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AND

J’ai besoin du censeur implacable, endurci,
Qui tourmentait Collin et me tourmente aussi.

ce fut Andrieux qui peignit, dans le tragique célèbre,

L’accord d’un beau talent et d’un beau caractère.

Ce vers fut gravé, comme devise, sur la médaille de Ducis ; et depuis on l’a souvent appliqué, soit dans les livres, soit à la tribune, aux hommes qu’on a voulu peindre d’un trait honorable et rapide. Andrieux avait conservé dans son cabinet le buste de Ducis. Il l’a légué à M. O. Leroy, qui a inscrit au bas ce vers de l’auteur d’Hamlet à M. Campenon :

C’est au bon Andrieux, ami, que je te dois[1].

— Il faut ajouter, pour compléter la nombreuse série des travaux littéraires d’Andrieux : 1o  le Portrait, ou la Matinée d’un amateur, Paris, 1811. Le héros de cette anecdote est M. Français de Nantes, alors directeur général des droits-réunis, qui aimait à s’entourer de poëtes et d’artistes. Parny, l’auteur de Marie Stuart, et plusieurs autres, avaient plutôt des traitements que des places dans ses bureaux. 2o  Notice sur la vie et les ouvrages de Charles de Wailly, architecte, 1799. 3o  Trait historique de la vie du roi de Prusse, 1797. 4o  Notice sur la vie de Collin d’Harleville, avec un commentaire sur le Vieux Célibataire, dans le recueil intitulé Théâtre français. Andrieux s’était proposé d’écrire la vie de Picard, et de payer à sa mémoire le tribut dont il s’était bien acquitt& avec son ami le plus cher. 5o  Les Querelles des frères, ou la famille bretonne, pièce de Collin, qui, vendue par mégarde avec de vieux papiers, et trouvée par hasard dans le magasin d’un épicier, fut dans son état d’imperfection, arrangée par Andrieux, et représentée avec un prologue touchant ; le succès de ce prologue ne fut pas moindre que celui de la pièce. et détermina ce dernier peut-être. 6o  Andrieux fut ; avec Ginguené, en 1794, un des fondateurs et des principaux rédacteurs de la Décade philosophique et littéraire. Il y inséra un grand nombre d’articles signes A[2]. 7o  Il concourut à la traduction en vers français des Fables russes de Kriloff, publiées à Paris par le comte Orlow, en 2 vol. in-8o. 8o  Il a travaille à la collection des Théâtres étrangers. 9o  Il a fait insérer dans la Revue encyclopédique de savantes dissertations sur le Prométhée d’Eschyle et sur le théâtre des Grecs. 10° Il a traduit, pour la Bibliothèque latine-française, le traité de l’Orateur de Cicéron. 11° Des Notices historiques sur Louis XII, Guillaume Budée et Henri IV, insérées dans la Galerie française. 12° Andrieux fut, avec MM. Charles Nodier et Lepeintre, éditeur de la Bibliothèque dramatique, avec des notices et l’examen des pièces (la seconde livraison, 1824, contient : Anaximandre, les Étourdis et Molière avec ses amis). En 1800, Andrieux publia un recueil de Contes et opuscules en vers et en prose, 1 vol. in-8o. La plupart des contes en vers avaient déjà été insérés dans la Décade. Les contes en prose ont pour titre : le Contrat de mariage ; la Perruque blonde ; les Fausses Conjectures ; Amour et Humanité ; le Dernier Couvent de France. En 1817 les Œuvres d’Andrieux furent imprimées à Paris, 3 vol. in-8o ; mais ce recueil est loin d’être complet. Plusieurs pièces en ont été bannies par l’auteur. En 1823, il parut un tome 4e, contenant le Manteau, Lénore, des notices historiques, etc., et une édition en 6 vol. in-18, avec portrait. Depuis 1823, Andrieux a composé un Essai sur les langues, et il a rédigé plusieurs actes d’un drame historique sur la révolution d’Angleterre. Il s’était occupé d’un travail important sur Plaute. Il faisait imprimer, sous le titre de Philosophie des belles-lettres, son cours au Collège de France, et les deux premiers volumes étaient presque terminés ; il projetait de traduire en vers français gli Animali parlanti de l’abbé Casti ; il se disposait enfin à rédiger ses mémoires, lorsque, à l’époque de l’invasion du choléra, il sentit tout à coup ses forces s’affaiblir ; sa santé devint chancelante ; forcé d’interrompre son cours, il essaya plusieurs fois de le reprendre. On le pressait de se reposer : « Non, disait il, un professeur doit mourir en professant » Un jour qu’on insistait, il répondit : « C’est mon seul moyen d’être utile maintenant : qu’on ne me l’enlève pas ; si on me l’ôte, il faut donc me résoudre à n’être plus bon à rien, » Déjà les médecins l’avaient condamné ; mais il ne sentait pas sa fin s’approcher. Il ne pouvait se résoudre à quitter sa chaire : « Vous y périrez, lui dit-on un jour — Eh bien ! c’est mourir au champ d’honneur. » Et il allait mourir quand le jour de sa fête arriva : ses enfants et sa sœur vinrent l’embrasser, « des fleurs dans les mains, le sourire sur les lèvres et le deuil dans le cœur[3]. » Il était gai. riant, heureux… Quatre jours après il avait cesse de vivre, le 9D mai 1833, à l’âge de 73 ans. Un très-nombreux concours de membres de l’Institut, de savants, de littérateurs, d’artistes, d’anciens et de nouveaux élèves de l’école polytechnique, suivit son convoi. — Pendant trente ans de professoral, Andrieux a formé plusieurs générations d’hommes qui, en diverses carrières, ont illustré la France. Il fut juge intègre, législateur sans ambition, poëte aimable, joyeux conteur : il a revêtu d’un style plein de naturel et de grâce des idées philosophiques. Sa narration est ingénieuse, sa saillie piquante. sa gaieté pleine d’attachement. On lui a reproché une poésie négligée. Mais dans la comédie comme dans l’épitre et dans le conte, si la négligence est soignée, loin d’être un défaut, elle devient un mérite ; alors le vers peut ressembler à de la prose, seulement il ne lui est pas permis d’en être. Il faut cependant dire qu’écrivant sans prétention, Andrieux a plus d’une fois porté

  1. M. Leroy a déposé à la bibliothèque de Valenciennes, sa patrie, les lettres originales qui lui avaient été écrites par Andrieux, comme un monument l’estime et d’amitié de cet académicien. « Ces lettres manuscrites sont dit-il, mes titres, mes parchemins à moi. » Andrieux avait encouragé les premiers pas faits avec bonheur par M. Leroy dans la carrière des lettres.
  2. Ce journal a été continué jusqu’au 21 septembre 1807, et forme 34 vol. in-8o, recueil important et recherché pour l’esprit politique et littéraire de cette période de quatorze ans.
  3. Notice de M. Berville.