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ses faubourgs. Amurath fut souvent leur arbitre, et leur parla toujours en maître. Il signala, par la prise d’Ancyre, la première année de son règne : l’année ottomane passa ensuite le détroit de Gallipoli, s’empara de la plupart des villes de la Thrace, mit le siége devant Andrinople, et réduisit cette ville sous l’obéissance su sultan, avec toute la Thessalie, à l’exception de Thessalonique. Amurath transféra à Andrinople le siége de son empire, et y fit bâtir une superbe mosquée, appelée encore aujourd’hui temple de Morad. Il embellit aussi la ville de Prus. Le sultan sema la division parmi les princes de l’Asie mineure, et les ménagea avec tant d’adresse que la plupart offrirent d’eux-mêmes de tenir leur souveraineté comme une espèce de fief des empereurs ottomans. Chaque année valait au petit-fils d’Orkan une nouvelle province en Europe. Il pénétra dans la Macédoine et dans l’Albanie ; enfin, ce qu’il n’entreprit pas faute de vaisseaux, présagea tout ce que ses successeurs pourraient bientôt oser. Pour assurer sa puissance, ce sultan, dont le génie égalait la fortune et la valeur, fonda la milice des janissaires, armée permanente, formée d’abord de jeunes chrétiens, enfants de tribu, ou pris à la guerre, tous dévoués au maître à qui leur vie appartenait ; phalange invincible dès son institution, puisque sa vocation était de combattre, et son devoir, de mourir les armes à la main. Au moment de leur formation, un dervis placé à la tête de leurs rangs, leur donna sa bénédiction en prononçant ces paroles : « Qu’on les nomme janissaires ou nouveaux soldats ; puisse leur valeur être toujours brillante, leur épée, tranchante, et leur bras, victorieux ! puissent tous leurs traits porter à la tête de leurs ennemis, et puissent-ils revenir blancs de toutes leurs expéditions ! » Les janissaires furent longtemps la terreur des ennemis, et, quelquefois, celle les sultans. Il est difficile de dire à quelles bornes l’ambition d’Amurath se serait arrêtée, s’il n’eût trouvé la mort au sein même de la victoire. Alarmés de l’accroissement de sa puissance, les peuples voisins de l’Albanie et de la Macédoine formèrent une ligue pour défendre leur indépendance. Les Valaques, les Hongrois, les Dalmates et les Serviens composèrent cette espèce de confédération, dont Lazare, prince de Servie, fut le chef. Amurath marcha au-devant des ennemis, qu’il rencontra dans les plaines de Cassovie, l’an de l’hégire 791 (1389 de J.-C.). Là, se donna une bataille sanglante ; la victoire fut longtemps disputée ; enfin les chrétiens plièrent, Lazare fut fait prisonnier, et, presque tous les autres chefs ayant été tués, le reste prit la fuite, et fut taillé en pièces. Cette victoire anéantissait la ligue, et l’indépendance des tribus de l’Esclavonie. Amurath, en parcourant la scène du carnage, remarquait que la plupart des morts n’étaient que des adolescents ; son vizir lui répondit que des hommes d’un âge raisonnable n’auraient pas entrepris de lui résister ; tandis que le sultan prêtait l’oreille aux flatteries du courtisan, un soldat servien, caché parmi les morts, s’élança sur lui, et lui porta un coup mortel. Les Ottomans consternés jurent de venger Amurath ; ils dressent sur le champ de bataille la tente du sultan, le placent dessous, reprennent leurs rangs avec une ardeur et une furie sans égale, et font massacrer, aux pieds d’Amurath expirant, le prince de Servie, et les autres chefs, prisonniers de guerre. Le règne d’Amurath fut de 29 ans, et sa vie, de 70. Pendant cette longue carrière, il entreprit trente-neuf guerres, qu’il termina toutes avec gloire. Amurath fut ambitieux, entreprenant, et toujours heureux. Comme guerrier, il fit couler plus de sang que ses deux prédécesseurs ; mais, sous lui, la gloire ottomane prit un essor bien plus élevé, et brilla sur un plus grand théâtre ; comme souverain, il se montra juste, sévère et religieux. Il ne laissa jamais le crime impuni, pas même dans ses propres enfants : jaloux de son autorité, il fit crever les yeux à un de ses fils rebelle, et fit mourir dans d’horribles supplices tous ceux qui avaient pris part à la révolte. Il était ennemi du faste, à tel point qu’il ne portait jamais que des habits de laine : enfin sa piété ne peut être mieux attestée que par la leçon publique que le muphti osa lui faire, et qu’il reçut avec soumission. Le sultan était venu déposer comme témoin devant le tribunal du muphti, qui, dans l’empire ottoman, est à la fois pontife et juge. « Partout ailleurs ta parole est sacrée, lui dit le chef de la religion et des lois, mais ici, elle ne doit être comptée pour rien : tu n’assistes point au namaz. » En effet, les sultans ne participaient point à cette prière publique que les musulmans font en commun : ils se contentaient de prier dans l’intérieur de leur palais. Amurath retira son témoignage, reconnut sa faute, assista au namaz, et fit bâtir une mosquée. L’accomplissement de tant de devoirs divins et humains, ses brillantes qualités, ses conquêtes et sa gloire, dont la religion était le principe et le but, ont fait donner à ce prince le nom de Khodovendikar, c’est-à-dire l’ouvrier de Dieu. Ildérim Bajazet, son fils aîné, fut proclamé, sultan. S-y.


AMURATH II succéda à son père Mahomet Ier, l’an de l’hégire 825, (1422 de J.-C.), n’ayant alors que dix-huit ans. Les malheurs de Bajazet, son aïeul, avaient mis l’empire ottoman sur le penchant de sa ruine ; mais les déchirements intérieurs, fomentés par l’interrègne, avaient donné une nouvelle vigueur aux sujets, et semblaient avoir trempé l’âme des sultans dans l’adversité. Né au milieu des discordes civiles et des dangers publics, Amurath apporta sur le trône ce courage mâle et cette force de volonté qui ne connaît point d’obstacles. Peu de temps après son avènement, il s’éleva un imposteur qui, appuyé par l’empereur grec, prétendait être Mustapha, fils de Bajazet ; mais, après avoir battu le grand-vizir, il fut défait par Amurath, et mis a mort. Le sultan investit ensuite Constantinople avec une puissante armée ; mais il échoua dans son projet : car l’empereur grec fit soulever, contre lui, Mustapha son jeune frère. Ce prince fut bientôt fait prisonnier, et étranglé en présence d’Amurath. D’autres troubles, survenus en Asie, furent apaisés par les généraux du sultan. En 1426, Amurath dévasta l’île de Zante, appartenant aux Vénitiens. L’année suivante, il soumit