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prouvé qu’Alphonse, voulant suivre les traces des Théodose et des Justinien, s’occupait de l’administration de la justice. Dans ce code, se trouvent ces mots remarquables, écrits par un roi dans le 13e siècle : « Le despote arrache l’arbre, le sage monarque l’émonde. » Alphonse aima surtout les sciences et les lettres. L’Europe n’oubliera point qu’elle lui doit les belles tables astronomiques qui ont été appelées, de son nom, Tables Alphonsines ; il les fit dresser à grands frais par des juifs de Tolède, et en fixa l’époque au premier jour de juin 12S2, qui était celui de son avènement. C’est aussi à ce prince que l’on doit la première histoire générale d’Espagne, écrite en langue castillane ; il fit traduire en espagnol les livres sacrés, et ordonna de rédiger dans la même langue tous les actes publics qu’on avait rédigés jusqu’alors en latin barbare. Enfin, il contribua au renouvellement des études, et augmenta les privilèges de l’université de Salamanque, où il fonda plusieurs chaires nouvelles. Sa passion dominante était d’inspirer à ses sujets le goût des sciences et des lettres ; mais il méconnut le caractère des Castillans, qui n’étaient point encore préparés à cette espèce de révolution. Sa jeunesse ayant été employée à des études scientifiques, plus qu’il ne convenait, dans un tel siècle, à un roi, toutes les sciences lui étaient familières, excepté celle du gouvernement ; et ces sciences ne firent que l’exposer au ridicule et au mépris, dans un temps où l’art de la politique et la gloire des armes fondaient seuls la réputation et maintenaient l’autorité. L’historien Mariana a dit de lui : Dumque cælum considerat, observatque astra, terram amisit ; il eut été plus exact de dire que son ambition de porter la couronne impériale lui fit perdre celle de Castille. Il disait souvent : « Si Dieu m’avait appelé à son conseil au moment de la création, le monde aurait été plus simple et mieux ordonné. » Ces paroles hardies, dans le siècle ou il vivait, l’ont fait soupçonner d’athéisme ; mais plusieurs écrivains les ont regardées comme une raillerie, dirigée plutôt contre l’incohérence et la contradiction des divers systèmes d’astronomie, que contre l’auteur de l’univers. Quoi qu’il en soit, on peut au moins les attribuer à cet abus de l’esprit philosophique dont Alphonse X a donné plus d’un exemple. Sa conduite et ses malheurs prouvent assez que, sans la fermeté et la prudence, les connaissances et les lumières, sur le tronc, sont inutiles. B-p.


ALPHONSE XI, roi de Léon et de Castille, qui faisait que de naître lorsqu’il succéda à son père, Ferdinand IV, en 1312. Les factions se disputèrent avec acharnement la régence, et, pendant treize années que dura la minorité, la Castille fut déchirée par la guerre et la révolte. Heureusement pour l’Espagne chrétienne, les Maures de Grenade n’étaient pas plus tranquilles. À peine Alphonse eut-il atteint sa quinzième année, qu’il saisit d’une main ferme les rênes du gouvernement. Avant de faire la guerre aux Maures, il la fit aux grands seigneurs, aux factieux et aux brigands qui infestaient ses États. La sévérité qu’il déploya contre eux lui fit donner le surnom de Vengeur ; ces moyens violents n’eurent cependant pas tout l’effet qu’en attendait le jeune roi, et il ne lui fut pas possible de détruire tous les levains de sédition qui fermentaient parmi la noblesse castillane, depuis le règne de Ferdinand III, qui avait diminué ses privilèges. Ce ne fut qu’après avoir dissipé plusieurs ligues dangereuses, que le roi de Castille put tourner ses armes contre les Maures d’Afrique et de Grenade, qui menaçaient de nouveau l’Espagne. Il défit en personne l’armée de Grenade, et remporta, en 1327, une victoire navale sur la flotte du roi de Maroc, qui s’avançait au secours des Grenadins. Alphonse donna une haute idée de sa politique, en s’alliant aux rois de Portugal et d’Aragon ; ces trois souverains, par un même traité, convinrent de ne donner à l’avenir ni asile, ni secours aux sujets mécontents des autres royaumes : ils s’étaient aperçus. enfin qu’une conduite contraire, en favorisant les entreprises d’une noblesse factieuse, était propre à entretenir la révolte dans leurs États respectifs. Cependant le roi de Maroc joignit, en 1340, le roi de Grenade, et l’on vit une armée innombrable de Maures assiéger Tariffa. Toute l’Espagne chrétienne s’ébranla aussitôt pour s’opposer à ce torrent. Le 20 octobre de la même année, Alphonse livra bataille aux ennemis, conjointement avec le roi de Portugal, et remporta, près de Tariffa, sur les bords du Salado, une victoire complète. Les musulmans osèrent à peine combattre, et se laissèrent égorger. Il en périt, dit-on, 200,000, et seulement vingt chrétiens, particularité fabuleuse, semblable à celle que les mêmes historiens rapportent de la bataille de Tolosa. Tous les chemins, à plus de trois lieues à la ronde, ajoutent les mêmes historiens, étaient couverts de cadavres, et les riches dépouilles des vaincus firent baisser d’un sixième le prix de l’or. Deux ans après, Alphonse signala encore son règne par le siége d’Algésiras, qui dura deux ans. Les Maures opposèrent du canon aux faibles machines de guerre qu’on employait alors pour battre les murailles : c’est pour la première fois que l’histoire fait mention de l’artillerie, qui fut peut-être inventée par les Maures, quoique la poudre a canon eut été récemment découverte en Allemagne, et depuis longtemps à la Chine. La longueur et la célébrité de ce siége y attirèrent un grand nombre d’étrangers. Alphonse fut sur le point d’y être assassiné deux fois par des musulmans fanatiques ; enfin la place capitula, par ordre des rois de Maroc et de Grenade, à condition que les Castillans souscriraient à une trêve de dix années ; mais, en 1549, Alphonse, voulant fermer à jamais l’entrée de l’Espagne aux Maures d’Afrique, assembla les états généraux à Alcala de Henarez, et y fit résoudre le siége de Gibraltar, au mépris de la trêve conclue avec le roi de Maroc. Cette forteresse était à la veille de se rendre, lorsque la peste se mit dans le camp des assiégeants. Alphonse, ayant voulu continuer le siége, contre l’avis de ses officiers, fut atteint lui-même de la contagion, et mourut au milieu de son armée, le 26 mars 1350, à l’âge de 40 ans. Avec lui disparurent pour longtemps la sécurité et la gloire de la Castille. La sévérité et la rigueur