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sœur du comte de Horn, et Sabine de Bavière, femme du comte d’Egmond, avaient fait inutilement retentír l’Europe de leur douleur. Le duc d’Albe, qui prenait le titre de lieutenant-gouverneur, capitaine général pour le roi, et juge souverain du conseil criminel, rendit, le 4 juin 1568, une sentence de mort contre le comte d’Egmond comme « convaincu d’avoir commis des crimes de lèse-majesté, en favorisant et étant complice de la ligue et abominable conjuration du prince d’Orange et d’autres seigneurs de ces Pays-Bas ; ayant aussi pris en sa sauvegarde et protection les gentilshommes confédérés, et rendu de mauvais services en son gouvernement de Flandre, de concert avec les séditieux et rebelles de la sainte Église apostolique romaine, et de Sa Majesté. Considéré, en outre, tout ce qui résulte dudit procès, Son Excellence déclare ledit comte avoir commis crime de lèse-majesté et de rébellion, et, comme tel, devoir être exécuté par l’épée, et sa tète mise en lieu haut et public, afin d’être vue de tous, et qu’elle soit là tant que autrement en soit ordonné par sadite Excellence... ; commandant que nulle personne soit osée de la ôter, sous peine de mort ; et confisque pour le fisc et chambre royale tous et quelconques de ses biens, meubles et immeubles, droits et actions, fiefs et héritages, etc. » La sentence du comte de Horn, prononcée le même jour, était conçue à peu près dans les mêmes termes : l’une et l’autre furent rédigées en français. L’évêque d’Ypres avait été mandé il Bruxelles par le duc d’Albe, pour assister les deux comtes à leurs derniers moments. Ce vertueux prélat, nommé Martin Rithove, se prosterna aux pieds du duc, et le supplia, les larmes aux yeux, de révoquer ces sentences de mort. Mais le lieutenant de Philippe, depuis longtemps ennemi du malheureux Egmond, se montra inflexible, et le prélat ne songea plus qu’à consoler cette illustre victime. Dès qu’il eut appris à d’Egmond qu’il, était condamné : « Voici une sentence bien rigoureuse, dit le comte. Je ne pense pas d’avoir tant offensé Sa Majesté pour mériter un tel traitement. Néanmoins, je le prends en patience, et prie le Seigneur que ma mort soit une expiation de mes péchés, et que ma chère femme et mes enfants n’encourent aucun blâme ni confiscation ; car mes services passés méritent bien qu’on me fasse cette grâce. Puisqu’il plait à Dieu et au roi, j’accepte la mort avec patience. » ll écrivit sur-le-champ en français la lettre suivante à Philippe II : « Sire, j’ai entendu ce matin la sentence qu’il a plu à Votre Majesté taire décréter contre moi ; et combien que jamais mon intention n’ait été de rien traiter ni faire contre la personne ni le service de Votre Majesté, ni contre notre vraie, ancienne et catholique religion, si est-ce que je prends en patience ce qu’il plait à mon bon Dieu de m’envoyer. Et si j’ai, durant ces troubles, conseillé ou permis de faire quelque chose qui semble autre, ce n’a toujours été qu’avec une vraie et bonne intention, au service de Dieu et de Votre Majesté, et pour la nécessité du temps. Pourquoi je prie Votre Majesté me le pardonner, et avoir pitié de ma pauvre femme, de mes enfants et serviteurs, vous souvenant de mes services passés ; et sur cet espoir, m’en vais me recommander à la miséricorde de Dieu. — De Bruxelles, prêt à mourir, le 5 juin, etc. » Egmond écrivit ensuite une lettre fort touchante a sa femme ; et, après s’être préparé à la mort, il demanda qu’on ne différa pas plus longtemps son exécution, craignant que, troublé par ses sentiments et ses affections, son âme ne tomba dans le désespoir. On le conduisit à midi sur la place publique, avec un appareil militaire, sombre et lugubre ; dix-neuf compagnies d’inlanterie étaient sous les armes : il était vêtu de noir, sans fers et sans liens. Il monta sur l’échafaud qui était couvert d’un drap noir, et sur lequel ou avait dressé un petit autel funèbre, avec une croix d’argent. Egmond jeta lui-même son manteau, prit le crucifix dans ses mains, se mit à genoux sur un carreau de velours noir, et reçut la mort avec courage. Il était âgé de 46 ans. On jeta sur son corps un drap noir, et l’on fit monter sur l’échafaud le comte de Horn. En traversant la place, il avait salué quelques personnes de sa connaissance. Apercevant le corps de son ami, il demanda si c’était là le comte d’Egmond ; on lui répondit : c’est lui. « Nous ne nous sommes pas vus l’un l’autre, dit-il en s’adressant au peuple, depuis que nous avons été trainés dans les prisons. Apprenez, par notte sort, quelle est la mesure de l’obéissance que vos maîtres exigent de vous. » Horn avoua q’il était coupable devant Dieu ; mais il refusa constamment de reconnaître qu’il eut ollensé le roi. Il conjura les assistants de joindre leurs prières aux siennes, fit des vœux pour leur bonheur, et, s’étant déshabillé lui-même, il présenta sa tête au bourreau (voy. Horn). La consternation était générale ; on n’entendait sur la place publique que des sanglots et des gémissements. On vit plusieurs personnes baiser l’échafaud avec respect, et tremper leurs mouchoirs dans le sang du comte d’Egmond. L’envoyé de France à la cour de Bruxelles, présent à ce triste spectacle, écrivit à Charles IX : « J’ai vu tomber la tète de celui qui a fait trembler deux fois la France. » Ainsi finit cette tragédie qui devait coûter tant de sang et tant de larmes à l’Espagne et aux Pays-Bas ; qui fut comme le signal d’une révolte générale que suivirent trente ans d’une guerre cruelle, et qui se termina par la perte que la maison d’Autriche fit sans retour des sept Provinces-Unies. Sabine de Bavière mourut, sans avoir été consolée, le 19 juin 1598 (1). — (1) Le procès criminel du comte d’Egmond se trouve dans le supplément de la traduction de Strada, Amsterd. (Bruxelles) 1729, 2 vol. in-12. — Alex. Barbier, Diction. des anon. N 1, 583 et 1331, dit que selon les uns ce supplement a été publie par Jean Godefroy, et suivant les autres par Jean Du Bois, procureur général à Malines. — J. R. Roppens qui avait commencé une Bi-