de son auteur. Mais cet excès de vérité, si l’on peut s’exprimer ainsi, auquel s’est attachée la censure dans quelques détails, n’empêche pas le Champ de bataille d’Eylaa de rester, parmi les glorieux épisodes dela vie de Bonaparte, un de ceux qui ont été décrits dans le style le plus male et le plus digne de ces grands sujets de notre histoire. Ces cadavres, ces blessés, ces armes brisées, ces chevaux entassés, enfin toute cette terrible représentation des suites d’une sanglante mêlée fait frémir : on sent que l’artiste a vu les champs de bataille. Cette figure calme et noble du chef au milieu de cette scène de carnage est éminemment poétique, et elle produit une vive impression. On raconte au sujet de la Bataille tùlboalrir. faite en 1805, trois ans avant celle d’Eylau. dans l’ancienne Comédie française, où Cros transports alors son atelier et où il a exécuté tout ce qu’il a fait jusqu’à sa mort ; on raconte, disons-nous, que cette Bataille lui valut un suffrage qui le flatta d’une façon singulière par son originalité et par la naïve spontanéité de son expression. L’ambassadeur turc visitait le Salon ; en apercevant la Bataille d’AboaI : ir. il s’arrete en admiration, puis, tout à coup, fait le geste d’un homme qui va se déshabiller. On lui demande la raison de cette bizarre pantomime. « Quand « tous ces personnages seraient nus, répondit-il, « on reconnaîtrait facilement, ici des Turcs, là « des Albanais, et là des Français. » Un souvenir d’une autre nature se rattache à ce tableau. Le peintre avait *dans le principe rejeté Bonaparte sur un plan éloigné, et donné toute son attention in mettre en relief Murat comme principal personnage. Gros ne songes jamais à faire de le flatterie avec son pinceau. Cette fois il s’était encore oublié à suivre la vérité, comme dans Pesquisse de la* bataille de Nazareth ; mais les courtisans rangés autour de Potnbrageux souverain firent des observations qui ne permirent pas de conserver la première intention : le tableau devint ce qu’on le voit aujourd’hui ; Murat fut mis sur le second plan. La belle figure que l’on admire sur la gauche fut exécutée en quelques jours. Cros professa toute sa vie une grande indépendance de caractère, et l’idée qu’il s’était formée de la noblesse et de la dignité de l’art fit que l’on eut beaucoup de peine à obtenir de lui le changement sollicité, quoiqu’il fut un des hommes les plus dé