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les préjugés, les habitudes, les croyances des indigènes, obstacles immenses contre lesquels Allard allait avoir à lutter pour introduire les réformes qu’il apportait d’Europe. Du reste le colonel obtint peu de temps après de pouvoir organiser un régiment, puis une brigade, puis une division ; et finalement il pénétra si profondément dans l’estime et la confiance du roi de Lahore qu’il fut élevé par lui au grade de généralissime de ses armées, et fut réellement par la suite, après Rungeet-Singh, la première puissance du pays. Il continua avec succès son travail d’organisation militaire, et disciplina à la française l’armée de Lahore : le commandement s’y fit en français, et le recrutement s’y opéra dès lors par engagements volontaires et par appels ; il n’y a pas jusqu’aux couleurs adoptées par la France nouvelle, que le général n’ait importées sur les rives du Sutledge, et c’était sans doute un curieux spectacle pour des yeux éclairés, que ce drapeau, symbole de la liberté et de la civilisation, ondoyant sur une armée barbare au sein de l’Asie. « Mais, dit le voyageur Jacquemont, les Sykes sont de bonnes gens qui n’y entendent pas finesse. Rungeet sait seulement que c’était le drapeau de Bonaparte, auquel il aime à se persuader qu’il ressemble. » Sans cesse sur le pied de guerre ou même en guerre avec les chefs voisins, le royaume de Lahore n’avait cependant point eu de querelle bien sérieuse à soutenir, depuis la réorganisation de cette armée, de sorte que le général Allard eut peu de grandes occasions de se distinguer sur le champ de bataille. Son influence n’en fut pas moins grande ; il sut la conquérir par sa justice, son activité, son caractère noble et fait pour commander ; il fut entouré de l’amour des autres officiers européens, ses frères d’armes, et son nom dans toute l’Inde anglaise ne fut prononcé qu’avec la plus grande considération. Les voyageurs qui, grâce à son intervention empressée, ont pénétré depuis 1822 dans le royaume de Lahore s’accordent à donner de lui ce témoignage ; et tous, entre autres l’infortuné Jacquemont et le non moins infortune Burnes, ont aimé à écrire avec quelle bienveillance il avait mis son pouvoir à leur disposition avait cherché à leur rendre agréable le séjour de Lahore, ou à faciliter leurs voyages et leurs études. Rungeet-Singh, auquel aucun historien ne refusera une finesse et une pénétration consommée, l’apprécia également de plus en plus, et il sentait si bien de quel poids il était dans la balance de son pouvoir, qu’il s’étudia toujours, tout en lui prodiguant la fortune (il lui faisait un traitement annuel de plus de 100,000 francs), à lui ôter ou le désir ou les moyens de revenir en France ; il savait lui faire dépenser ses 100,000 francs, et l’empêcher d’amasser une fortune qui aurait pu lui suggérer le désir du repos. Il lui avait en outre fait épouser la fille d’un chef vaincu, princesse indienne, qui fut plusieurs fois mère ; mais ce fut précisément le sentiment paternel, ce fut le besoin de donner à ses enfants une éducation convenable qui rappela impérieusement la pensée d’Allard vers la France. Rungeet-Singh accueillit avec inquiétude et défiance l’idée de ce voyage : « Pars, dit-il au général, mais laisse-moi tes enfants, je serai sûr que tu reviendras les chercher. » Allard lui expliqua que c’était pour eux qu’il allait en France, que là seulement ils pouvaient être élevés dans les pratiques de leur culte et dans le vœu de leur religion. Le roi se laissa toucher par ces raisons ; Allard partit pour l’Europe, et revit son ancienne patrie, où il fut reçu avec, considération. En 1832 il avait été nommé officier de la Légion d’honneur : il fut, pendant ce voyage, nommé commandeur. Il répondit aux conseils de ses amis qui voulaient le retenir en France : « Le roi de Lahore a ma parole ; si j’y manquais, il serait en droit de me mépriser et de me considérer comme un misérable aventurier. » Le général Allard reprit donc la route de l’Asie, laissant en France sa femme et ses enfants qu’il ne devait plus revoir. Ce fut en effet peu de temps après son retour à Lahore qu’il fut enlevé à l’armée, à ses amis, au vieux Rungeet-Singh, qui lui-même avait alors un pied dans la tombe (1839). Des regrets universels suivirent Allard à sa dernière demeure ; le rajah ne négligea rien pour lui rendre les honneurs dus à son rang, à ses talents, et glorifiera sa mémoire. Sa ville natale s’est elle-même empressée d’ouvrir une souscription pour lui élever un monument[1]. H. D-z.


ALLARDE (Pierre-Gilbert Leroy, baron d’), né en 1749 à Montluçon, d’une des familles les plus honorables du Bourbonnais, fut d’abord page de la dauphine, puis entra lieutenant dans le régiment de Conti, cavalerie. Il obtint ensuite une compagnie dans les chasseurs de Franche-Comté. Le temps qu’il passa au service ne fut point perdu pour son instruction. Au goût de l’étude il joignait beaucoup d’esprit et de jugement ; et, tandis que ses camarades se livraient aux plaisirs de leur âge, il s’appliquait avec ardeur à l’économie politique, science alors peu connue en France, et qui n’y comptait qu’un petit nombre d’adeptes. Nommé par la noblesse de St-Pierre-le-Moutier aux états généraux, il y présenta un nouveau plan de finances qu’il ne put faire adopter par ses collègues, étrangers pour la plupart aux éléments de cette science. Il manifesta son indignation contre les attentats des 5 et 6 octobre (voy. Marie-Antoinette), et protesta depuis contre le rapport de Chabroud, qui demandait qu’on annulât toutes les procédures relatives à ces événements. Il combattit les projets de Necker, comme n’étant que des impôts déguisés. Il proposa un comité d’impositions, répondit au discours de Dupont sur les banques, s’opposa à la création des assignats, et soutint que le moyen le plus simple d’éteindre la dette et de fonder le crédit public était de faire un emprunt dont le remboursement s’opérerait, sans qu’on fût obligé de rien ajouter aux charges, et d’une manière insensible, par l’amortissement. Ce moyen, dont on a tant usé depuis, fut alors repoussé par la majorité, D’Allarde fut cependant nommé membre du comité des impositions.

  1. La veuve du général Allard, initié à la connaissance de la religion catholique, a reçu récemment. le baptême : elle a eu pour parrain et marraine le roi et la reine des Français.