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verve et d’originalité, etc. Schiller y paraissait dans les derniers temps. Certes, ce n’est qu’en réunissant au plus rare mérite les grandes qualités de l’esprit et du cœur, que la souveraine d’un petit État est parvenue à rassembler autour d’elle plus de beaux génies et d’hommes distingués qu’aucune cour contemporaine. Ce qui prouve que cet heureux ascendant était dû à son caractère personnel plus qu’à son rang et à son pouvoir, c’est qu’elle le conserva intact depuis l’an 1775, époque où elle déposa l’autorité entre les mains de son fils aîné. Sa maison à Weimar, ses retraites champêtres de Tieffurt et d’Ettersburg, continuèrent à être le rendez-vous de tous les écrivains, de tous les voyageurs distingués. M. Mounier fur, pendant plusieurs années, directeur d’un pensionnat qu’elle avait établi dans le château du Belvédère, près de Weimar. Un voyage qu’elle fit en 1788, en Italie, accompagnée de l’auteur de Werther, accrut encore son goût pour les arts, et sa cour fut, plus que jamais, le rendez-vous de tous les hommes supérieurs, l’asile du mérite ignoré ou méconnu : héritière des grandes qualités de la maison des Guelfes, et de leur amour pour les sciences, elle eut la gloire d’avoir honoré et encouragé les écrivains d’Allemagne les plus célèbres, après Leibnitz, qui avait été considéré et protégé par une princesse de sa maison. Herder mourut avant sa bienfaitrice ; il ne vit pas la journée du 14 octobre 1808. Amalie en fut témoin, et mourut quelques mois après. S-r.


AMALRIC (Arnaud), 17e abbé de Citeaux, fut choisi, en 1204, par Innocent III, avec Pierre de Castelneau et Arnoul, pour travailler à la conversion des Albigeois, dont la secte faisait des progrès dans le Languedoc et la Provence. Ces trois légats furent revêtus de pleins pouvoirs dans les provinces d’Arles, d’Aix et de Narbonne ; mais leurs prédications eurent d’abord peu de succès ; l’évêque d’Osma, en Castille, qui vint à cette époque avec St. Dominique, visiter l’abbé de Citeaux, conseilla aux légats de renoncer à l’appareil somptueux dont ils se faisaient accompagner, et leur fit entendre qu’ils ne parviendraient à convertir les hérétiques qu’en imitant la simplicité des apôtres. Les trois missionnaires, ayant suivi ce conseil, ne trouvèrent pas les Albigeois plus dociles. Comme l’ardeur des croisades n’était pas encore éteinte dans les esprits, Innocent III imagina de tourner contre les hérétiques les armes qu’on prenait contre les infidèles ; et il chargea ses légats en Languedoc de prêcher une croisade contre Raimond, comte de Toulouse, et contre ses sujets, coupables d’hérésie. Amalric se distingua par la chaleur avec laquelle il prêcha une guerre qu’on appelait l’affaire de Jésus-Christ. Comme cette croisade entraînait avec elle peu de dangers, et qu’on pouvait gagner les indulgences sans quitter l’Europe, une foule de croisés aimèrent mieux aller combattre en Languedoc que dans les plaines de la Syrie. On les vit accourir de toutes les provinces de France, et même de l’Allemagne, jurant d’exterminer les Albigeois, auxquels les dévots Allemands avaient donné le surnom de beguins ou pequins. Les croisés, dont le nombre s’éleva à près de 500,000 hommes, avaient à leur tête les comtes de Montfort, de Nevers, le duc de Bourgogne, et plusieurs évêques. L’abbé de Citeaux était leur guide et leur conseil. Ne pouvant pardonner aux Albigeois d’avoir dédaigné ses exhortations, il échauffa contre eux l’esprit des croisés, et contribua beaucoup à faire de cette croisade une guerre d’extermination. À la prise de Béziers, on lui demanda ce qu’on devait faire, dans l’impossibilité de distinguer les catholiques des Albigeois : « Tuez-les tous, répondit-il, Dieu connait ceux qui sont à lui. » Les croisés n’avaient pas besoin de cet horrible conseil ; les plus ardents étaient déjà dans la ville, dont ils massacrèrent tous les habitants. 7,000 personnes, réfugiées dans l’église de Ste-Madeleine, y furent passées au fil de l’épée, sans distinction de sexe, d’âge, ni de religion. Cependant les croises s’effrayèrent de régner sur des tombeaux, et de conquérir des ruines : maîtres de Carcassonne, ils épargnèrent la vie des habitants, et se contentèrent de les faire sortir de la ville en chemise ; condition qui pourrait passer pour barbare dans une autre circonstance, mais qu’il faut regarder comme un trait d’humanité dans une pareille guerre. Amalric ne fut pas toujours maître d’arrêter ainsi les fureurs qu’il avait provoques. Étant venu au siége de Minerbe, il fin interrogé, comme maître des croisés, sur les articles de la capitulation. « Je souhaite avec ardeur, répondit-il à Simon de Montfort, la mort des ennemis de Jésus-Christ ; mais, étant prêtre et religieux, je n’ose opiner pour faire mourir les assiégés. » Il demanda qu’on laissa la vie au commandant, aux soldats, et aux hérétiques renfermées dans la place, s’ils voulaient se convertir. Cette condescendance déplut à un croisé, plus fanatique que les autres, nomme Robert de Mauvoisin, qui dit tout haut « qu’on était venu pour exterminer les impies, et non pour leur faire grâce. — Ne craignez point, lui dit alors Amalric ; peu d’hérétiques se convertit-ont. » Malheureusement il ne se trompait point : les Albigeois trouvés dans la place persistèrent tous dans leur hérésie, et plus de cent-quarante furent condamnés aux flammes, ou ils se précipitèrent eux-mêmes, tant tant le fanatisme était aveugle de part et d’autre. Amalric conserva le plus grand ascendant sur l’esprit des croisés dans le commencement de cette guerre, ce qui a fait dire faussement à quelques biographes qu’il était généralissime de la croisade. Ce fut lui qui donna au comte de Montfort, de la part du pape, la souveraineté des pays conquis sur les hérétiques ; il lança plusieurs fois les foudres de l’Église contre le comte de Toulouse, mit ses États en interdit, et força ce malheureux prince à demander pardon à l’Église, dans la posture la plus humiliante ; il se conduisit même avec tant de violence et d’injustice. qu’il s’attira les reproches d’Innocent III, et fut remplacé dans ses fonctions de légat apostolique. Le pape lui adressa, ainsi qu’à Simon de Montfort, une lettre dans laquelle ils étaient accusés l’un et l’autre d’avoir envahi les biens des hérétiques et même ceux des catholiques. Amalric fit néanmoins nommé archevêque de Narbonne ; mais, né inquiet et remuant, il ne pouvait aimer le repos : il abandonna un diocèse