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grandes occupations artistiques. Un atelier lui fut donné par le gouvernement dans une maison du boulevard des Capucines. La faveur du premier consul, l’amitié des généraux qu’il avait connus en Italie ne lui tirent pas faute. Tous ceux qui avaient eu des relations avec lui l’aimaient pour sa loyauté et sa franchise comme ils l’admiraient pour son talent. La Sapin fut le premier ouvrage important qu’il exécuta dans cet atelier. Le public en admira la touche moelleuse et le dessin correct, ainsi que la grâce et l’expression. À la même époque, Gros fit le portrait de madame Lucien Bonaparte d’après une miniature. Le succès de ce portrait fut encore réel et mérité ; seulement on y a blâmé un peu de recherche. et surtout la rose emblématique roulée aux pieds de la figure, avec ce vers d’une louange fort exagérée, écrit sur la toile : ’

Bt rose elle a vécu ce que vivent les roses. En 1802 un concours s’ouvrit pour la Bataille de Nazareth. dont.lunot avait été le héros. ffesquisse de Gros obtint la préférence ; il en traça en peu de temps le sujet avec une hardiesse et une science de dessin qui enleva l’enthousiasme des artistes. Ce premier travail, jeté sur une toile de quinze mètres de largeur et de presque autant de hauteur. séduisit Gros lui-même, l’homme du monde le plus difficile pour son propre travail. Il était content de lui, comme il l’a redit souvent depuis. Blais pourquoi le tableau ne se fit-il pas ? On soupçonna le grand homme d’avoir craint de donner trop d’importance à un de ses aides de camp. Cependant Junot était aimé de Bonaparte, et il avait bien mérité cette honorable distinction. Mais le futur empereur voulait déjà que la France ne vtt plus que lui partout sur le premier plan. l’esquisse qui promettait une si magnifique production fut détruite, et une partie de la* vaste toile sur laquelle elle avait donné ses espérances servit à reproduire le célèbre tableau qui représente l’hôpital de Jaffa. On se rappelle de quels reproches le général en chef de l’armée d’Égypte était alors l’objet, relativement à l’abandon qu’il avait fait de ses soldats en proie au terrible fléau de la peste (voy. Nuou-tou). Voulant qu’un chefd’œuvre le présentât au public dans une position tout à fait différente, il se souvint de celui qui l’avait ’montré si brillant à Arcole, et Gros fut chargé de composer le tableau des Pesliférèa de Jq[fn. Il ne sera pas inutile de rappeler ici la loyale conduite d’un rival de gloire au sujet de ce tableau. Soit négligence, soit qu’il pensat qu’il ne fut pas nécessaire de se hater, Cros n’avait pas encore commencé son œuvre, quand.il apprend qu’unc cabale travaille*à faire donner à un autre le sujet commandé parle consul lui-même. Il s’informe ; le fait est vrai : madame Bonaparte, la mère, impatientée du retard de Gros, allait en charger Guérin. Mais dans cette occasion l’auteur i

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de Didan fut ce qu’il a été toute sa vie, excellent confrère et d’une délicatesse à toute épreuve : non-seulement il répondit qu’il croirait manquer à Gros en se chargeant d’un travail qui avait été commandé à ce peintre plus capable que qui que ce tilt de le mener à bien ; mais encore il fit en toute hâte prévenir généreusement son émule, qui prit ses mesures et n’eut pas de peine à se réhabiliter. Dès lors Gros ne mit plus de retard in s’acquitter de la tâche difficile qu’il s’était imposée. On lui donna les moyens d’établir son atelier dans le célèbre Jeu de paume de Versailles ; et là, quoique parfois horriblement souffrant de rhumatismes, il acheva dans l’espace de sept mois un chef-d’œuvre qui seul eut sutll pour l’immortaliser (1). Ce fut un beau jour pour le grand, artiste que celui où ses élèves, ses amis. de nombreux admirateurs le vinrent enlever au café des Artistes de la rue du Coq pour le Porter triomphalement au Louvre, et là couronner son tableau sous ses yeux comme le chef-d’œuvre de l’exposition. Gros ne put jamais par la suite se rappeler sans émotion ce flatteur suffrage. Et quelles poignées d’or ’jetées au talent valurent jamais, en effet, un semblable triomphe t Dans les Pestiférès de Jaffa. Gros marqua sa place parmi les plus grands peintres qu’ait vus naître la Franca. Largeur et fécondité dans la composition, profondeur de pensée, expression vraie et profondément sentie, un dessin savant, un coloris digne pour la vigueur de celui de Rubens : voilà ce qui frappa dans cet ouvrage, et ce qu’on y admire encore aujourd’hui. évidemment une nouvelle route s’ouvrait à la peinture nationale, plus complète, plus poétique que celle du grand maître a l’école duquel Gros avait puisé les leçons d’un dessin correct et le goût des formes académiques. David, utile, on peut dire nécessaire, pour déterminer la marche progressive de l’art indiquée par Vien, après la dé génération qui le précéda, avait réclamé pour les principes, tout en ayant le talent de les faire apprécier ; mais l’auteur du Sacmta et des Sabine : avait porté souvent jusqu’à la froideur sa sévérité trop systématique. L’âme et l’énergie enthousiastes de son disciple osèrent ouvrir une nouvelle voie, et, appuyées sur les règles si bien posées par le maître, y ajouter un développement et une amplitude qui signalèrent un véritable et solennel progrès. Avant d’avoir produit les Pestiférès de Jaffa. Gros pouvait reconnaître des maîtres parmi ses contemporains ; il ne dut plus trouver alors que deux ou trois émules, y compris David, et encore oserons-nous dire, fondés sur de nombreuses et imposantes autorités, qu’il prit la première place. Gros venait de mesurer l’étendue de ses forces ; il marcha des lors avec confiance et avec un succès incontesté dans la belle carrière où les applaudissements du (lt Ulnstitut, dans ses prix déccnnnux, ne p’aça l’Hôpital de Jaifn qu’uprès le tableau du Sacre. Aujourd’hui le tableau de Gros cet généralement prétére à celui de David.