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plit cette mission de la manière la plus utile, et rapporta en France des mémoires intéressants, non-seulement sur l’objet qui avait déterminé son voyage, mais aussi sur l’état des frontières et des fortifications qu’il avait visitées. Il fut promu au grade de lieutenant-colonel en 1757, et ayant, sur la demande qui fut faite par Marie-Thérèse d’officiers d’artillerie français, passé au service d’Autriche, sous les auspices du comte de Broglie, ambassadeur du roi à Vienne, il y fut nommé général de bataille, commandant le génie, l’artillerie et les mineurs, servit en cette qualité pendant la guerre de sept ans, et obtint dans l’armée autrichienne la plus grande considération. Ce fut lui qui dirigea les opérations du siège de Glatz, et qui par ses savantes dispositions facilita la prise de cette place, clef de la Silésie. Pendant son séjour en Prusse, il avait cherché à attirer sur lui les regards de Frédéric II. Ce monarque guerrier avait adopté le système de Bélidor sur les mines. Gribeauval en avait imaginé un autre dont il maintenait la supériorité sur les globes de compression de Bélidor. Frédéric, en appelant à l’expérience, lui proposa un honorable défi, que Gribeauval ne croyait pas être aussitôt dans le cas de soutenir sur le terrain. Ce fut le siège de Schweidnitz, formé par le roi de Prusse en personne, qui le mit à même de lutter avec avantage contre son illustre adversaire. Chargé, sous le feld-maréchal comte de Guasco, de toutes les opérations relatives à la défense de cette place, le général français ne négligea rien pour prouver, de la manière la plus convaincante, qu’il avait en raison. Quatre globes de compression que Frédéric avait fait exécuter n’eurent aucun succès. Il était confondu de voir échouer toutes ses attaques souterraines : enfin cette forteresse délabrée, qui n’avait qu’une faible garnison, et dont un an auparavant les Autrichiens s’étaient emparés en deux jours de siège et quatre heures d’assaut, allait forcer le roi de Prusse à se retirer, après soixante-trois jours de tranchée ouverte, lorsqu’une grenade tomba sur un magasin à poudre ; elle occasionna une explosion telle qu’un bastion entier du fort Javernick en fut renversé. Cet événement rendant l’assaut facile, il fallut capituler. Fait prisonnier de guerre avec toute la garnison, Gribeauval fut amené à Frédéric, qui d’abord refusa de le voir, mais finit par l’admettre à sa table, en le comblent d’éloges. En 1762, l’impératrice-reine l’éleva au grade de feld-maréchal-lieutenant, et le décora de la grand’croix de l’ordre de Marie-Thérèse ; mais à la paix, rappelé en France par le duc de Choiseul, Gribeauval n’hésita pas à quitter les hautes dignités dont il était revêtu pour se consacrer au service de sa patrie. Il fut nommé, en cette même année, maréchal de camp, et bientôt après inspecteur général de l’artillerie. Il devint commandeur de l’ordre de St-Louis en 1764, lieutenant général l’année suivante ; enfin, grand’croix et premier inspecteur de l’artillerie en 1776. Ses principales occupations, depuis son retour d’Autriche, furent : 1o la rédaction de l’ordonnance de 1764, qui fixa la proportion des troupes de l’artillerie, relative à la force des armées, et en détermina l’emploi ; 2o l’établissement des écoles de cette arme sur l’excellent pied où elles ont été depuis ; 5o la formation du corps des mineurs, dont il avait le commandement particulier ; 4o le perfectionnement des manufactures d’armes, forges et fonderies ; 5o les nouvelles proportions établies dans les différents calibres des bouches à feu, qui furent considérablement allégées ; 6o de nouvelles batteries de côtes, avec des affûts de son invention pour les servir ; 7o (c’est là surtout ce dont il faut le louer) le nouvel ordre établi dans les arsenaux de construction, et la plus grande uniformité dans toutes les pièces des trains d’artillerie. Toutes les constructions furent dès lors exécutées avec une ressemblance parfaite, par des ouvriers exercés et travaillant sous la direction d’officiers consommés dans cette partie. Un habile ouvrier, nommé Blanc[1], mécanicien fort intelligent, lui fut d’un grand secours dans ses essais et pour l’exécution de ses modèles d’armes. Par les ordres de Gribeauval, d’autres personnes instruites furent chargées à Paris de la rédaction des tables de construction, et des plans des divers objets de l’artillerie, d’où résulta un système complet, susceptible sans doute d’être perfectionné, mais si bien ordonne qu’il a survécu à tous les essais tentés depuis quelques années ; enfin, il fit adopter, dans tous les points, ses projets relatifs à l’artillerie de campagne, dont il avait pris la première idée en Prusse, et qu’il avait perflectionnée pendant la guerre de sept ans. La franchise et le plus grand désintéressement distinguaient son caractère. Il savait soutenir les contrariétés, les revers, avec calme et fermeté. Il en eut besoin à l’occasion d’un procès fameux, dirigé contre lui plutôt que contre M. de Bellegarde, lieutenant-colonel d’artillerie, lequel avait agi sous la direction de son chef, mais par les ordres secrets du duc de Choiseul. Ce ministre trouvait dans la réforme de fusils, objet de l’accusation, un moyen de faire passer des armes aux insurgés de l’Amérique. Le public, ainsi que le conseil de guerre assemblé aux invalides, jugea sur les apparences et blâma la réforme ; mais Louis XVI, parvenu au trône à cette époque, fit terminer l’affaire à l’avantage de M. de Bellegarde, et Gribeauval reprit dans l’artillerie l’influence qui lui appartenait à tant de titres. Peu de temps avant sa mort il fut nommé gouverneur de l’Arsenal, par la volonté expresse du roi, et sans avoir été proposé par les ministres. Malgré son


  1. Blanc, entrepreneur de la manufacture d’armes de Roanne, mort en 1801, est l’auteur du modèle de fusil connu sous le nom de modèle 77 (c’est-à-dire 1777), encore usité aujourd’hui. On trouve une notice sur cet habile mécanicien dans le Magasin Encyclopédique, 7e année, t. 5, p. 518.