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luy. Élevé au collége de Juilly, le jeune Eyriès y fit d’excellentes études et obtint de brillants succès. En quittant cet établissement, sa famille l’envoya en Angleterre, de là en Allemagne, en Suède et en Danemark pour y compléter son éducation par les voyages et apprendre les langues du Nord. Il fit de grands progrès dans la connaissance de ces divers idiomes, singulièrement négligés en France à cette époque, et que l’on commence cependant aujourd’hui à regarder comme utiles. Au retour de ses voyages dans le nord de l’Europe, Eyriès revint au Havre, où son père était capitaine de port ; il s’y livra pendant quelques années au commerce, et fit plusieurs armements pour la côte d’Afrique, St-Domingue, Cayenne, etc. Ses occupations commerciales ne l’empêchaient cependant pas de cultiver les sciences et de s’appliquer plus particulièrement à la botanique en herborisant aux environs du Havre. Son père ayant été arrêté comme suspect en 1793, et enfermé à Paris dans la prison du Luxembourg, Eyriès se rendit dans cette capitale pour le voir et lui prêter secours. Ayant obtenu sa délivrance après le 9 thermidor (27 juillet 1794), ils retournèrent ensemble au Havre ; Eyriès n’y fit cette fois qu’un très-court séjour. Il revint à Paris, où il avait résolu de se fixer définitivement, parce qu’il trouvait dans cette capitale plus de ressources pour se livrer à l’étude, lorsque M. de Talleyrand, alors ministre des relations extérieures, l’envoya en mission à Clèves pour s’entendre avec Fauche-Borel sur une négociation importante à laquelle le directeur Barras attachait le plus haut prix (voy. Fauche-Borel). Rappelé en France au bout de quelques mois, Eyriès fut remplacé pour la suite de cette négociation, qui n’amena aucun résultat, par le chevalier Guérin de St-Tropez, confident intime du directeur. On assure qu’en 1804 et 1805 une nouvelle mission lui fut confiée dans les principautés au delà du Rhin, à la suite de laquelle le chef du gouvernement lui aurait fait offrir le titre de conseiller d’État, qu’il refusa pour conserver sa complète indépendance. Nous ne connaissons ni l’objet ni la durée de cette mission. A son retour (1805), Eyriès se fixa définitivement à Paris, où il suivit assidûment les cours de nos écoles savantes, et se livra tout entier à son goût pour les sciences, et plus particulièrement pour la géographie et la botanique. Le premier ouvrage par lequel il se fit connaître fut la traduction du Voyage de découvertes dans la partie septentrionale de l’océan Pacifique du capitaine anglais Broughton, imprimée en 1806. Eyriès avait été chargé de ce travail par le ministre de la marine Decrès, auquel il le dédia. L’année suivante, il traduisit de l’allemand le voyage d’un Livonien en Pologne et en Allemagne, dans lequel on trouve de curieux renseignements sur les révolutions qui eurent lieu dans le premier de ces pays pendant les années 1793 et 1794 ; et en 1808, il fit paraître une traduction de l’ouvrage de M. le baron de Humboldt, intitulé : Tableaux de la nature, ou Considérations sur les déserts, sur la physionomie des végétaux, etc. Une nouvelle édition allemande de cet ouvrage ayant paru en 1826, avec plusieurs changements et des additions importantes qu’exigeaient les progrès des sciences naturelles et de la géographie, Eyriès, sur l’invitation du savant auteur, recommença sa traduction. M. de Humboldt, qui avait revu lui-même ce travail, en fut tellement satisfait, qu’il crut devoir attribuer publiquement[1] au talent d’Eyriès la plus grande partie de l’intérêt dont le public l’avait honoré. Cette traduction et celle du Voyage en Norvège et en Laponie de Léopold de Buch passent pour les meilleures que l’on doive à la plume d’Eyriès. M. le baron Alex. de Humboldt a fait précéder cette dernière d’une in-

