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fils du marquisat de Tortose et de la seigneurie d’Albaracin, il donna à la reine Éléonore, son épouse, la ville de Xativa et quelques autres places. Mécontent de ces riches cessions, contraires aux intérêts de la monarchie, don Pédro, fils aîné d’Alphonse, osa accuser son père d’avoir viole son serment. La reine ayant découvert que don Pédro était excité par l’archevêque de Saragosse fit bannir de la cour ce prélat ambitieux ; mais il avait déjà pris un tel ascendant sur l’esprit de l’infant, qu’il le porta à se venger de sa mère, en s’emparant de Xativa. La reine n’osa point solliciter le roi de prendre sa défense contre son propre fils ; mais les chagrins d’Alphonse, attaqué alors d’hydropisie, aggravèrent tellement son état, qu’il mourut le 25 juin 1336, dans la 9e année de son règne. Son fils, don Pédro, qui avait empoisonné ses derniers moments, lui succéda, sous le nom de Pierre IV ; et l’Aragon fut déchire par une guerre civile, due à la faiblesse d’Alphonse et à la rivalité de ses héritiers. B-p.


ALPHONSE V, surnommé le Magnanime, roi d’Aragon, de Naples et de Sicile, fils d’Éléonore d’Albuquerque et de Ferdinand le Juste, infant de Castille, que les Aragonais avaient appelé à régner, monta sur le troue d’Aragon après la mort de son père, en 1416, et signala d’abord sa générosité en déchirant, sans la lire, une liste des seigneurs qui avaient conspiré contre lui : « Je les forcerai, dit-il, à reconnaître que j’ai plus de soin de leur vie qu’ils n’en ont eux-mêmes. » L’amour de l’indépendance était alors porté plus loin en Aragon que dans aucune république de l’Europe. Alphonse, trop fier pour lutter avec des sujets défiants, et trop généreux pour affermir son pouvoir aux dépens de la liberté des peuples, chercha au dehors une gloire que son royaume ne pouvait lui offrir. Quelques historiens assurent que ce fut la jalousie de la reine Marie de Castille, femme d’Alphonse, qui éloigna ce prince de ses États. Affable, galant, et l’un des plus beaux hommes de l’Europe, il aimait la belle Marguerite de Hijar, l’une des dames de la reine, et il eut d’elle un fils nommé Ferdinand. Dans un accès de jalousie, la reine fit étrangler sa rivale, et Alphonse, ne voulant pas se venger d’une femme, quelque sensible qu’il fût à la perte de sa maîtresse, prit le parti d’aller se distraire de sa douleur dans des expéditions lointaines. Il régnait déjà sur l’Aragon, la Catalogne, le royaume de Valence, les îles Baléares, la Sicile et la Sardaigne ; la Corse, qui appartenait aux Génois, semblait manquer seule à son empire sur la Méditerranée : en 1420, sans déclaration de guerre, il attaqua cette île, dont une grande partie tomba en son pouvoir ; mais la résistance prolongé du château de Boniface, et l’espoir d’une conquête plus importante, le décidèrent à se retirer, après avoir inspiré aux Génois, par une injuste agression, une haine qui lui devint funeste. Pendant cette expédition même, Jeanne II, de Naples, attaquée par Louis III d’Anjou, offrit à Alphonse de l’adopter et de le nommer son héritier, s’il voulait la détendre. Il accepta ces conditions, et envoya sa flotte à Naples, fit lever le siége de cette capitale à son concurrent, et fut mis en possession de plusieurs forteresses ; mais il ne put supporter l’arrogance de Caraccilo, amant de la reine, et le fit arrêter. Jeanne, pour venger son amant, eut recours à René d’Anjou, qu’elle avait jusqu’alors combattu. Le roi d’Aragon en vint aux mains avec les troupes de Jeanne et de René, dans les rues même de Naples, D’abord repoussé, il chassa ensuite la reine, au moyen d’un nouveau renfort, et se rendit maître de la capitale en 1423 ; mais il fut attaqué à son tour dans le château qu’il occupait, puis rappelé en Aragon pour soutenir le roi de Navarre, son frère, contre le roi de Castille ; il évacua le royaume de Naples, et fit, en côtoyant la Provence, une descente à Marseille, qui appartenait à son rival, le duc d’Anjou, et s’en rendit maître. En même temps qu’il en donnait le pillage à son armée, il garantissait les églises et les femmes de la fureur du soldat : les dames de Marseille lui ayant témoigné leur reconnaissance par un riche présent, il le refusa, en disant : « Je me venge en prince, et je ne suis pas venu pour faire la guerre en brigand. » Après s’être affermi en Sicile, en Sardaigne, et même en Corse, Alphonse attaqua le roi de Tunis, remporta sur lui une victoire complète, et s’enrichit de ses dépouilles ; il sut garantir en même temps ses États héréditaires, fit la paix avec la Castille en 1430, et revint ensuite en Sicile, pour être à portée de négocier avec les partisans qui lui étaient restés dans le royaume de Naples. Ils avaient pris les armes en sa faveur, à la mort de Jeanne, en 1435. Profitant de ces dispositions, il vint mettre le siége devant Gaëte, dont la possession lui eût assure la conquête de Naples ; mais les Génois, qui ne lui avaient pas pardonné ses agressions en Corse, armèrent une puissante flotte, qui vint l’attaquer près de l’ile de Ponza, le 5 août 1435. L’amiral génois, ne s’attachant qu’à la galère où combattait le roi, l’obligea en un instant à se rendre, ou à couler à fond. Alphonse baissa son pavillon, et se rendit prisonnier avec son frère, le roi de Navarre, et plusieurs grands de son royaume. Cette disgrâce, qui depuis fut la source du bonheur d’Alphonse, pouvait être attribué à son humanité. Il avait permis que la garnison de Gaëte, déjà affamée, mit dehors les femmes et les enfants, en disant : « J’aime mieux ne pas prendre la ville que de manquer d’humanité. » Maitre de la personne de ce prince, l’amiral génois voulut le forcer de livrer l’ile d’Ischia ; mais Alphonse, digne véritablement du surnom de Magnanime, répondit au vainqueur qu’il aimait mieux être jeté à la mer que de consentir à des conditions déshonorantes. Les Génois, alors sous la domination du duc de Milan, transférèrent leur prisonnier dans cette ville, et le livrèrent au duc Philippe-Marie Visconti, prince perfide et cruel ; mais le roi d’Aragon sut lui inspirer tant d’estime et de confiance par la noblesse de ses manières, il changea tellement ses idées par la supériorité de son esprit, que, d’un ennemi furieux, il s’en fit un allié, et, au grand étonnement de l’Europe, obtint d’être renvoyé sans rançon, avec toute