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apanage toujours, au cas même de l’élimination de l’arsenic. Le vainqueur du il février ne contint pas, on le devine, sa jubilation dans les bornes que nous indiquons. Les protestations plus que véhémentes de Gannal achevèrent de l’exalter ; et dans son exaspération croissante il fit tout pour représenter Gannal comme un ignorant, un intrigant, un charlatan, qui faisait semblant d’embaumer avec un mauvais orviétan et dont les pratiques blessaient la pudeur... Notons en passant que le mot de pudeur ne fut jamais plus fréquemment employé que par ces pudiques concurrents ! Gannal à son tour ne demeura pas en reste d’immondes insinuations et d’injures. Triste polémique qui rapetissait la science et qui, chose plus importante pour les deux modificateurs, démonétisait leur industrie et faisait de part et d’autre fuir la clientèle ! Quand deux astrologues se traitent d’imposteurs, on les croit tous deux ; et la caisse du vainqueur s’en ressent non moins que celle du vaincu : la galerie rit, beaucoup d’yeux s’ouvrent et beaucoup d’escarcelles se ferment. C’est bien ainsi que les choses se passaient. Chacun avait ses preneurs, ses journaux : la Sylphide jappait pour la carotide, le Constitutionnel aboyait pour l’artère solitaire ; la Gazette des Hôpitaux portait aux nues le sulfite, la Tisiphone médicale décrétait le Panthéon au sulfate ; un coup de lancette par ici pour le chlorure de zinc, un coup de fouet par là, non sans accompagnement de sifflements et de crochets à venin, pour le chlorure d’aluminium. Trois ou quatre années se passèrent ainsi, chacun faisant à tour de rôle

Gémir la presse et pouffer les passants,

et tandis que les traits pleuvaient, les dollars du public volaient vers d’autres parages ; on se résignait, tout évêque ou pair qu’un était, à se laisser manger aux vers ; on se désabonnait de l’embaumement, ou, pour employer l’expressif argot des rieurs, on se dégannalisait et l’on se désuquetisait du même coup. Finalement Gannal, outré de voir pâlir son renom, filer son étoile et baisser ses finances, voulut tenter un dernier effort et porter la lutte dans une troisième arène, le jardin de l’École pratique et la presse périodique ne lui ayant pas laissé le dernier mot dans cette querelle. Mais la lice judiciaire ne lui fut pas plus propice que le reste. Déjà la Thémis provinciale et la Thémis parisienne avaient fait la sourde oreille à ses plaintes ; il en fut de même en 1850 et la défaveur qui environnait ses prétentions et son nom près des magistrats ne se déjugea pas. Il suivait pourtant une autre marche alors qu’à l’époque des affaires de Sens et de Calvi : ce n’est plus de contrefaçon qu’il accusait ses ennemis (car un associé secondait alors M. Suquet), c’est de concurrence déloyale par publications infamantes, circulaires calomniatrices, polémique outrageuse dans les organes de publicité, etc., etc. ; et par ses conclusions il demandait quinze mille francs de dommages-intérêts. Suquet et Roques (les attaqués) répondirent par une demande reconventionnelle d’égale somme en arguant des mêmes faits. Le tribunal (c’était la 1re chambre civile de Paris) donna raison et donna tort à tous les I deux en reconnaissant que chacun avait outré la I concurrence, avait insulté, déprécié, diffamé ou calomnié son rival précisément avec les mêmes circonstances et par les mêmes voies, à ceci près que Gannal avait été le provocateur, et mit les deux demandes au néant en compensant les dépens entre les parties, y compris l’enregistrement du jugement. Naturellement, cet arrêt du 15 mai f850 assoupit pour quelque temps l’ardeur belliqueuse de Gannal. Nous n’osons dire cependant que ce calme se serait indéfiniment perpétué. Mais frêle et battu déjà par d’autres tempêtes, harassé de ses fatigues et moralement abattu par ses échecs, il succomba en 1852, ne laissant qu’un renom offusqué de nuages, et chez beaucoup de ceux qui l’avaient aperçu ou entendu nommer, le grave soupçon de n’avoir jamais été qu’un simulateur d’embaumements. On a vu que notre opinion diffère. Elle est fondée sur l’étude attentive des faits et du caractère de Gannal. Le tout formait un ensemble assez embrouille pour qu’il ne fût pas donné à tous de voir dans ce chaos. Nous espérons qu’à présent il semblera simple : la clef de toutes les contradictions est dans ce fait unique que Gannal, sitôt qu’il fut maître de quelque ombre, de quelque germe de découverte scientifique, n’eut plus souci que d’en faire de l’argent. Il savait embaumer et certainement embauma plus d’une fois avec succès ; ’ mais longtemps, et probablement toujours, il n’embaumait avec autant d’efficacité qu’au moyen › d’une addition d’arsenic aux autres substances. S’il eût été vraiment amant de la science, sitôt qu’il vit en France l’opinion se monter contre l’adoption de ce scabreux agent, il eût travaillé sans relâche à s’en passer, à trouver mieux que sa solution primitive ; et, nous n’en doutons pas, avec un peu de persévérance, il eût mis la main ou sur le sulfite de soude et le chlorure de zinc comme son rival Suquet, ou sur le persulfate de fer, comme Braconnot, ou sur le deutochlorate d’étain, comme Tauflieb, ou sur le bichlorure de mercure et le chlorhydrate d’ammoniaque comme Baldaumick, bu sur le sulfate de zinc comme, presque en même temps tous deux, Besse à Montpellier, Filhol à Toulouse. Chose extraordinaire ! ces deux savants, en publiant leur procédé, reconnurent devoir leur découverte, le second à Suquet, auquel il prenait sa base, le premier à Gannal, dont il conservait l’acide. Ainsi Gannal, ne s’inspirant que de lui-même et sans sortir de la famille des sulfates, était conduit à la découverte de Besse ! Qu’on ne déprécie donc pas son talent de chimiste ; et que le blâme porte, soit sur son défaut de persévérance, soit sur cette soif du lucre qui lui fit déserter la haute et noble science de l’embaumement pour l’industrie et l’exploitation boutiquière de