Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/655

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
639
ANC

l’intelligence du jeune Ancillon n’était pas demeurée inactive, en revanche la fortune lui avait peu souri encore. Une circonstance providentielle mit un terme à ce vague de sa destinée en lui donnant un protecteur auguste. En 1791, le frère du grand Frédéric, le prince Henri de Prusse se trouvant à Rheinsberg, alla visiter le temple : on y célébrait un mariage ; le pasteur charge de prononcer le discours nuptial était Ancillon ; il y mit tant de véritables piété, tant d’onction, que le prince fut vivement ému. Ici commence la fortune du prédicateur ; il devint ministre à l’égIise française réformée de Berlin, puis professeur à l’Académie royale et militaire de la même ville. L’impression qu’il avait produit auprès d’un des membres de la famille royale, il la produisit encore, chose remarquable, sur le souverain lui-même, Frédéric-Guillaume II, dont on sait les préoccupations mystiques et qu’il convertit à des idées plus saines. Un grand esprit ne reste jamais étranger aux événements qui touchent à la fortune de son pays, aussi bien les circonstances ouvertes par la révolution française agirent-elles sur le paisible ministre de la religion. On était en 1793 : il prit pour texte de ses discours l’amour de la patrie. Quel beau sujet d’inspiration, mais quel temps que celui où il embrassait ce sujet ! Les discours qu’il prononça sur ce texte furent encore publics à Berlin en 1793, comme l’avait été précédemment, en 1791, son sermon de l’église de Rheinsberg. Il préluda ensuite à ses travaux historiques par un Essai sur la première révolution belge, sous Philippe II, sujet intéressant, comme on voit, et qui n’était pas sans analogie avec les choses de l’époque. En 1796, Ancillon s’éleva plus haut dans les champs du passé : il publia une brochure intitulée : Considérations sur la philosophie de l’histoire, avec une introduction dont l’auteur était le baron de Gentz, si influent depuis dans les conseils de l’Europe coalisée. Bientôt après, en 1801, parurent à Berlin les Mélanges de littérature et de philosophie morale. C’est que chez Ancillon l’historien ne se séparait guère du philosophe, comme il est vrai que les deux genres se confondent sur beaucoup de points. Les Mélanges furent réimprimés en 1809, comme ils le furent encore plus tard ; réimpressions que nous placerons à leurs dates et qui nous fourniront alors l’occasion d’apprécier l’ensemble des idées philosophiques de l’auteur. Voici venir maintenant son ouvrage capital, celui auquel il attachait avec raison sa gloire d’écrivain, nous voulons parler du Tableau des révolutions dans le système politique depuis la fin du 13e siècle. Il était écrit en français, et fut traduit ensuite en allemand par Ancillon lui-même, sous le titre de Considérations générales sur l’histoire, Berlin, 1806, in-8°. Nous ne voulons pas exagérer la portée de ce livre : les études historiques n’avaient pas reçu à cette époque l’impulsion qui leur fut imprimée depuis dans toute l’Europe : et d’ailleurs en ce temps-là les événements marchaient d’un tel pas qu’on avait peu de loisir pour les écrire ; mais assurément l’auteur du Tableau de l’Europe y a répandu des vues sages, et des aperçus qui, pour ne pas viser à être transcendant, n’en sont peut-être que plus vrais. L’objet du livre est de montrer la naissance et la formation du système de l’équilibre européen, que l’auteur voudrait appeler le système des contreforces ; ce qui parait juste, l’équilibre n’ayant en effet jamais réellement pu exister ; l’époque que l’historien a retracée, aussi bien que le temps présent, le prouvent surabondamment. On petit ne pas être d’accord avec Ancillon sur les faits qui, selon lui, ont fondé le système dont il fait l’histoire ; mais assurément tous les gouvernements ont, sans parti pris peut-être. comme il le prétend, mais par la force des choses et par la nécessite qu’ils ont de se conserver, tendu constamment vers ce but. En général, un état social ne se prémédite guère ; ce sont les circonstances, les temps, les lieux qui le fondent, comme il est arrive, par exemple pour la féodalité. Le style de l’ouvrage dont nous venons d’énoncer l’idée est facile et limpide : l’auteur n’a pas oublie la langue de ses ancêtres ; mais son style (jamais il ne fut plus vrai de le dire) est l’homme lui-même : modéré, conciliant, jamais intolérant ; mais, par intervalles, un peu exubérant et diffus. Une grave assemblée récompensa Ancillon par son suffrage : l’Institut de France l’appela le digne héritier de §Leibnitz. (Rapport de la commission, 1810.) L’académie de Berlin ne fit pas moins d’honneur à Ancillon ; il devint un de ses membres, et fut charge par elle de prononcer l’éloge de Merian. Précédemment (1806) il avait publié un livre qui se rapprochait de ce genre académique ; c’était un Essai sur les grands caractères. Le gouvernement n’était pas resté en arrière avec lui, et des 1807, le baron de Stein lui avait confie l’éducation du prince héréditaire et celle du prince Frédéric-Guillaume Louis, neveu du roi. Le choix était mérité ; et Ancillon ne pouvait faire de ses élèves que des hommes qui répondraient aux leçons, d’un tel maître. Il fut ensuite nommée conseiller d’État, chevalier du Mérite civil et de l’Aigle noir. Il était du reste tout dévoué aux intérêts de son pays : l’oraison funèbre de la reine de Prusse, qu’il prononça en 1810, témoigne de ses sentiments patriotiques ; aussi bien son discours fut-il mis à l’index par l’empereur Napoléon, et ne put-il pas être d’abord publié en France. 1814 le releva de cet ostracisme qui l’éloignait d’un pays qu’il devait cependant aimer : pour la seconde fois il vint alors à Paris avec ses élèves. Au retour, l’éducation des princes étant achevée, Ancillon put mettre à profit les observations qu’il avait recueillies, les vues nouvelles que la rapide expérience de ce temps-là lui avait pu donner. Il prit une part active aux affaires, en remplissant, sous MM. de Hardenberg et de Bernstorff, les fonctions de chef de la division des affaires étrangères. Avec de tels ministres, ce n’était pas sans doute le premier rôle qui lui devait échoir ; mais il rendit d’incontestables services et sut s’acquérir l’influence du caractère ; il fut, au surplus, l’auteur des notes échangées alors avec les autres puissances ; c’est-à-dire que ces communications diplomatiques furent empreintes du ton de modération qui lui était propre, et qui, d’ailleurs, s’accordait