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viandes défendues. Landon l’emporta sur le jeune Gros, qui n’eut que la seconde place dans l’estime des juges du concours ; mais la voix publique ne confirma pas ce jugement. Madame Gros a fait hommage de ce tableau au musée des Beaux-Arts. Il sera toujours curieux de voir le début d’un grand artiste dans la carrière qu’il a si heureusement parcourue, et la reconnaissance publique sera la juste récompense de la donatrice. Gros eut vers cette époque le triste avantage d’être désigné par l’école des Beaux-Arts pour dessiner les portraits des membres de la convention. Il flt entre autres celui de Robespierre avec une rare ressemblance. L’orage révolutionnaire grondait sur la France dans sa plus grande intensité, et Paris devint le théâtre de ces scènes de sang dont la pensée fait encore frémir. Le jeune Gros, plein d’imagination, embrassait avec ardeur les idées de réforme ; mais il ne put sans horreur être témoin des moyens employés pour arriver au but. La conduite de son maître, qu’il respectait et aimait, lui causa surtout une peine sensible ; et si la mémoire de quelques amis est encore fidèle, il manifeste une indignation très-vive, et qui pouvait avoir pour lui des suites fâcheuses, lorsqu’il vit son camarade Gérard au nombre des jurés du tribunal révolutionnaire. Ce furent toutes ces circonstances qui le décidèrent alors à quitter la France pour visiter l’Italie. David lui fit obtenir un passe-port, et il partit pour Gènes dans les premiers mois de 1795. Quel est l’artiste à qui ce nom d’Italie ne sourit pas ? À mesure que Gros marchait vers le but de ses vifs désirs, il sentait s’alléger pour lui le poids des douloureux souvenirs qu’il emportait de France. A Gènes, il trouva Girodet, qui avait quitté Rome, où il avait été envoyé comme prix. Une amitié sincère existait déjà entre les deux jeunes artistes : de nouveaux rapports vinrent cimenter une liaison qui devait durer toute leur vie. Girodet tomba malade ; Gros le soigna comme un frère, et le força d’abandonner un logement petit et incommode pour venir habiter le sien plus vaste et plus aéré. Il avait apporté de France quelque argent ; mais ce fonds s’épuisa bientôt. Forcé de tirer parti de son talent, il trouva une protection utile dans le ministre de la république française. Faypoult et dans la femme de ce ministre, qui se montra pour lui pleine d’obligeance, et le présenta à madame Bonaparte ainsi qu’à Masséna, dont il fit un portrait en miniature à l’huile d’une exécution remarquable. Parmi les ouvrages les plus connus qu’il fit alors à Gènes, on doit citer le portrait de madame de Brignolle et de ses enfants. Ce fut à cette même époque que Gros se livra presque exclusivement à la composition de portraits en miniature qu’il a laissés en si grand nombre, ainsi que de ces fixés dont plusieurs sont des chefs-d’œuvre de finesse et de couleur. Après avoir séjourné longtemps à Gènes et y avoir étudié les maîtres dont quelques riches galeries étaient et sont restées en possession, Gros se rendit à Milan, où se trouvait Bonaparte, et il fut présenté au jeune chef de l’armée française. Ce général vit des ouvrages de Gros, sut les apprécier, et avec ce tact merveilleux qui si rarement lui fit défaut, il voulut s’attacher celui qui devait un jour contribuer pour une part brillante à la gloire de son règne. Le portrait en pied du général en chef enlevant un drapeau à la bataille d’Arcole lui fut commandé ; un logement agréable, un vaste atelier furent mis à sa disposition à la Cara Serbelloni, et toutes sortes d’attentions bienveillantes ne cessèrent de l’entourer. Bonaparte se rendait souvent à son atelier pour voir où en étaient ses travaux et causer avec lui. C’est dans une de ces visites qu’il dit en parlant de Desaix, qui l’accompagnait : « Gros, vous voyez avec moi le plus grand général de la république. » La plupart des généraux français qui se trouvaient alors à Milan furent en peu de temps connus de Gros, et plusieurs devinrent ses amis. Comme il parlait parfaitement la langue italienne, il fut envoyé plusieurs fois en parlementaire. Bonaparte ayant voulu nommer une commission pour recueillir les objets d’art qui furent envoyés en France, Gros fut désigné avec Monge. Bertholet et plusieurs autres, pour en faire partie. Il lui fallut prendre un emploi que le général en chef jugea convenable de lui donner pour rendre sa position plus facile à l’état-major général. Il fut fait inspecteur aux revues et interprète attaché à l’état-major. Le premier de ces titres était purement honorifique. Comme interprète, Gros fut souvent utile, mais les arts seuls l’occupèrent sérieusement. Du reste on a beaucoup loué sa modération et ses bons procédés dans la mission qu’il reçut d’user du droit de conquête relativement aux chefs-d’œuvre de la peinture italienne. Nous ne devons pas oublier de consigner ici la reconnaissance des habitants de Pérouse qui s’est manifestée dans bien des occasions. Ils n’ont pas voulu taire que c’est à sa générosité qu’ils durent de conserver un grand nombre de ces beaux Pérugin dont ils sont si fiers, et que la commission avait ordre d’envelopper dans la spoliation universelle. Gros s’était séparé à Milan de son ami Girodet. Il suivit longtemps l’état-major général de l’armée, et ce ne fut qu’après six années de cette espèce d’exil volontaire, pendant lesquelles il avait visité les principales villes de l’Italie, excepté Naples et Venise, qu’il revint dans sa patrie en 1801. Son protecteur était devenu le maître de la France, et lui un de ses plus grands peintres. Cette Italie, si inspiratrice des beaux-arts, avait mûri pour nous un beau et précieux talent. À Paris il retrouva sa mère, qui, jouissant d’une fortune médiocre, ne pouvait faire tout ce que lui inspirait sa tendresse maternelle. Alors il eut recours à son talent, et se mit encore à faire des portraits en miniature et des fixés. mais peu de temps et seulement comme accessoires à ses