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rait pas pu citer un seul qui y eût des droits plus réels. Il le nomma toutefois colonel général des cuirassiers et grand officier de l’empire ; mais il lui óta le commandement de l’armée de Naples. Revenu en France sans se plaindre, Gouvion se contenta d’un modeste commandement sur les côtes de l’océan, où il resta jusqu’à ce que les revers des armées françaises au delà des Pyrénées, en 1809, tissent penser à lui pour y porter remède. Ce fut en Catalogue qu’on l’envoya d’abord, parce que le danger y paraissait plus pressant, et que sa longue expérience de la guerre de positions et de montagnes lui promettait dans cette contrée des succès plus faciles. Parti de Perpignan avec un corps tout entier composé d’Italiens et de recrues françaises, il s’empara d’abord de Roses, délit les Espagnols à Cardelen, à Molino-del-Rey, à Wals, etc. ; enfin Il dégagea Duhesme enfermé dans Barcelone, ce qui était le principal but de son expédition. Mais le peu de faveur dont il jouissait à la cour impériale le poursuivit encore dans ce nouvel emploi. Après quelques insinuations calomnieuses et des rapports accusateurs auprès du maître, son commandement fut donné au maréchal Augereau,

qui, sachant toutes les difficultés de cette guerre, ne se hâta pas de venir y prendre part. Tandis qu’il restait paisiblement à Perpignan, sous prétexte que sa santé ne lui permettait pas de se mettre en campagne, Gouvion, fatigué d’un commandement et d’une responsabilité qui ne devaient plus peser sur lui, quitta brusquement l’armée en notifiant ce départ à son successeur. À peine était-il parti que d’autres revers frappèrent les Français dans cette contrée. On ne manqua pas de l’en rendre responsable, et il reçut l’ordre de garder les arréts dans ses terres avec privation d’appointements. Cette disgrâce, contre laquelle il ne daigua pas même réclamer, dura deux ans, et ce ne fut qu’en 1811 que Napoléon le rappela au conseil d’État, avec remise de son traitement arriéré. Cette décision, dictée évidemment par le besoin autant que par la justice, annonçait assez à Gouvion qu’il allait être employé d’une manière active. Dès le commencement de 1812 il fut, en effet, compris sur le tableau de l’armée destinée à envahir l’empire russe. Placé d’abord sous les ordres du maréchal Oudinot, chef du sixième corps, au centre de cette ligne immense qui s’étendait de la Baltique aux bouches du Dnieper, il eut bientôt le commandement de ce corps d’armée, par suite des blessures qui en éloignèrent le maréchal ; et il obtint, par d’habiles manœuvres, sur le comte de Wittgenstein qui lui était opposé, la brillante victoire de Polotsk, qui fut suivie d’une retraite et d’une victoire plus brillante encore dans les murs de cette ville en flammes. l’infériorité du nombre, la fatigue et l’épuisement des troupes, qui eurent à traverser un incendie et un grand fleuve en présence de l’ennemi victorieux, ce mouvement exécuté avec ordre, précision, sous les yeux du chef, toutes ces circonstances, disons-nous, doivent faire considérer cet exploit comme l’un des plus remarquables de nos guerres. Gouvion avait été blessé dès le commencement ; ne pouvant pas monter à cheval, il se fit traîner au milieu des combattants, à peu près comme Charles XII à Pultawa. Renversé et foulé aux pieds des chevaux des Cosaques, qui ne le reconnurent pas, mais plus heureux et sans doute plus habile que le monarque suédois, il sauva presque tout entière sa petite armée ; et quelques jours plus tard cette armée, réunie au corps du duc de Bellune, et devenue la seule ressource de Napoléon, le sauva du danger le plus imminent, aux bords de la Bérésina (voy. Niroutoa). Pour prix de la première de ces victoires, Gouvion avait enfin reçu le bâton de maréchal. Après la seconde, sa blessure le força de s’éloigner par les progrès du mal, que le typhus vint aggraver encorel ll alla passer en France le reste de ce terrible hiver, et ne reparut à l’armée qu’au mois de mai 1815, lorsque Napoléon l’y rappela pour lui donner un commandement. Il était rendu au quartier général peu de temps avant la bataille de Lutzen, et il avait eu avec l’empereur plusieurs conférences dont il était très-satisfait, lorsque, sortant un jour d’y diner[1], il fut frappé d’apoplexie et se fit en tombant une large blessure à la tête. Le sang qui en sortit le sauva ; mais cet accident l’empêcha de servir jusqu’à la rupture des négociations de Prague. Alors Napoléon lui donna le commandement de son quatorzième corps, presque tout entier composé de recrues fournies par les conscriptions anticipées, et avec lequel il dut couvrir les villes de Dresde et de Pirna, tandis que l’empereur faisait une pointe en Silésie, pour y combattre Blücher, qui échappait toujours par la fuite au moment où il croyait le saisir. C’est alors que la grande armée des alliés, si puissamment renforcée par la réunion des Autrichiens, et conduite par les trois souverains en personne, se présenta devant Dresde et fit, sinon de grands efforts, au moins de grandes démonstrations pour s’emparer de cette importante position. Gouvion à la tête de 20 000 conscrits, appuyés sur de faibles retranchements à peine terminés, se défendit très-bien et donna à l’empereur le temps de revenir avec ses corps d’élite, pour remporter la mémorable *victoire des 26 et 27 aoùt 1815, où Moreau fut tué à côté de l’empereur Alexandre, et qui rendit pour un instant aux armes de Napoléon leur ancien éclat. Mais presque aussitôt les défaites de Culm, du Bober et de Dennevitz vinrent renverser toutes les espérances qu’avait fait naître ce triomphe passager. Le maréchal Gouvion n’eut aucune part à ces

  1. C’est dans cette circonstance qu’ayant rencontré chez l’empereur ses anciens camarades de théâtre Talma et Baptiste, il sembla ne pas les reconnaître. Indignés d’une telle fierté, ces comédiens en témoignèrent hautement leur mécontentement ; et lorsqu’ils furent de retour à Paris, ils ménagèrent peu le maréchal dans leurs propos.