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du collège de France ; de l’autre, Cabanis, Destut de Tracy, Maine de Biran, de Gérando, etc. Ici on essayait de sonder, d’analyser les mystères de l’intelligence ; là, cette intelligence, telle que la nature nous la départit, telle que l’éducation la perfectionne et l’étend, créait chaque jour de nouveaux prodiges. Les psychologismes cherchaient de quelle manière on invente ; les géomètres, les chimistes, les physiciens inventaient. Sans trop s’occuper du comment cela se faisait, ils découvraient soit les formes analytiques où sont actuellement renfermées les lois des mouvements des astres, soit les règles subtiles des actions moléculaires, lesquelles, tout en nous mettant sur la voie des causes d’un grand nombre de phénomènes naturels, éclairaient les procédés des arts, développaient la richesse nationale. Ils saisissaient enfin les nouvelles propriétés de la lumière, de l’électricité, du magnétisme, qui ont jeté tant d’éclat sur les premières années de ce siècle. Ballottée entre deux écoles, si l’expression est permise, l’ardente imagination d’Ampère subissait journellement d’assez rudes épreuves. On ne saurait dire avec certitude sous quel aspect les sciences exactes étaient alors envisagées par les métaphysiciens ; mais il est certain que les géomètres, les chimistes accordaient peu d’estime aux recherches purement psychologiques. Ce tort s’amoindrira sensiblement aux yeux de ceux qui voudront bien considérer qu’en métaphysique tout se lie, se tient, s’enchaîne, comme les mailles du tissu le plus délicat ; en telle sorte qu’un principe ne saurait être détaché de l’ensemble de définitions, d’observations et d’hypothèses dont il découle, sans perdre beaucoup de son importance apparente et surtout de sa clarté. Lorsque Ampère, encore vivement ému des entretiens qu’il venait d’avoir avec les psychologismes, allait étourdiment, c’est-à-dire sans préparation, jeter l’émesthèse, par exemple, au milieu d’une réunion de géomètres, de physicien ou de naturalistes ; lorsqu’en cédant à son enthousiasme, il soutenait qu’un mot obscur, ou du moins incompris, renfermait la plus belle découverte du siècle, n’était-il pas naturel qu’il rencontrât des incrédules ? Tout aurait été même dans l’ordre, si l’extrême bonté d’Ampère n’avait autorisé les incrédules moqueurs à usurper la place des incrédules sérieux. On trouve dans la correspondance manuscrite du savant géomètre avec M. Bredin de Lyon, qu’en 1812 et 1814 il rêvait la publication d’un livre qui aurait été intitulé : Introduction à la philosophie. Le fameux anathème de Napoléon contre l’idéologie n’avait pas découragé Ampère ; il lui semblait, avec raison, que la violence contribuerait à propager ce genre d’études plutôt qu’à le restreindre. Il élaborait alors sa « théorie des relations, sa théorie de l’existence, des connaissances subjectives, des connaissances objectives et de la moralité absolue. » Le profond penseur se jugeait loi-même incapable d’éclairer d’une, manière suffisante des sujets si difficiles, s’il ne trouvait pas occasion de les soumettre à des discussions verbales. Malheureusement cette occasion tant désirée lui manquait à Paris : Maine de Biran était retourné à Bergerac, et, dans le reste des habitants de l’immense capitale, pas un ne paraissait alors prendre intérêt. sous le point de vue métaphysique, au subjectif, à l’objectif et à la moralité absolue. Ampère reports alors ses vues du côté ·de ses amis d’enfance, et résolut de retourner momentanément à Lyon. Les conditions du voyage avaient été strictement formulées par lui : certitude complète d’au moins quatre après-dinées par semaine, consacrées à des débats sur l’idéologie ; promesse formelle qu’on lirait, qu’on examinerait chaque jour, du point de vue de la rédaction et de la clarté, les pages que chaque jour aurait vu naître. Les réponses des amis de Lyon furent loin de satisfaire le savant métaphysicien ; aussi écrivait-il à M. Bredin : « Combien est admirable la science de la psychologie ! et, pour mon malheur, tu ne l’aimes plus. » « Il faut, disait-il ailleurs, pour me priver de toute consolation sur la terre, que nous ne puissions plus sympathiser en matière de métaphysique… Sur la seule chose qui, m’intéresse, tu ne penses plus comme moi… c’est un vide affreux dans mon âme. » À Lyon, on avait trouvé la psychologie d’Ampère un peu sèche et minutieuse. Il répondait sur un ton lyrique : « Comment quitter un pays plein de heure et d’eaux vives ; comment quitter des ruisseaux, des bocages pour les déserts brûlés par les rayons de ce soleil mathématique qui, répandent sur les plantes la plus vive lumière, les flétrit, les dessèche jusqu’à la racine… Oh ! qu’il vaut mieux errer sous des ombrages mobiles que de marcher le long d’une route droite, ou l’œil embrasse tout, où aucun objet ne semble fuir pour nous exciter à le poursuivre. » L’avenir marquera la place d’Ampère parmi les psychologistes. On peut dire des ce moment que la plus étonnante pénétration, que la rare faculté de saisir d’immenses généralisations dans un tourbillon de minutieux détails, que le génie enfin brille dans les recherches métaphysiques de l’illustre savant, comme au milieu des admirables travaux de physique mathématique qui forment aujourd’hui la partie la plus solide, ou, si on l’aime mieux, la plus reconnue, la plus incontestée de sa renommée scientifique. Autant que le sujet pouvait le permettre, Ampère se rapprochai de la voie expérimentale. Ce n’est, certainement pas de sa bouche que sortirent jamais ces incroyables paroles attribuées à un psychologiste : Je te méprise comme un fait. Les faits, il en tenait un compte respectueux : c’est à les enserrer dans les théories qu’il appliquait surtout sa merveilleuse perspicacité. Quand, par extraordinaire, ses efforts restaient infructueux, les théories étaient immédiatement changées ou abandonnées. Parmi les lecteurs de cet article, il se trouvera probablement des personnes à qui ces mots rappelleront et les premières idées d’Ampère sur l’instinct des animaux, et la manière franche et nette dont il les modifia. Nous ne quitterons pas ce sujet avant d’avoir montré, par un exemple frappant, combien Ampère, malgré l’extrême vivacité qu’il apportait dans les discussions, était, au fond, loyal,