Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/631

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
615
AMR

de sa mort différent beaucoup chez les divers historiens ; mais l’époque peut en être fixée à l’an 289 de l’hégire (902 de J.-C.). Amrou avait régné 23 ans. Il se montra digne des faveurs de la fortune par ses vertus miliaires ; il parut supérieur à ses revers, par la grandeur d’âme avec laquelle il les supporta. Il n’eut pas moins de férocité que la plupart des autres chefs de dynasties asiatiques. On lui reproche beaucoup d’avarice. Sa politique consistait surtout à élever de jeunes garçons, qu’il donnait ensuite en présent à ses officiers, et ces jeunes gens, comblés de ses faveurs, lui rendaient compte de toutes les actions de leurs maîtres. Amrou révélait ensuite à ces mêmes officiers leurs plus secrètes démarches, et il n’en fallait pas davantage pour leur persuader que le prince avait des relations avec les génies. On peut dire, avec vérité, qu’en sa personne finit la dynastie des Soffarides, dont on place les commencements à l’an 250 (872 de J.-C.) ; car on ne doit pas mettre au nombre des souverains de cette maison Thaher, petit-fils d’Amrou, qui fut déclare son successeur dans le Systan, mais qui n’eut qu’une puissance très-précaire dans cette province, et encore moins Amrou, arrière-petit-fils d’Amrou-Ben-Leïts, qui ne fut qu’un fantôme, dont les kharidjy du Systan se servirent pour se soustraire au pouvoir des Samanides. Enfin, quelques historiens placent parmi les Soffarides Ahmed Ben-Khalaf. J-n.


AMROU-EN-EL-ASS, l’un des plus célèbres capitaines des premiers temps de l’islamisme, était le fils d’une prostituée, qui, dit-on, de cinq koréiches qu’elle recevait chez elle, ne put dire lequel était le père de cet enfant. Amrou s’adonna dans sa jeunesse à la poésie, et fit des vers satiriques contre Mahomet. Sa haine contre le prophète fut telle qu’il alla poursuivre en Abyssinie les musulmans qui s’y étaient réfugiés ; mais enfin il se convertit à la doctrine du Coran, et en fut un des plus zélés propagateurs. Quoiqu’il ait figuré dans les différentes guerres qui eurent lieu sous Abou-Bekr, et le commencement du règne d’Omar, la conquête d’Égypte est néanmoins son plus beau titre de gloire. À la mort d’Abou-Obeïdah, Amrou, malgré l’opposition d’Otman, fut nomme gouverneur de la Syrie, qu’il avait contribué à soumettre. Il se dirigea aussitôt après vers l’Égypte, et à peine était-il parti de Gaznah, qu’on lui remit une lettre d’Omar, qui lui ordonnait de revenir sur ses pas, s’il n’était point encore entré en Égypte, mais qui le laissait libre de continuer sa route s’il en avait dépassé les frontières. Le ruse Amrou fait alors doubler le pas à ses troupes, et, lorsqu’il est assez avancé, il ouvre la lettre d’Omar, et la lit en présence des officiers ; il interroge ensuite les habitants sur le nom et la situation géographique du lieu où campait l’armée, et, comme on lui répondit qu’il était sur les frontières d’Égypte : « Continuons donc notre marche, » dit-il à ses généraux. Quoiqu’il n’eût avec lui que 4,000 hommes, Sarmah, ou Peluse, tomba en son pouvoir, et Mesr subit le même sort, après un siége de sept mois. Amrou, aussitôt après cette dernière conquête, à laquelle la trahison du commandant grec contribua beaucoup, jeta les fondements d’une nouvelle ville, nommée alors Fostat, et aujourd’hui le vieux Caire. Il continua sa marche, et vint assiéger Alexandrie. Dans toutes les attaques, le glaive et le drapeau d’Amrou brillaient à l’avant-garde. Un jour, les guerriers qu’il avait à sa suite avaient pénétré dans la citadelle, mais ils en furent chassés, et le général, qui ne voyait plus autour de lui qu’un ami et un esclave, demeura au pouvoir des Grecs. Lorsqu’on le conduisit devant le préfet, son maintien audacieux et son langage fier pouvaient avertir qu’il était le chef des musulmans, et la hache d’un soldat, déjà levée sur lui, allait abattre la tête de l’insolent captif. Sa vie fut sauvée par la présence d’esprit de son esclave, qui frappa son maître au visage, et qui, d’un ton irrité, lui ordonna de garder le silence devant ses supérieurs. L’officier grec fut trompé ; il écouta la proposition d’un traité, et renvoya ses prisonniers, qui se donnaient pour les députés des musulmans ; mais bientôt les acclamations du camp ennemi annoncèrent le retour d’Amrou. La conquête d’Alexandrie coûta aux Sarrasins 23,000 hommes. « J’ai pris la grande ville de l’Occident, écrivait Amrou au calife : il n’est pas possible de faire l’énumération des richesses et des beautés qu’elle contient. Amrou eut assez d’influence sur les fanatiques qu’il commandait pour préserver la ville du pillage, il ne fut pas cependant le maitre d’empêcher l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, dont Jean le Grammairien lui avait demandé la conservation et la propriété ; Amrou ne voulut point disposer de cette bibliothèque sans la permission du calife, et bientôt arriva l’ordre d’Omar qui lui commandait de la livrer aux flammes, ce qu’il exécuta avec une funeste exactitude. Il est bon d’observer cependant que ce fait, digne de la barbarie d’Omar, mais non de l’âme généreuse d’Amrou, est encore aujourd’hui un point de contestation entre les savants. Un gouvernement sage et ferme, une adroite politique, concilièrent à Amrou l’esprit des Égyptiens. Il fit creuser un canal qui joignit la mer Rouge à la Méditerranée ; entreprise digne de son génie, et qui avait été tentée, peut-être même exécutée, par les Pharaons et les Ptolémées. De l’Égypte, Amrou étendit ses conquêtes dans les parties voisines de l’Afrique. Lorsqu’Otman, eut été nommé calife, il rappela Amrou prés de lui ; mais les habitants, mécontents de ce changement, se révoltèrent, et livrèrent la ville à la flotte grecque. Amrou revint bientôt reconquérir cette ville, et eut le pouvoir d’empêcher le massacre des habitants. Le faible Otman, ne pouvant se passer de l’appui de ce grand général, le rappela près de lui. En 646, lorsqu’Ali fut élevé au califat, Amrou se déclara pour Moawyah, et vint à bout, par son adresse, de placer la couronne sur la tête de son favori (voy. Ali), échappé au poignard des Kharidjy ; il reçut de Moawyah le gouvernement d’Égypte, en 658 ou 59, et le conserva jusqu’à sa mort, arrivée l’an 42 de l’hégire (662-3). La piété d’Amrou l’a fait mettre au nombre des sept compagnons de Mahomet connus sous le nom de Sélef ; ses victoires l’ont placé au rang des plus grands conquérants qu’aient produits les premiers siècles de