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deurs ; il continuait paisiblement ses calculs au milieu de leurs entretiens et même quelquefois en y prenant part. Professant le culte réformé. il fut toujours sincèrement attaché à sa religion ; sa conversation était enjouée, son caractère facile, son âme sensible et généreuse : on le vit toujours fidèle et scrupuleux observateur de ses devoirs. Il eut plusieurs occasions de servir son pays en bon citoyen ; il fut souvent consulté pour les opérations de finances, et employé, pendant la guerre de la succession, à déchiffrer les dépêches enlevées sur les ennemis, genre de travail pour lequel il avait un talent particulier ; il concourut plusieurs fois à perfectionner les travaux hydrauliques qui ont pour la Hollande une si haute importance. Invité en 1724 par le czar Pierre le Grand à faire partie de l’Académie royale de St-Petersbourg, à l’époque de sa fondation, et en 1740 par le roi de Prusse, pour la composition de la nouvelle Académie de Berlin, il rejeta les offres de ces deux princes pour ne point quitter sa patrie. Bien c prouve mieux la candeur et la droiture avec laquelle il cherchait la vérité que la manière dont il abandonna l’opinion de Newton sur la force des corps, pour embrasser celle de Leibnitz, quoiqu’il eût d’abord défendu la première et qu’il professât la plus grande vénération Pour son auteur, lorsqu’en faisant une expérience qu’il jugeait propre à la confirmer, il s’écria tout d’un coup en présence de son frère : Ah! c’est moi qui me suis trompé. Le premier il transporta hors de l’Angleterre, enseigna publiquement, expliqua, pratiqua, défendit la philosophie de Newton : il l’adopta comme il appartenait à un homme éminemment éclairé, à un esprit indépendant ; il en saisit les principes, les méthodes ; les principaux résultats ; mais il y joignit des vues, des expériences, des démonstrations et des observations qui lui étaient propres ; il se livra à une longue suite d’expériences dont il conçut l’idée et pour lesquelles il fit exécuter de nombreux instruments. À cette époque, plusieurs notions fondamentales étaient encore obscures ou indéterminées, et ’sGravesande, plus habile dans l’art d’observer et d’expérimenter que profond dans les spéculations transcendantales, s’est plus d’une fois embarrassé dans les questions relatives à la métaphysique de la science. Telle est, par exemple, la discussion relative à la force des corps en mouvement et au choc, discussion dans laquelle, en embrassant l’opinion de Leibnitz contre celle de Newton, il ne s’est pas formé une idée juste de la force, et en établissant avec raison que la fonction appelée force vive est composée du carré de la vitesse multipliée par la masse, il a confondu cette fonction avec la force proprement dite, à laquelle elle est entièrement hétérogène : telle est encore la discussion qu’il a engagée sur la possibilité du mouvement perpétuel, question que les progrès ultérieurs de la mécanique ont achevé de résoudre d’une manière irrévocable, en la rappelant à ses véritables termes. Mais le professeur de Leyde n’en a pas moins puissamment contribué à la grande révolution qu’éprouvèrent alors les sciences physiques, soit en donnant aux nouvelles méthodes un riche développement, soit en confirmant d’une manière éclatante les nouvelles découvertes par ses appareils, ses machines, ses infatigables travaux, et un enseignement plein de méthode et de clarté. Voltaire étant venu à Leyde, fit la connaissance de ’sGravesande, suivit ses cours, lui lut quelques chapitres de ses Éléments de la philosophie de Newton, et désira recueillir ses observations sur cet écrit avant de le publier. Le savant Hollandais admira la facilité et l’élégance avec lesquelles Voltaire avait traité des matières aussi arides, mais ne put lui prêter le secours que celui-ci avait désiré. ’sGravesande, en se livrant à l’étude et à renseignement de la philosophie, y porta la même méthode, la même netteté, la même concision, et cette simplicité lumineuse qui est le vrai langage de la science ; mais il n’y porta point la même décision dans la marche des idées : il ne sut ni faire un choix entre les doctrines de Descartes, de Leibnitz et de Locke, qui se partageaient alors la faveur des hommes instruits, ni se créer une doctrine propre et originale. Il emprunta tours tour des principes à chaque système ; il a même joint à sa logique les règles des syllogismes, d’après Aristote et la pratique des écoles. Dans son Introduction en la philosophie, il fait précéder la métaphysique par la logique, ordre qu’il ne suivait pas dans l’enseignement, mais qui serait toutefois très-raisonnable quant à la portion de la première de ces deux sciences, qui n’est que l’histoire naturelle de l’esprit humain. Il hésite sur les questions fondamentales de la génération des idées ; mais il classe ces mêmes idées avec ordre : il n’apporte aucune lumière nouvelle sur les grands sujets de la causalité, de la réalité des connaissances fontaines et de leur certitude ; mais il décrit avec sagacité les lois de l’attention, de la mémoire ; il trace d’excellentes règles sur la valeur des témoignages, sur l’emploi de l’analogie, sur les probabilités simples et composées, sur l’usage des hypothèses : il explique avec une netteté singulière l’origine de nos erreurs ; le premier, peut-être, il a fait convenablement remarquer combien la paresse de l’esprit nuit à la rectitude de ses jugements. Ses conseils sont toujours sages, ses nomenclatures exactes et lumineuses, ses définitions pleines de clarté ; son style est un modèle de style philosophique : théoricien incertain ou prudent, il donne une pratique utile et sûre. On voit qu’il avait beaucoup étudié Locke : il n’avait pas cru pouvoir adopter en entier sa philosophie, sans cependant en avoir peut-être saisi les véritables inconvénients mais il enseignait et écrivait comme un homme formé à son école. L’ouvrage de ’sGravesande, quoiqu’il n’ait pas avancé la science sur les points essentiels et difficiles,