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ALI

demandaient. Cette conduite impolitique fut la source des guerres qu’il eut à soutenir, et causa la ruine de sa maison. Moawyah, n’ayant plus rien à ménager, leva l’étendard de la révolte, se fit reconnaître émir à Damas, et soumit la Syrie. Zohéir et Thalhah, irrités, se retirèrent à la Mecque, et unirent leur ressentiment la haine d’Aïchah. Cette cille devint le centre d’une faction où était admis tout ennemi d’Ali, et qui prenait tous les jours de nouveaux accroissements. Déjà Zobéir, Thalhah et la vindicative Aïchah s’étaient emparés de Bassora, qui devint le point de leurs communications avec les rebelles de Syrie ; Ali marcha contre eux à la tête de 50,000 hommes. La bataille fut sanglante. Zobéir et Thalhah ayant été tués, la victoire se déclara pour Ali, et Aïchah tomba en son pouvoir : il eut pour elle beaucoup d’égards, et la fit reconduire à la Mecque. Cette célèbre bataille, où périrent 17,000 Arabes, se donna en djumady 2e de l’an 36 de l’hégire (4 novembre 656 de.|.-C.). Elle est appelée, ou la bataille de Kharybah, du lieu où elle se livra, ou la bataille du chameau, parce qu’Aïchah en montait un. Ali Se contenta de réprimander les habitants de Bassora sur leur manque de fidélité au calife. et se rendit à Koufah, dont il fit le siége de sa monarchie. Moawyah, loin d’être abattu par la de la demande alliés, n’en mit que plus d’activité à fortifier son parti. Il excitait le peuple à la révolte, par la vue des vêtements ensanglantés d’Otsman ; et, secondé par le célèbre Amrou-Ben-el-Ass (voy. ce nom). il réunit un parti nombreux. Ali chercha d’abord à employer les moyens de conciliation ; mais, n’ayant obtenu aucun succès, il marcha contre lui à la tête de 80,000 hommes. Les révoltés n’étaient pas aussi nombreux. Pendant près de onze mois que les armées restèrent en présence, il se livra quatre-vingt-dix combats, dans lesquels Moawyah perdit 55,000 hommes. et Ali 25,000. Enfin ce dernier, lassé du carnage, et peut-être poussé par les insinuations secrètes de son ennemi, lui proposa un combat singulier, prenant Dieu pour arbitre de leur différend. Moawyah refusa ; mais l’astucieux Amrou lui suggéra unn stratagème qui le délivra d’Ali. Le Coran ordonne, en cas de contestation, de choisir deux arbitres qui la jugent. Amrou fit attacher ce passage du livre sacre aux piques de ses soldats. qui s’écrièrent : « Voici le livre qui doit terminer nos différends. » Les soldats d’Ali, pénétrés de respect pour le Coran, et séduits par la demande juste en apparence de leurs ennemis, acceptèrent la proposition, et nommèrent pour arbitre Abou-Mouça al-Achary, homme probe, mais simple. Les troupes de Moawyah désignèrent Amrou et, après cette élection, Ali et Moawyah se retirent, l’un à Koufah, l’autre à Damas pour y attendre leur sort. Amrou, le plus rusé des deux arbitres, vint à bout de persuader à Abou-Mouça que le moyen de faire revivre la paix était de déposer les deux califes. Le jour pris pour cette cérémonie, les troupes s’assemblèrent, et Amrou, accompagné de son collègue. monta à la tribune ; mais, affectant une profonde vénération pour lui, il le força à s’expliquer le premier. Alors le crédule Abou-Mouça prononça la déposition d’Ali. Amrou confirme cette déposition ; mais, au lieu de prononcer celle de Moawyah, il le proclama calife, Cette perfidie fut très-funeste au pouvoir d’Ali, et il perdit dès lors beaucoup dans l’esprit des musulmans. Une secte puissante, celle des Karidjy, s’éleva contre lui : cette sectes dont l’opinion était que tout péché dispense les sujets d’obéir au souverain qui s’en est rendu coupable, accusait Ali d’avoir abandonnée aux hommes le jugement d’un différend sur lequel Dieu seul devait prononcer ; et d’après cela, elle refusait de lui obéir. Ali, force de combattre ces rebelles, fit planter un étendard hors de son camp, et promit le pardon à quiconque viendrait se ranger sous ce signe de paix. Ce moyen lui réussit : une partie des séditieux se dissipa, l’autre fut mise en fuite. Peu de temps après, trois de ces sectaires fanatiques resta lurent d’assassiner, le même jour, Ali, Moawyah et Amrou. Ces deux derniers échappèrent à leur fureur ; mais Ali reçut un coup de sabre sur le crâne, au moment où il appelait le peuple à la prière dans la mosquée de Koufah, le 17 de ramadhan 40 de l’hégire (24 janvier 661 de J.-C.), Transporté chez lui. il assembla ses enfants et ses amis, et leur dit : « Si je reviens et que l’attentat d’Abdel-Rahman, mon assassin, n’abrège ma vie que de quelques jours. je lui pardonne ; mais, si je meurs, qu’il périsse à l’instant, afin que nous comparaissions ensemble devant le maître de l’univers. » Peu de temps après, il rendit le dernier soupir ; et son meurtrier expira dans les plus cruels supplices. Ainsi mourut, à l’âge de 63 ans, et au bout de 4 ans 9 mois de règne, un des plus célèbres héros de l’islamisme. Son corps fut enseveli secrètement par ses fils, près de Koufah. Ce ne fut que sous le règne des Abbassides qu’on découvrit son tombeau. Adhad-Eddantah, le bouïde, lui fit construire un superbe monument, qui est visité par tous les pieux chyites. Il fut honoré, de son vivant et après sa mort, de plusieurs surnoms pompeux. Celui de Morthady, c’est-à-dire agréable à Dieu, a été corrompu par les écrivains occidentaux en celui Mortus. Reiske l’a comparé à Auguste pour le savoir, à Trajan pour la clémence, à Marc-Aurèle pour la philosophie et la piété, et à Pompée pour la valeur et la fin tragique. Sans adopter ces rapprochements, plus ingénieux qu’exacts, l’historien impartial est forcé de reconnaître dans ce zèle propagateur de l’islamisme un prince brave, généreux et digne d’une autre fin. Quoique ses droits au califat fussent incontestables, il n’employa jamais la force pour les faire valoir, et se soumit à la puissance, comme un simple musulman. Élevé au trône par le vœu de ses concitoyens, il montra peu de talents politiques, parce que l’art de feindre ne pouvait s’allier avec sa franchise. « Souviens-toi, écrivait-il à Mowyah, que j’ai immolé plusieurs des tiens, et que tu trouveras en moi un ennemi redoutable, mais franc et méprisant la trahison. » Il avait pour ses soldats la tendresse d’un père ; et ne les conduisait au combat que lorsqu’il avait épuisé tous les moyens propres à ramener les rebelles à leur devoir. Son esprit était