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fils ignoble, et incapable d’occuper aucune place. On croit que le projet du maréchal était de se rendre indépendant, en cas de disgrâce, et que c’est dans ce dessein qu’il fit fortifier Quillebœuf, en Normandie, malgré les défenses du parlement. Il allait acheter, au moment de sa mort, le comté de Montbéliard pour s’y retirer. Il laissa des biens immenses. Outre le revenu de ses charges, qui montait à 1 million de livres, il avait plusieurs millions placés en France, a Rome et à Florence. Une fortune si considérable ne pouvait manquer d’exciter l’envie. Ses ennemis ont dû profiter de son imprudence pour aggraver ses torts. Il a pourtant trouvé des apologistes. Le maréchal d’Estrées (Mémoires de la Régence de Marie de Medicis), ainsi que Bassompierre, le disculpent d’une partie des torts que lui imputa une cour qui avait intérêt à les exagérer, pour justifier la manière dont on s’était défait de lui : « Concini était, disent-ils, un galant homme, d’un bon jugement, d’un cœur généreux, libéral jusqu’à la profusion, de bonne compagnie, et d’un accès facile. Avant les troubles, il était aimé du peuple, auquel il donnait des spectacles, des fêtes, des tournois, des courses de bagues, dans lesquels il excellait, parce qu’il était beau cavalier, et adroit à tous les exercices. Il jouait beaucoup, mais noblement, et sans passion. Il avait l’esprit solide, enjoué, d’une tournure agréable. » On fit paraître, en 1617, une tragédie en quatre actes et en vers, intitulée : le Maréchal d’Ancre, ou la Victoire du Phébus français contre le Python de ce temps. Les stances de Malherbe, sur la chute du maréchal d’Ancre,

Va-t’en à la malheure, excrément de la terre,
Monstre qui dans la paix faix les maux de la guerre…


parurent aussi cette même année, 1617 ; les trois dernières sont imitées des vers que Claudien avait composés après la mort de Ruffin, favori de Théodose. B-y.


ANCRE (Léonore Dori, dite Galigaï, maréchal D’), née dans la plus basse classe du peuple ; elle dut sa fortune au hasard qui fit choisir sa mère pour nourrice de Marie de Médicis. Lorsque cette princesse vint en France en 1600, pour épouser Henri IV, Galigaï, mariée à Concini, suivit cette princesse en qualité de femme de chambre : elle prit un tel ascendant sur l’esprit de la reine, « qu’elle réglait à son gré, dit Mézerai, ses désirs, ses affections et ses haines. » Galigaï, vendue aux ’Espagnols, entretint la mésintelligence qui régnait entre Henri IV et Marie de Médicis ; maîtresse absolue de l’esprit de la reine, elle réveillait sa jalousie par de faux rapports, et l’aigrissait par ses conseils. Plus d’une fois ce prince essaya de chasser sa cour une femme aussi dangereuse, mais la reine n’y voulut jamais consentir, et Jean de Médicis, qui, à la prière du roi, s’était chargé d’une commission si délicate, déplut tellement à la reine par cette démarche, que depuis elle ne cessa de le persécuter, et le força de quitter la France, Après la mort de Henri IV, Galigaï ne mit plus de frein à son ambition ; son mari fut élevé aux premières dignités ; et, disposant elle-même de tout dans la royaume, elle poussait l’insolence jusqu’à fermer sa porte aux princesses et aux grands que sa faveur attirait. Le roi lui-même n’était point à l’abri de ses caprices ; un jour que ce jeune prince s’amusait à de petits jeux dans son appartement, la maréchale d’Ancre, que ce bruit importunait, osa lui faire dire de cesser, parce qu’elle avait la migraine ; Louis, outré de son audace, répondit, « que si la chambre et de la maréchale était exposée au bruit, Paris était assez grand pour qu’elle pût en choisir une autre. » Cependant l’orage grossissait sur la tête de deux favoris également haïs du jeune roi, du peuple et des grands. La mort de plusieurs personnages importants, sacrifiés à la vengeance du maréchal et de sa femme, mit le comble à la haine ; enfin, le 24 avril 1617, le roi donna l’ordre d’assassiner Concini, et cette mort, qui devait bientôt entraîner celle de la Galigaï, ne lui coûta pas une larme ; elle parut plus émue lorsqu’on lui apprit que le cadavre du maréchal avait été exhumé et pendu. Néanmoins elle répéta plusieurs fois qu’il était un presomptous, un orgueillous, et qu’il n’avait que le sort qu’il méritait. Occupée exclusivement du soin de sauver ses pierreries, elle les mit dans un de ses matelas, se coucha dessus, et ne céda qu’a la violence. Lorsque les archers, venus pour emporter ces riches dépouilles, la forcèrent de se lever, elle refusa longtemps de suivre ceux qui voulaient la conduire à la Bastille. « Ils ont tué mon mari, disait-elle, n’est-ce pas assez pour contenter leur haine ? qu’ils me laissent sortir du royaume. » Son appartement ayant été pillé par les archers, elle arriva à la Bastille dans une telle détresse, qu’elle manquait de linge ; une femme de la cour lui envoya deux chemises, et son fils, quoiqu’il fût aussi arrêté, lui fit passer quelques pièces de monnaie. Le procès de la Galigaï, traduite devant une commission extraordinaire, qui fut nommée pour faire le procès à la mémoire du maréchal, commença le 3 mai 1617. Les circonstances en sont rapportées fort en détail par Legrain, dans ses Décades de Louis le Juste. Il est curieux d’observer que la favorite d’une grande reine, qu’une femme qui avait tenu en quelque sorte le timon des affaires, dont la cupidité avait mis a prix les principaux emploi de l’État, et dont les intelligences avec l’étranger pouvaient donner quelque apparence d’équité à son jugement, ne fut condamnée que comme coupable de judaïsme et de sortilège. On passa légèrement sur ce qui aurait dû faire l’objet principal du procès. La seule circonstance raisonnable sur laquelle on interrogea Galigaï fut l’avertissement qu’elle avait reçu de la mort de Henri IV, et le soin qu’elle avait mis à s’opposer à la recherche des auteurs de l’assassinat. La manière dont elle repoussa ces inculpations éloigne d’elle et de la reine toute idée de complicité. Les principales accusations portèrent donc sur le crime de sorcellerie, et les preuves furent des lettres écrites par son secrétaire à un médecin juif, nommé Montallo. La Place, écuyer de la maréchale, soutint devant les juges que, depuis l’arrivée de ce juif italien à la cour, elle avait cessé d’aller à la messe,