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exerça l’imprimerie en société avec Simon de Colines son beau-père. Le Vinetum de Charles Estienne (1537), est le plus ancien ouvrage auquel on trouve son nom, et le dernier l’Andria de Térence, 1547. Il a employé quelquefois la marque de son père ; cependant il en avait une particulière. C’est un vase d’or à trois pieds posé sur un livre et surmonté d’un cep de vigne chargé de fruits. Il ne fut jamais marié, et c’est par erreur que Maittaire lui donne un fils du même nom, qui imprimait en 1570. Ce François Estienne était fils de Robert, et par conséquent le neveu de celui qui fait l’objet de cet article.

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ESTIENNE (Robert Ier), le plus célèbre imprimeur de cette famille, né à Paris en 1503, s’appliqua à l’étude de la littérature, et y fit des progrès très rapides. II possédait non-seulement le latin et le grec, mais encore l’hébreu, comme le prouvent les excellentes éditions qu’il a données dans ces différentes langues. Après la mort de son père, il travailla, quelques années en société avec Simon de Colines, qui se reposait sur lui du soin, de surveiller l’imprimerie. Ce fut à cette époque qu’il publia une édition du Nouveau Testament, plus correcte, et dans un format plus commode que toutes celles qui avaient paru jusque-là. Le prompt débit de cette édition alarma les docteurs de Sorbonne, qui voyaient avec peine se multiplier les exemplaires d’un ouvrage dans lequel les partisans des nouvelles opinions puisaient la plupart de leurs arguments ; mais ils ne purent jamais trouver même un prétexte pour en demander la suppression. Robert Estienne épousa peu après Pétronille, fille de l’imprimeur Josse Badius : c’était une femme d’un rare mérite. Elle enseigna elle-même les éléments du latin à ses enfants et à ses domestiques ; de sorte que, dans la maison d’Estienne, il n’y avait personne qui n’entendît et ne parlât cette langue avec facilité. Il quitta la société de Colines vers 1526, et établit une imprimerie sous son, nom, dans le même quartier, qu’avait habité son père. Le premier ouvrage qu’il mit sous presse fut les Partitions oratoires de Cicéron, portant la date, du 7, des kalendes de mars 1527. Depuis cette année jusqu’à sa mort, il ne s’en passa aucune sans qu’il fit paraître quelques nouvelles éditions des classiques, supérieures à toutes les précédentes, et la plupart enrichies de noies et de préfaces pleines d’intérêt. On dit que, pour s’assurer davantage de la correction des ouvrages qu’il imprimait, il en affichait les épreuves, en promettant des récompenses à ceux qui y découvriraient des fautes (1) [1]. Il se servit d’abord des mêmes caractères que son père et Simon de Colines ; mais il en fit graver, vers 1552, d’une forme beaucoup plus élégante, qu’il employa, pour la première fois, dans la belle édition de la Bible, en

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latin, qui parut la même année. Estienne n’avait rien négligé pour en faire un chef-d’œuvre de son art ; il en avait revu le texte avec le plus grand soin, sur deux manuscrits, l’un de St-Germain-des-Prés, l’autre de St-Denis, et avait en outre consulté les plus savants théologiens, qui lui avaient donné leur approbation. Cependant cette édition fut pour lui le sujet de nouveaux chagrins ; et si François Ier, qui appréciait les talents et les sacrifices de Robert Estienne, ne l’eût protégé contre ses adversaires, il est probable que, dès cette époque, ce grand homme aurait été obligé de quitter la France. L’amour de la paix, le besoin qu’il éprouvait d’une vie tranquille pour terminer ses entreprises, lui firent accepter toutes les conditions qu’on lui imposa ; et il se soumit même à ne plus rien imprimer sans le consentement de la Sorbonne. Il venait de mettre au jour la première édition de son Thesaurus linguœ latinœ, ouvrage excellent, plein de recherches et d’érudition, auquel il avait travaillé plusieurs années, aidé par les savants dont il était l’ami et le bienfaiteur. Le succès mérité de cet ouvrage ne l’aveugla point sur ses imperfections, et il y fit, à chaque édition, des changements et des augmentations, qui l’ont enfin rendu un chef-d’œuvre dans ce genre, Estienne fut nommé, en 1539, imprimeur du roi pour le latin et l’hébreu ; et ce fut à sa demande que François Ier fit fondre, par Garamond, les beaux types que possède encore l’imprimerie impériale. Cependant, les théologiens, jaloux de la confiance que le roi accordait à un homme dont ils suspectaient les sentiments en matière de foi, cherchaient l’occasion de le convaincre d’hérésie. Ils crurent l’avoir trouvée dans la nouvelle édition, de la Bible, qu’Estienne publia en 1545, contenant une double version latine, et des notes de Vatable. Léon de Juda, connu pour un partisan de Zwingle, était l’auteur d’une de ces versions ; et on prétendit que si les notes étaient de Vatable, elles avaient été corrompues par Estienne. Cette accusation, fit beaucoup de bruit, et François Ier fut obligé d’arrêter encore une fois les poursuites dirigées contre son imprimeur. Ce grand prince mourut, et Robert Estienne voulut donner une marque de sa reconnaissance, en imprimant avec un soin particulier l’oraison funèbre de ce prince par Duchâtel. L’orateur avait dit que François Ier était passé de cette vie dans la gloire éternelle. Cette idée, si commune qu’elle se retrouve, dans tous les discours de ce genre, fut le sujet d’une dénonciation de la Sorbonne, qui prétendit que cette proposition était contraire à la doctrine de l’Église, touchant le purgatoire (voy. Pierre DUCHÂTEL). Estienne s’aperçut bientôt qu’il ne devait pas compter, auprès du nouveau roi, sur la protection dont il avait joui jusqu’alors ; et, après avoir lutté pendant quelques années contre ses adyersaires, il prit enfin la résolution de se

  1. (1) On trouve dans les Bucoliques de M. Firm. Didot, p. 261, une jolie anecdote sur le soin avec lequel Rob. Estienne corrigeait ses épreuves.