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retirer à Genève avec sa famille. Il y arriva au commencement de 1552. Il y imprima, la même année, en société avec Conrad Badius, son beau-frère, le Nouveau Testament en français. Il établit ensuite une imprimerie particulière de laquelle sont sortis plusieurs bons ouvrages, fut reçu bourgeois de Genève, en 1556, et mourut en cette ville le 7 septembre 1559. Estienne était un homme d’un caractère ferme et décidé ; mais l’on est fâché de voir qu’il n’eût pas pour les autres la tolérance qu’il avait réclamée pour lui-même, et que son ardeur pour la réforme l’ait aveuglé au point de déshériter l’un de ses enfants qui ne l’avait point embrassée. Bèze, Dorât et Ste-Marthe lui ont donné de grands éloges de Thou le met au-dessus d’Aide Manuce et de Froben, et ajoute que la France et le monde chrétien lui doivent plus de reconnaissance qu’aux plus grands capitaines, et qu’il a davantage contribué à immortaliser le règne de François Ier que les plus belles actions de ce prince. La marque de cet imprimeur est un olivier, dont plusieurs branches sont détachées, avec ces mots : Noli altum sapere, auxquels il a ajouté quelquefois sed time. Les ouvrages qu’il a publiés comme imprimeur du roi sont marqués d’une lance autour de laquelle sont entrelacés un serpent et une branche d’olivier. On lit au bas ce vers d’Homère :      , que l’on peut rendre par ces mots : « Au bon roi et au, vaillant soldat. » Ch. Estienne, Turnèbe, Morel, Bienné (Bene natus), et tous ceux qui avaient la permission d’employer les caractères grecs du roi ont adopté cet emblème. Les ouvrages qu’il a publiés à Genève ne portent point le nom de cette ville, mais seulement l’olivier, avec ces mots au bas Oliva Roberti Stephani. Ce n’est point, comme on l’a dit, ce célèbre imprimeur qui a inventé la méthode de diviser le texte de là Bible par versets. Ce qu’on a ajouté, qu’il avait fait ce travail pour le Nouveau Testament, étant à cheval, dans un voyage de Paris à Lyon, n’est qu’un conte ridicule. Avant les éditions publiées par Estienne, on connaissait déjà cette division par versets, puisqu’elle est observée dans la Bible latine de Pagninus, 1527, in-4o ; dans le Psalterium quintuplex, 1509, et dans d’autres ouvrages. On a accusé Estienne d’avoir emporté à Genève les caractères grecs de l’imprimerie royale ; mais le fait n’est rien moins que prouvé. Les matrices qui avaient servi à fondre ces caractères se retrouvèrent effectivement à Genève mais toutes les circonstances de la répétition qui en fut faite semblent établir qu’elles étaient devenues la propriété de la famille de Robert Estienne ; comment et à quel titre ? c’est ce qu’on ne saurait expliquer. Le clergé de France ayant résolu de faire réimprimer les ouvrages des Pères grecs, présenta requête au roi pour le prier de réclamer de la seigneurie de Genève les matrices des caractères grecs gravés par ordre de François Ier. Sur cette requête, intervint un arrêt du conseil, à la date du 27 mars 1619,

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portant que lesdites matrices seraient rachetées pour le prix de 5,000 livres, payables, soit à la seigneurie de Genève, soit aux héritiers de Robert Estienne. On voit qu’il n’est question, ni dans la requête, ni dans l’arrêt, de réclamer des objets enlevés illicitement, mais de racheter des effets précédemment aliénés (1) [1] Parmi les belles éditions sorties de ses presses, on distingue :

1e les Bibles hébraïques, 4 vol. in-4o et 8 vol. in-16 ; les amateurs donnent la préférence à celle-ci pour la commodité du format ;

2e la Bible latine, 1538-40, in-fol. ; l’exécution en est parfaite ; mais les curieux n’en recherchent guère que les exemplaires sur très grand papier ;

3e le Nouveau Testament grec, 1550, in-fol., regardé comme le plus beau livre grec qui ait jamais été imprimé ;

4e le même ouvrage, 1546,1549, in-16, appelé communément O mirificam, parce qu’il est accompagné d’une préface latine qui commence par ces mots. Dans la préface de l’édition de 1549, le mot plures est écrit pulres, et l’on a prétendu que c’était la seule faute d’impression qu’il y eût dans l’ouvrage ; Maittaire en a cependant trouvé quatre dans le texte grec ; il est vrai que cette édition n’a point d’errata, et que les douze fautes indiquées dans l’errata de l’édition de 1546 sont corrigées dans celle de 1549.

5e Historiae ecclesiasticae scriptores, Eusebii prœparatio et demonstratio evangelica, en grec, 1544, 2 vol. in-fol. ; c’est le premier livre imprimé avec les nouveaux caractères gravés par Garamond. Aucun de ces auteurs n’avait encore été imprimé ; il en est de même de Denys d’Halicarnasse, Dion Cassius et autres dont il publia le premier le texte grec, d’après les manuscrits de la bibliothèque du roi.

6e Les œuvres de Cicéron, Térence, Plaute, etc.

Outre les préfaces et les notes dont Robert Estienne a orné plusieurs ouvrages, il est auteur des suivants :

1e Thesaurus linguœ latinœ, Paris, 1532, 1536. Ces deux éditions ont paru sous le titre de Dictionarium linguœ latinœ, seu Thesaurus, etc. ; Paris, 1565, 2 vol. in-fol. ; Lyon, 1573, 4 vol. in- fol. Cette édition, donnée par Robert Constantin (voy. CONSTANTIN), quoique plus ample, est moins estimée que la précédente, qui a l’avantage d’avoir été exécutée sous les yeux d’Estienne ; Londres, 1734-35, 4 vol. in-fol., belle édition bien exécutée ; Bâle, 1740-43, 4 vol. in-fol. Celle-ci est due aux soins d’Ant. Birr, qui l’a augmentée des notes écrites par Henri Estienne sur les marges d’un exemplaire conservé à la bibliothèque de Genève. Cette édition est d’ailleurs, imprimée correctement mais on regrette que le papier n’en soit pas beau ; Leipsick, 1749, 4 vol. in-fol., publiée par le savant professeur J.-M. Gessner ;

2e Dictio-

  1. (1) Ces matrices avaient déjà été réclamées sous Henri IV. Leclerc rapporte (Biblioth. choisie, t. 19, p. 219) que son grand-père, Nicolas Leclerc, auquel Estienne avait engagé ces poinçons pour 1,500 écus d’or, ne put obtenir la restitution que de la moitié de cette somme. Il paraît, par son témoignage et par celui de Casaubon, que l’accusation n’était pas absolument destituée de fondement. Voyez, à cet égard, Chauffepié, art. Estienne, not. B et C..