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à fait inintelligible. L’histoire de Gentchiscan et de toute la dynastie des Mongoux (Paris, 1739, in-4°) est encore un ouvrage qui eût suffi a la réputation d’un autre écrivain. Le père Gaubil paraît être un des premiers missionnaires qui aient tiré parti de la connaissance du chinois pour acquérir des lumières sur l’histoire de la Tartarie et des autres pays situés aux environs de la Chine. Cette connaissance est en effet tellement indispensable que sans elle l’homme le plus instruit ne peut éviter les plus grossières erreurs en parlant de l’origine des Mongols, de celle des Turcs, des Ouïgours et des autres nations qui, après avoir pris naissance en Tartarie, se sont fait connaître en Occident par leurs conquêtes. Les chroniques persanes, les traditions mêmes des Tartares, conservées par quelques auteurs musulmans, ne sauraient, passé une certaine époque, entrer en comparaison avec les annales chinoises, qui ont toute la certitude que peut avoir une histoire écrite par des voisins et des contemporains. Le P. Gaubil a su habilement profiter des secours que lui rondissaient les écrivains chinois. l’auteur cependant était mécontent de son ouvrage, si l’on en croit le P. Amiot ; et un exemplaire imprimé que possédait ce dernier était, suivant lui, surchargé de notes et de corrections marginales. Il s’en faut beaucoup assurément que Gaubil ait extrait des annales chinoises tout ce qui avait trait à son sujet ; et avec les seuls livres que nous avons à Paris, il ne serait pas difficile de composer une histoire des Mongols dix fois plus considérable que la sienne. Mais cette dernière n’en a pas pour cela moins de mérite, et, à quelques inexactitudes près, inexactitudes qui la plupart proviennent de fautes typographiques, c’est le seul ouvrage imprimé où les personnes qui n’entendent pas le chinois puissent trouver des points de comparaison avec ce que les Persans nous ont conservé sur le même sujet. Sur le même plan que l’Histoire des Mongoux, le P. Gaubil avait composé celles de plusieurs dynasties chinoises, et il en avait envoyé les manuscrits en Europe. La seule qui se soit retrouvée jusqu’à présent est celle de la grande dynastie des Thang, dont le commencement a été inséré à la fin du 15e volume des Mémoires concernant les Chinois, sur un manuscrit qui était entre les mains de Deguignes, et dont la suite, imprimée d’après un manuscrit du Bureau des longitudes, forme la plus grande partie du tome 16e de la même collection, publié en 1814. Dans cette histoire comme dans celle des Mongoux, le texte historique est à chaque instant interrompu par des notes, dont la partie biographique des Grandes annales a le plus souvent fourni la matière, et qui forment une sorte de commentaire perpétuel, rempli de faits curieux et de détails instructifs. Gaubil donnait rarement dans l’esprit de système, et ses livres contiennent en général beaucoup de faits et peu de conjectures : on est donc surpris qu’il ait présenté comme un fait qui n’avait pas même besoin de discussion le rapprochement hypothétique et hasardé des Huns et des Hioung-nou, que Deguignes a reproduit depuis, mais en cherchant au moins à l’appuyer de réflexions propres à lui donner quelque vraisemblance. Un reproche semblable peut être fait au savant missionnaire. au sujet des Hoeï-hou, qu’il prend pour les Ouïgours, confondant ainsi une nation célèbre qui habitait la petite Boukharie, dès le second siècle avant notre ère, et un autre peuple tartare qui ne fut connu que vers le 7e siècle, et qui vivait au nord du fleuve Tooula et jusqu’auprès du lac Baïkal. Le P. Visdelou a aussi supposé démontrée cette identité, que rien de positif n’appuie, si ce n’est la ressemblance des noms[1]. À la suite de l’histoire des Thang. et d’après un manuscrit qui s’est aussi trouvé dans le Bureau des longitudes, on a imprimé le Traité de la chronologie chinoise, ouvrage complet où toutes les questions relatives à l’antiquité se trouvent discutées et résolues, quand il était possible qu’elles le fussent. Fréret, qui attachait un grand prix à l’histoire chinoise, et qui, sans avoir étudié la langue, a trouvé le moyen, à force de critique et de patience, de composer des mémoires qui ne sont pas sans mérite, avait reçu une copie de l’ouvrage de Gaubil, et c’est de là qu’il avait tiré la plus grande partie de ses assertions. Mais quoique les résultats du travail du missionnaire fussent par là déjà entre les mains des savants, il était fort utile de leur faire connaître de quelle manière l’auteur avait envisagé son sujet et quel enchaînement de preuves il y avait amené : à l’évidence près, dit Amiot, on trouve dans le traité du savant missionnaire toutes les autres raisons qui peuvent entraîner. Il paraît que l’édition du Traité de chronologie, faite avec soin d’après le manuscrit du Bureau des longitudes, ne s’est pas trouvée entièrement conforme à un autre manuscrit qui faisait partie de la bibliothèque du P. Brotier. C’est que le P. Gaubil, qui entretenait une correspondance active avec plusieurs savants d’Europe, ne s’attachait pas, en leur envoyant ses ouvrages, à en faire des copies parfaitement identiques. À chaque copie, il changeait ou modifiait quelque chose, suivant la personne à qui il s’adressait, ou d’après les découvertes qu’il pouvait avoir faites lui-même. Au reste, ces variantes ne sont jamais bien considérables, et la plupart ne roulent que sur des accessoires tout à fait indifférents. Sous devons réclamer, pour notre savant missionnaire, un opuscule qui a paru à Paris, en 1765, sous le titre de Description de la ville de Péking, etc., par. MM. Delisle et Pingré. in-4°. l’original de cette description et le plan qui l’accompagne avaient été envoyés par le P. Gaubil à l’Académie de St-Pétersbourg,

  1. Dans ses Recherches sur les langues tartares, l’auteur de cet article a cherché à soutenir de quelques faits l’identité des Hoeï-hou et des Ouïgours, supposée par Gaubil et Viadelou, mais sans prétendre en faire la démonstration, et surtout sans transporter le pays des Ouïgours de Tourfan et de Khamoul aux bords de la Selanga et du Baïkal.