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sa suite. Son premier soin tint alors d’obtenir des subsides de ses États héréditaires, et bientôt il reparut devant Naples avec une armée de terre et de mer. Après un long siége, il pénétra dans cette ville par le même aqueduc qui avait servi à Bélisaire. René d’Anjou fut contraint de s’enfuir en Provence, et Alphonse fit son entrée à Naples, avec toute la pompe qui accompagnait le triomphe des Romains. Il fixa son séjour dans cette capitale, malgré les instances des Aragonais, et il est même probable que, sans la conquête de Naples, il eût passé toute sa vie comme un chevalier errant, loin de la reine, qui, par sa jalousie, lui avait inspiré un éloignement irrésistible. Il se réconcilia alors avec le pape Eugène IV, qui le reconnut pour légitime souverain de Naples, et, bientôt après, il s’engagea dans une longue guerre contre François Sforce, duc de Milan, puis contre les Florentins, les Génois et les Vénitiens. Ses armées assiégeaient Gènes, et elles avaient réduit cette ville aux dernières extrémités, lorsqu’elles se retirèrent subitement à la nouvelle de sa mort, survenue à Naples, le 27 juin 1458. Ce prince avait alors 74 ans, et en avait régné 43. Il eut pour successeur, dans ses royaumes héréditaires, son frère, Jean, roi de Navarre, et il laissa le royaume de Naples à Ferdinand, son fils naturel, que le pape avait légitimé. Héros de son siècle, Alphonse est le plus grand prince qui soit monté sur le trône d’Aragon. Doué d’une éloquence persuasive, franc et loyal, quoique habile politique, il méprisa tout ce qui avait l’apparence de la duplicité ; courageux et grand capitaine, il fit la guerre sans cruauté ; il aima les lettres, protégea les savants, et recueillit dans ses États les muses et les arts, bannis de Constantinople. Ce prince n’aurait fait que des heureux, s’il ne se fût engage dans des guerres continuelles, et s’il ne lui eût fallu, pour y subvenir, écraser ses sujets d’impôts. D’un autre côté, sa passion pour les femmes et le dérèglement de ses mœurs donnèrent à ses sujets l’exemple le plus dangereux, et lui firent commettre des abus d’autorité ; son fol amour pour Lucrèce Alania jeta quelque ridicule sur la fin de sa vie ; enfin, sa conduite envers l’Église, et l’artifice avec lequel il opposa longtemps un antipape au pape légitime, pour pouvoir dépouiller plus librement le clergé de ses États, donnèrent lieu de croire que la religion avait, peu d’empire sur lui. Jamais roi ne se mit plus en peine de ce que penserait de lui la postérité. Gagner des batailles, se signaler par des actions d’éclat et par des traits de grandeur d’âme, tout cela n’était rien à ses yeux, si les historiens et les poëtes n’en consacraient la mémoire. Il n’y eut guère d’auteurs célèbres qu’il n’essayât de gagner par des pensions ou des présents. Pogge, le Florentin, traduisit, par son ordre, la Cyropédie de Xénophon, et en fut largement récompensé. Il fit chevalier François Philelphe, qui lui avait dédié ses satires. Son secrétaire, Antoine de Palerme ; Æneas Sylvius, qui fut ensuite pape sous le nom de Pie II ; George de Trébisonde, Laurent Valla, Barthélemy Fario, qui a écrit sa vie, et Barcellius, qui a laissé l’histoire de ses campagnes, ont enchéri les uns sur les autres, dans les éloges qu’ils lui ont donnés, et tous l’ont unanimement proclamé le roi magnanime. Il avait pris pour devise un livre ouvert, portait toujours avec lui les Commentaires de César, et ne passait pas un jour sans les lire : ses soldats lui apportaient tous les livres et les manuscrits dont ils pouvaient s’emparer. Il ne s’endormait point sans avoir quelques volumes au chevet de son lit, et il ne manquait jamais de lire à son réveil, Il rechercha aussi, et recueillit avec empressement les médailles des Césars, qu’il avait fait renfermer dans une cassette d’ivoire. Les pensées de ce prince et les faits les plus remarquables de sa vie ont été publiés en 1765, in-12, par l’abbé Méry de la Canourgue, sous le titre de Génie d’Alphonse le Magnanime. Tous les traits de ce recueil sont tirés du de Dictis et Factis Alphonsi, par Antoine de Palerme, précepteur et historiographe de ce prince, le même qui, étant venu visiter Alphonse, malade à Capoue, lui apporta un volume de Quinte-Curce, dont la lecture le guérit. Alphonse allait souvent à pied, et sans suite, dans les rues de Naples ; il assistait fréquemment aux leçons des professeurs et des philosophes. Un jour qu’on lui faisait des représentations sur le danger auquel il exposait sa personne, il répondit : « Un père qui se promène au milieu de ses enfants n’a rien à craindre. » Un de ses courtisans lui ayant demandé quels étaient ceux de ses sujets qu’il aimait le plus : « Ceux, répondit Alphonse, qui craignent pour moi plus qu’ils ne me craignent. » Voyant un jour une galère chargée de soldats sur le point d’être submergée, il ordonna aussitôt qu’on leur portait des secours : et comme on hésitait, il s’élance dans une chaloupe, et s’écrie : « J’aime mieux être le que le spectateur de leur mort. » Tous furent sauvés. B-p.


ALPHONSE II, roi de Naples, fils de Ferdinand, fut déclaré duc de Calabre, et chargé de bonne heure, par son père, du commandement des armées. En 1469, il porta des secours à Robert Malatesti, seigneur de Rimini, que le pape Paul II voulait dépouiller de ses États, et il défit, le 23 août, Alexandre Sforza et Pino des Ordeleffi, généraux de l’Église et des Vénitiens, qui assiégeaient Rimini. Neuf ans plus tard, il entra en Toscane pour seconder la conjuration des Pazzi contre les Médicis ; il battit les Florentins, le 7 septembre 1479, au Poggio impérial ; et, lorsque son père eut fait la paix avec eux, il ne laissa pas de leur donner encore de grandes inquiétudes, en s’emparant de la seigneurie de Sienne. Ses talents militaires, son activité et son ambition peu scrupuleuse lui auraient probablement assuré la conquête de la Toscane, si son père ne l’avait appelé en hâte pour repousser les Turcs, qui s’étaient emparés d’Otrante, le 21 août 1480, et y avaient passé 10,000 chrétiens au fil de l’épée. Alphonse, obligé de défendre les États de son père contre l’invasion la plus redoutable de toutes, à cette époque, abandonna ses projets sur la Toscane, et vint mettre le siége devant Otrante, qu’il reprit le 10 septembre 1481. Alphonse, toujours duc de Calabre,