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revers. Il était resté dans la ville de Dresde, chargé de la défendre jusqu’à ce que l’empereur vint le délivrer ; mais les désastres de Leipsick, plus grands encore que tous ceux qui les avaient précédés, mirent celui-ci hors d’état de remplir la promesse qu’il avait faite, et Gouvion ne dut plus songer qu’à tenir dans la place où il se trouvait. Il avait à peine des vivres et des munitions pour quelques jours ; et la moitié de sa faible armée était dans les hôpitaux, où tout manquait également, et où elle mourait par centaines du typhus et des privations de tous les genres. Enfin cette garnison, réduite de plus de moitié, avait tout dévoré, ses vivres, ceux des habitants, tous les animaux domestiques, même les objets les plus dégoûtants, lorsque le général autrichien Klenau, chargé de conduire le siége, consentit à une capitulation que rien ne devait faire espérer, et qui était si bien dans les intérêts de la France que les souverains alliés refusèrent de la ratifier dès qu’ils en eurent connaissance. Les troupes de la garnison, qui déjà étaient sorties de la place pour se diriger vers la patrie, où elles avaient promis de rester pendant six mois seulement sans combattre, si elles n’étaient échangées avant ce terme, furent sommées de s’arrêter. On ne leur laissa que le choix de rentrer dans la ville avec les moyens de défense qu’elles y avaient laissés, ou d’être prisonnières à discrétion. Cette alternative n’était évidemment qu’une amère dérision. Les alliés croyaient que pour eux le temps était enfin venu de se venger d’une longue oppression par d’autres abus de la force. Le maréchal protesta avec énergie contre cette violation de la loi publique, mais ce fut en vain ; toutes ses troupes furent dispersées prisonnières dans les États autrichiens. Pour lui il n’obtint d’autre faveur que celle d’aller à Carlsbad, où il put enfin donner quelques soins à sa santé. Il n’en sortit qu’après la chute de Bonaparte, et lorsque la paix générale eut rendu la liberté à tous les prisonniers de guerre. Alors Gouvion vint se présenter à Louis XVIII, qui déjà l’avait créé pair de France, et il reçut de lui la croix de St-Louis. Malgré ses répugnances pour tout ce qui tenait à l’ancien régime, il se soumit d’assez bonne grâce, et l’on doit croire qu’en cela il y eut de sa part moins d’affection pour les Bourbons que de répulsion pour Bonaparte, que certainement il n’avait jamais aimé. Quand il le vit en mars 1815 près de recouvrer sa puissance, il alla sans hésitation offrir son épée à Louis XVIII. Témoin de la faiblesse et de l’incurie qui présidaient au conseil de ce prince, il désespéra bientôt du succès ; mais décidé à faire son devoir, il accepta un commandement et se rendit à Orléans, où il arriva le 21 mars, quand déjà les troupes se disposaient à venir à Paris pour s’y ranger sous les ordres de Napoléon. Le maréchal les passe en revue, les harangue, leur fait reprendre la cocarde blanche et les maintient pendant cinq jours dans l’obéissance, au milieu des vociférations de la populace et des instigations de nombreux émissaires envoyés par Bonaparte. Enfin il est assailli jusque dans son logement ; les menaces les plus positives lui sont adressées, et il aurait infailliblement péri sans utilité pour la cause qu’il voulait servir, lorsqu’il prit le parti de se retirer à Bourges, qui faisait partie de son commandement, et où de nouveaux cris d’insurrection le forcèrent bientôt à s’éloigner encore. Il ne voulait point sortir de France ; mais il ne voulait pas non plus servir Napoléon. Cependant mandé aux Tuileries, il eut avec lui une longue conférence, dans laquelle il ne fut question que d’agriculture. Bonaparte ne lui dit pas un mot des affaires d’Orléans ni d’aucun objet politique. Alors Gouvion retourna paisiblement dans ses terres. Il ne vint à Paris qu’après la bataille de Waterloo, et il assista le 1er juillet à la réunion qui se tint dans le faubourg de la Villette. Il y proposa de profiter du faux mouvement que venait de faire Blücher sur la rive gauche de la Seine, pour obtenir sur lui un triomphe facile. Cette opinion fut combattue par d’autres généraux et surtout par le ministre de la guerre Davoust, lequel fit prévaloir les idées de cette capitulation que les alliés exécutèrent si mal, et dont la France et surtout Paris eurent tant à gémir ! Huit jours plus tard le roi était entré dans la capitale ; et, sous l’influence des étrangers victorieux, il nommait un ministère composé presque tout entier d’hommes voués à la révolution, tels que Fouché, Talleyrand, etc. Gouvion fut créé ministre de la guerre, et il reçut le portefeuille des mains du duc de Feltre, qui l’avait tenu le dernier au mois de mars, qui l’avait conservé dans l’exil, et qui le rapportait triomphant et environné de la confiance des royalistes. Le maréchal Gouvion ne se méprit point sur le but d’un pareil changement, et dès le commencement il ne parut occupé dans ce ministère de la guerre, si important à une pareille époque, que de s’opposer aux prétentions des royalistes et de favoriser celles de l’ancienne armée, d’abord par la suppression de cette antique garde ou maison de nos rois, que Louis XVIII avait tenu à rétablir, et que les sarcasmes de l’opposition étaient parvenus à rendre ridicule ; ensuite par la suspension de tout avancement, et plus tard en donnant une grande partie de cet avancement à l’ancienneté, ce qui était en même temps diminuer les prérogatives de la couronne et favoriser les officiers de la révolution ou de l’empire. Les projets de Gouvion sur les corps de vétérans et la loi de recrutement furent conçus dans le même système ; mais il ne put faire admettre le premier. L’opposition royaliste les combattit l’un et l’autre de tout son pouvoir. Ainsi le ministre Gouvion ne triompha pas toujours, et les phases de son administration eurent aussi leur décroissance. Il reçut du roi le titre de marquis et refusa celui de due : ce qui le priva de la faveur du cordon bleu que Louis XVIII