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se précipite aux pieds des deux frères, et demande de quel crime elle est coupable. Choisissez, fut la seule réponse des assassins. Voyant que tout secours est impossible, que toute résistance est inutile, l’infortunée prend le verre que lui présente l’abbé et elle avale le poison, tandis qu’il lui tient le pistolet sur la poitrine. Cette horrible scène terminée, les deux monstres se retirent et enferment la victime dans sa chambre, lui promettant de lui envoyer un confesseur, dont elle avait sollicité le ministère comme une dernière grâce. La voilà seule, sa première pensée est de fuir ; la seconde d’essayer divers moyens pour obliger son estomac à rejeter le poison qu’on l’avait forcée de prendre ; elle y réussit en partie, à l’aide d’une tresse de ses cheveux qu’elle enfonça dans son gosier, puis s’approchant de sa fenêtre, elle se précipite à moitié nue dans la cour, bien que la fenêtre fût élevée de vingt-deux pieds ; mais comment échapper à ses bourreaux ? Ils vont être instruits de sa fuite ; les scélérats sont maîtres de toutes les issues du château : l’infortunée marquise implore la compassion d’un domestique, qui la fait sortir dans la campagne par une porte des écuries ; elle ne tarde pas à être poursuivie par l’abbé et par le chevalier, qui la font passer pour folle près du fermier chez lequel elle s’est réfugiée. C’est là que le crime devait être consommé. Le chevalier, qui jusqu’alors avait paru moins féroce que son frère, la suit de chambre en chambre ; parvenue à une pièce écartée, le scélérat lui donne deux coups d’épée dans la poitrine et cinq coups dans le dos, au moment où elle cherchait à sortir. La violence des coups fut telle que l’épée se rompit, et que le tronçon resta dans l’épaule. On accourt aux cris que pousse l’infortunée : l’abbé, qui était resté à la porte pour empécher qu’on ne la secourût, entre avec la foule. Furieux de voir que la marquise n’a pas encore succombé, il lui appuie son pistolet sur la poitrine : le coup ne part point. Les témoins, terrifiés jusque-là, se jettent sur l’abbé, qui, à force de se débattre, parvient à leur échapper. Madame de Ganges survécut dix-neuf jours à cet affreux attentat, et n’expira qu’après avoir publiquement imploré la miséricorde divine pour ses assassins. Son corps fut ouvert, et l’on trouva les intestins brûlés par l’effet du poison. Son mari était présent à ses derniers moments : de fortes présomptions s’élevaient contre lui ; mais la marquise, toujours compatissante au milieu des plus vives douleurs, fit tout ce qui était en son pouvoir pour dissiper les soupçons. Le parlement de Toulouse ne tarda pas à informer contre les coupables ; et par un arrêt rendu le 21 août 1667, l’abbé et le chevalier de Ganges furent condamnés à être rompus par contumace. Après avoir eu ses biens confisqués, avoir été dégradé de sa noblesse, le marquis fut condamné par le même arrêt à un bannissement perpétuel. Le chevalier se sauva à Malte, et fut tué quelque temps après dans un combat contre les Turcs. Quant à l’abbé, il passa en Hollande, et là, sous un nom supposé, il lui arriva des aventures qui pourraient faire la matière d’un roman[1]. Il existe une excellente Histoire de la marquise de Ganges, par M. de Fortia d’Urban, 1810, in-12. Le récit des malheurs de madame de Ganges, plus ou moins surchargé de circonstances romanesques, se trouve dans plusieurs recueils : on en a même fait un roman, la Marquise de Gange (par M. de Sades), 1815, 2 vol. in-12. Avec le projet de rendre son héroïne intéressante, l’auteur n’a fait que l’avilir en la faisant tomber dans les piéges les plus grossiers. La poésie a revendiqué ce triste sujet aux annales des tribunaux ; et nous avons de Gilbert une héroïde ou épître adressée par la marquise de Ganges à sa mère ; on ne trouve dans ce morceau nulle trace du talent que Gilbert a montré dans d’autres pièces. Enfin on a représenté sur le théâtre de la Gaîté, le 18 novembre 1815, la Marquise de Gange ou les Trois Frères, mélodrame, par MM. Boire et Léopold, 1815, in-8°. B-i.


GANILH (Charles), économiste et membre de diverses assemblées législatives, naquit à Allanche (Cantal) le 6 janvier 1758. Il se voua d’abord au barreau, mais ne tarda pas à être porté sur la scène politique par le flot révolutionnaire qui allait abîmer le trône du malheureux Louis XVI. Avocat et électeur à Paris lors des premiers troubles, il s’était fait connaître par son zèle pour la cause de la révolution. Dans la journée décisive du 14 juillet, qui vit tomber la Bastille et s’élever assez haut la municipalité de Paris pour qu’elle osât déjà traiter de puissance à puissance avec la couronne, Ganilh fut chargé par le comité permanent de l’hôtel de ville d’accompagner Bancal des lssarts, envoyé à l’assemblée nationale, pour lui peindre l’état de la capitale et demander l’organisation régulière de la garde nationale qui se formait d’elle-même. La réponse de l’assemblée fut qu’elle n’avait cessé de réclamer le renvoi des troupes cantonnées autour de Paris et de Versailles, et qu’elle persisterait dans ce vœu jusqu’à ce qu’on y eût fait droit. Arrêté pendant la terreur, Ganilh fut, le 17 messidor an 2 (5 juin 1791). déclaré dans le cas de subir la déportation ; mais le 9 thermidor empêcha l’exécution de cette mesure, et peu de temps après il recouvra la liberté. Détestant l’anarchie dont il avait failli lui-même être victime, il prit une part active au 18 brumaire. Bientôt les portes du tribunat s’ouvrirent pour lui. Les projets de loi qui se succédèrent ne lui permirent pas de douter que le chef du nouveau gouvernement ne tendît à rétablir l’unité dans le pouvoir. Croyant l’ordre assuré, il se porta vers la liberté menacée, pour tâcher de mainte-


  1. Voyez les Lettres historiques et galantes de madame Dunoyer.