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que Napoléon lui avait dit un jour : « La comédie ne corrige personne ; les vices mis en scène sont toujours si brillants qu’on va les voir plutôt pour les imiter que pour les fuir. » Frappé de cette observation, Andrieux mit, dans sa nouvelle comédie, ces vers :

Souvent des jeunes fats on a fait le portrait :
Les grâces que toujours sur la scène on leur donne
Font qu’on les a joués sans corriger personne.
On trouve aimable en eux ce qui devrait choquer,
On va les applaudir au lieu de s’en moquer.


Andrieux a réduit plus tard le Vieux Fat en trois actes, mais il ne l’a pas remontré sur la scène. 12° La Comédienne, en 3 actes et en vers, 1816 ; la meilleure pièce d’Andrieux, après celle des Étourdis, et dont le succès s’est toujours soutenu, quoique les comédiens eussent d’abord pris pour une satire ce que les dévots regardaient comme une apologie. 13° Le Manteau, ou le Rêve supposé, 1826, élégant badinage, dont le succès, d’abord contesté, fut bientôt assuré par d’heureuses corrections. 14° Junius Brutus, tragédie en 5 actes et en vers, représentée sur la première scène française en 1828. On ne s’attendait guère à voir l’auteur des Étourdis chausser le cothurne à soixante-dix ans, et obtenir, dans cet âge avancé, un triomphe, tandis que Voltaire avait vu les siens s’arrêter à soixante-quatre ans. Sans doute les vers d’Andrieux n’ont point l’éclat de ceux de Voltaire. Sa pièce est moins forte, mais elle offre un intérêt plus touchant. Andrieux avait commencé cette tragédie sous la république, bien longtemps avant de la reprendre et de la terminer sous la restauration. Le premier acte était fini en 1797 ; (Voy. le Magasin encyclopédique, 2e année, 1797, t. 5, p. 277 et 390.) 1S° Le Jeune Créole, drame imité de Cumberland. 16° Lénore, imitation de la tragédie de Jane Shore, par Rowe, en 5 actes et en vers. Ces deux dernières pièces n’ont pas été composées pour être jouées, mais l’auteur les a fait imprimer et on les lit avec intérêt. — Les lettres présentaient au commencement de la révolution un rare phénomène : trois rivaux étroitement unis, les trois premiers auteurs de la scène comique (Picard, Andrieux, Collin d’Harleville), sans jalousie de leurs succès, s’aidant réciproquement de leurs conseils et même de leurs travaux, quoique leurs noms ne s’attachent jamais réunis à aucun de leurs ouvrages. Mais Andrieux fut le héros de cette trinité modèle. On ne sait pas assez tout ce que lui dut Collin, quoique Collin n’ait pas voulu le laisser ignorer. Dans l’avertissement de l’Inconstant (1786), son premier ouvrage et celui où il y a le plus de verve comique, il fait éclater sa reconnaissance pour les amis qui l’ont aidé ; mais ils n’ont pas voulu être nommés, et il se plaint que sa sensibilité rencontre ainsi des entraves. Dans sa préface de l’Optimiste (1788), Collin nomme enfin Andrieux, « cher à mon cœur, dit-il, par ses vertus et par son amitié… Je ne parle pas des vers qu’il m’a prêtés çà et là… je déclare qu’il y a dans l’Optimiste une scène tout entière de lui… ce n’est pas la moins bonne assurément, » Mais c’est surtout dans la préface de la comédie des Artistes (1797), que Collin explique lui-même pourquoi, comme le remarque Palissot dans ses Mémoires, la verve comique de l’auteur de l’Inconstant était toujours allée s’affaiblissant dans l’Optimiste, dans les Châteaux en Espagne et dans le Vieux célibataire. C’est que, encouragé par ses succès dans un genre doux et sentimental qui faisait tourner ses comédies au drame, il avait cru moins nécessaire d’invoquer la verve spirituelle et piquante de l’auteur des Étourdis. Mais la chute des Artistes, précédée de celle d’une autre pièce (Être et paraitre), jeta Collin dans un grand abattement, et il s’exprime ainsi dans la préface des Artistes : « Pénétré d’une mélancolie profonde et sans remède.., et toujours seul dans mes bois, j’allais m’y ensevelir pour jamais… Mes amis m’ont retenu, m’ont ranimé, m’ont presque forcé de retoucher ma pièce. Le plus cher de tous ces amis, l’aimable auteur des Étourdis, qui, depuis ce premier chef-d’œuvre, n’a, je crois, à quelques charmants contes prés, fait de vers que pour moi, qui semble avoir mis son bonheur dans mes succès, son orgueil dans ma réputation, Andrieux, non content de m’avoir déterminé à corriger ces Artistes, ne m’a plus quitté pendant le temps de ce travail ingrat. Conseils, critiques, secours, j’ai tout trouvé en lui : que ne lui dois-je pas ? Oui, je me fais un devoir, un de délice de rendre un hommage éclatant à ce modeste et généreux ami. Cher Andrieux ! puissent nos deux noms n’être jamais séparés ! » Cet aveu naïf aurait du désarmer la critique la plus malveillante ; mais Palissot sut y trouver matière au persiflage le plus amer. (Voy. ses Mémoires.) — Les poésies fugitives d’Andrieux lui ont assigné, dans le conte et dans l’épître, une des premières places parmi les poëtes de notre âge : à la marche libre et dégagée d’Horace il unit plus d’une fois la naïveté de la Fontaine et l’esprit de Voltaire, Son style, connue celui de ces trois écrivains, c’est-à-dire celui qui convient aux deux genres, est léger, facile et négligé. Dans l’Épître au pape (1790), Andrieux trace le plan d’une bulle philosophique où le souverain pontife est censé avouer ce qu’on a appelé le secret de l’Église. Quoique cette pièce eût toute l’empreinte de l’esprit du temps, Fabre d’Églantine en fit une critique acerbe qu’il intitula : Réponse du pape. On trouve aussi l’esprit du temps dans les Français au bord du Scioto, épître à un émigrant pour Kentuky (Mercure de février 1791). Cette épître devait fournir à l’auteur le sujet d’une comédie. La Réponse des chevaliers français au prince de Neuwied porte également le cachet de l’époque où elle fut publiée (Moniteur, 1792). Le Meunier de Sans-Souci (1797) est un des plus jolis contes d’Andrieux. Laharpe voulut en enrichir sa correspondance littéraire avec le grand-duc de Russie : « Il y a, disait-il, de la gaieté et du naturel dans la versification. Cela vaut un peu mieux que nos rapsodies de théâtre. » Le conte est terminé par ces deux vers sur Frédéric le Grand :

Il mit l’Europe en feu, ce sont là jeux de prince :
On respecte un moulin, on vole une province.