    à Cayenne, dont le gouverneur, M. de Siedmond, témoignait le désir de voir chargé de quelque expédition importante un officier qui réunissait à un grand zèle des talents remarquables, accompagnés d’une extrême vigilance, et ne cessait de rendre des services à la colonie et aux bâtiments du roi, comme aux navires de commerce. De nouveaux services rendus par Eyriès, et plusieurs actes de dévouement et de bravoure cités par M. Mistral, commissaire général de la marine au Havre, le firent nommer en 1778 (25 novembre), administrateur-commandant du Sénégal, à ce moment au pouvoir des Anglais, et qui ne tarda pas à être reconquis en 1779. Eyriès, qui avait pris une part active à cette glorieuse expédition, resta peu de temps dans le poste qui lui avait été confié, l’état de sa santé, altérée par ce climat brûlant, l’ayant forcé de rentrer en France pour la rétablir. « Le roi est satisfait de vos services, » lui écrivait le 5 mai 1780 M. de Sartine en l’autorisant à venir respirer l’air de la patrie, « et je vous procurerai avec plaisir à votre arrivée les grâces de Sa Majesté. » Quoiqu’on eût perdu de vue ces promesses, Eyriès, apprenant qu’une armée combinée de Français et d’Espagnols se préparait à envahir les îles Baléares, occupées à cette époque par les ennemis des deux couronnes, se hâta d’accourir à Minorque. Ses services comme volontaire furent acceptés par le général duc de Crillon, qui reconnaît dans sa lettre au duc de Castries du 8 septembre 1781 qu’Eyriès a beaucoup coopéré par son intelligence et sa valeur à la prise de six frégates anglaises qui étaient à l’ancre sous le canon de la place de Mahon. « Ayant demandé à M. Eyriès ce qu’il désirait, il m’a répondu qu’il ne voulait que l’honneur d’avoir servi l’auguste maison de Bourbon et son pays. Je ne puis vous exprimer le plaisir que j’ai ressenti à cette réponse faite en présence de deux cents officiers espagnols qui en furent enchantés et l’embrassèrent. » M. de Crillon demanda et obtint pour ce brave officier la croix de Charles III. Certes, il méritait bien cette distinction l’homme qui « joignait, suivant le général français, au mérite militaire et à une bravoure aussi froide que brillante, un désintéressement tel qu’il n’a jamais voulu recevoir aucune gratification ni appointements de S. M. C. pendant tout le temps qu’il a été employé aux différentes opérations dont je l’avais chargé et dont il s’est acquitté à mon entière satisfaction, ainsi qu’à celle de don Antonio Barcelo, le meilleur officier de la marine espagnole, à mon gré, sous lequel je l’avais employé en dernier lieu. » Bientôt après il fut fait chevalier de St-Louis. Nommé en 1783 capitaine de port au Havre, Eyriès obtint en 1791 le grade de capitaine de vaisseau et fut placé à Cherbourg en qualité de commandant de la marine. Il en remplissait les fonctions, lorsqu’en 1793 il fut arrêté comme suspect, emmené à Paris et enfermé dans la prison de la Force. Son fils, J.-B.-B., qui était accouru dans la capitale lors de son arrestation, parvint, après la journée du 9 thermidor, à le faire rendre à la liberté. Réintégré plus tard dans la position qu’il avait occupée à Cherbourg, Eyriès fut appelé, en 1796, au Havre pour y remplir les mêmes fonctions dans des circonstances fort graves. Il s’y fit particulièrement distinguer ; mais comme il apprit en même temps, au commencement de 1798, qu’il allait être mis à la retraite et que le gouvernement préparait une grande expédition dont le but était encore inconnu, Eyriès, après s’être concerté avec le général Kléber qu’il connaissait et qui devait en faire partie, se disposait à aller le rejoindre à Toulon, lorsque sa mort, arrivée presque subitement le 10 juillet 1798, l’empêcha de mettre son projet à exécution.

  1. Introduction en tête de la traduction du Voyage en Norvège, de Léopold de Buch.

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