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succès que celles de Pope et de Philipps. C’est peut-être un des meilleurs et le plus original de tous ses ouvrages : mais comme les peintures qui s’y trouvent tracées sont locales, leur mérite diminue et leur effet s’évanouit si on veut les transplanter ; on a donc eu tort d’essayer de les traduire. Gay a composé deux petits poëmes, tous deux en trois chants, l’un intitulé l’Éventail ; l’autre Trivia, ou l’Art de se promener dans les rues de Londres. Le premier est médiocre et fondé sur des fictions mythologiques usées : il n’en est pas de même du second, qui est plein de tableaux vrais, variés, agréables, bien versifiés. C’est dans ces sujets grotesques que Gay réussissait le mieux ; et pour emprunter les expressions d’un autre art, il était en poésie un bon peintre de genre. Les Poésies mêlées de Gay consistent en épîtres, chansons, ballades et autres petites productions échappées à sa plume facile et élégante : il n’y en a aucune de très-remarquable ; et elles ne sont, dit Johnson, ni très-estimées, ni tout à fait méprisées. Gay acquit par ses ouvrages et les dons de l’amitié une fortune assez considérable ; il obtint la faveur des grands et en reçut des encouragements et des places. Il était né avec le caractère le plus heureux, et cependant il périt victime des revers de la fortune, de l’ambition trompée et des dispositions de son esprit, aussi prompt à concevoir des espérances qu’à se laisser abattre quand elles étaient déçues. Il avait placé ses capitaux dans les fonds de la compagnie de la mer du Sud et il les perdit ; nommé secrétaire d’ambassade à la cour de Hanovre, il accompagna en cette qualité le lord Clarendon, mais à peine furent-ils arrivés au lieu de leur résidence que la reine Anne mourut et Gay se trouva sans place et sans fortune. Le prince et la princesse de Galles, qui le protégeaient, étaient montés sur le tronc : Gay crut qu’il allait devenir puissant et heureux ; on lui offrit une place de gentilhomme huissier de la princesse Louise, fille du roi ; il se regarda comme insulté, refusa, n’obtint rien de plus ; et, malgré le succès des ouvrages qu’il publia depuis, il conçut une telle mélancolie de cette disgrâce, qu’il en mourut le 4 décembre 1752, à l’âge de 44 ans. Le duc et la duchesse de Queensberry avaient cherché à le consoler et l’avaient recueilli chez eux. Le duc, qui connaissait son peu d’ordre et d’économie, poussa même ses bontés pour lui jusqu’à prendre soin de ses affaires et à régler sa dépense. Il faut que les amis de Gay aient ainsi que lui vivement ressenti l’injustice qu’il éprouva de la part du roi et de la reine ; car dans l’admirable épître au Dr Arbuthnot, qui sert de prologue à ses satires, Pope n’a pas craint d’exhaler ses sentiments à cet égard : « Bénis soient les grands, dit-il, et pour les amis qu’ils m’enlèvent et pour ceux qu’ils me laissent! car ils m’ont laissé Gay ; ils me l’ont laissé pour me montrer le génie abandonné dans sa fleur et n’obtenant pour prix d’une vie sans tache que les larmes de Queensberry et les vers qu’un ami prononce sur sa tombe[1]. » Gay fut enterré dans l’église de Westminster. Le duc et la duchesse de Queensberry fui firent élever un monument, et Pope en composa l’épitaphe. Cazin a donné une édition des œuvres de Gay, traduites en français. Madame de Kéralio a traduit ses Fables, suivies du poëme de l’Éventail, Paris, 1759, in-12. Les Fables ont été imitées depuis en 1785, Paris, in-8° ; elles ont été traduites en vers français (par M. Joly, de Salins), Paris, Ancelle, 1811, in-18. M. de Mauroy a aussi donné les Fables choisies de Gay mises en vers français, Paris, 1784, in-12. M. Hennet, dans sa Poétique anglaise, a traduit une de ses églogues rustiques et deux de ses fables. Le duc de Nivernois, Ginguené et quelques autres fabulistes français et étrangers ont aussi puisé’ dans le recueil de fables de Gay[2]. Enfin M. Millon de Liége a

imité en vers français le poëme intitulé l’Éventail[3].

W-r.


GAY (Thomas), dominicain provençal, oublié dans les Scriptores ordinis prædicat, et dans le Dictionn. de la Provence, né à Tarascon et religieux du couvent de cette ville, prit le grade de docteur en théologie et professa longtemps dans son ordre avec beaucoup de succès. Il cultivait aussi la littérature et surtout la poésie latine. Il fit usage de ce talent et de l’habileté qu’il y avait acquise par la lecture de Virgile, d’Ovide et des meilleurs auteurs de l’antiquité, pour célébrer en vers les hommes illustres de son ordre. Ses ouvrages ont été imprimés sous le titre de Ager dominicanus ; una cum fragrantíbus libris in eo crescentibus, elogiis rythmicis exornatus. Valence,1691, in-4°.

L-y.


GAY (Joseph-Jean-Pascal), architecte, né le 14 avril 1775, à Lyon, où il est mort le 6 mai 1852, était encore enfant lorsqu’il perdit son père, négociant de cette ville. Sa mère, femme d’esprit et de bon jugement, voulut diriger son éducation vers le commerce, mais lorsqu’il sortit du collége où il avait fait ses études avec succès, son goût pour les sciences et les arts se développa rapide-

  1. Nous n’avons pu nous servir ici de la traduction que Delille a faite de cette épître, traduction d’ailleurs si exacte et si poétique ; mais malheureusement dans cet endroit, le poëte français n’a ni traduit, ni imité : il a composé ; et, ce qui est fâcheux c’est que ses vers donnent de Gay une idée toute contraire à la vérité. Du reste, s’il y a moins de sensibilité que dans les vers de Pope, il y a peut-être plus d’esprit, de verve et de mouvement :

    Ô grands ! mon intérêt s’accorde avec le vôtre :
    Je hais la flatterie, et vous la bonne foi ;
    Cibber rampe chez vous, et Gay vécut chez moi.
    Ciel! fais-moi, comme Gay, vivre et mourir sans maître !
    Savoir vivre et mourir, c’est le seul art peut-être.

  2. On trouve la traduction de vingt-huit fables de Gay dans le Fablier anglais de M. Amar Durivier, 1802, in-8°. Christophe Anstey, poëte anglais, a traduit en vers latins un choix des fables de Gay ; et ces traductions, estimées pour la pureté du style, ont eu plusieurs éditions.
  3. M. Barbier, dans la table du Dictionnaire des ouvrages anonyme et pseudonymes, attribue à Thomas Gray un poëme intitulé l’Éventail ; et au tome I, p. 266, n°2169. il donne le titre d’un livre ainsi conçu : L’Éventail, poëme traduit de l’anglais (de Gray), en trois chants, par M. Coustard de Massi, à Paphos, 1768, in-12. Il est évident que M. Barbier a confondu Jean Gay avec Thomas Gray (voy. Thomas Gray).