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le dessin ; on le voit gravé en tête du second volume de la Vie de Victor Alfieri, écrite par lui-même, Canova l’a exécuté avec une perfection digne de son talent, et il est dignement placé dans cette église, entre le tombeau de Machiavel et celui de Michel-Ange. Alfieri avait fait lui-même ainsi son épitaphe :

QUIESCIT. HIC. TANDEM

VICTORIUS. ALFIERIUS, ASTENSIS

MUSARUM. ARDENTISSIMUS. CULTOR

VERITATI. TANTUMMODO. OBNOXIUS

DOMINANTIBUS. IDCIRCO. VIRIS

PERÆQVE. AC. INSERVIENTIBUS. OMNIBUS

INVISUS. MERITO.

MULTITUDINI

EO. QUOD . NULLA . UNQUAM . GESSERIT

PUBLICA . NEGOTIA

IGNOTUS

OPTIMIS . PERPAUCIS . ACCEPTUS

NEMINI

NISI . FORTASSE . SIBIMET . IPSI

DESPECTUS

VIXIT . ANNOS ... MENSES ... DIES ...

OBIIT ... DIE MENSIS ...

ANNO . DOMINI . MDCCC

Ses œuvres posthumes, que l’on commença de publier des l’année suivante, et qui n’ont pas moins de treize volumes, 1804 et suiv., Londres (Florence), contiennent un drame d’Abel, auquel il a donné le singulier titre de tramélogédie, genre dans lequel il avait compté en composer plusieurs autres ; une traduction de l’Alceste d’Euripide, et une autre Alceste de sa composition, qu’il appelle Alcaste seconde ; les Perses, traduits d’Eschyle ; le Philoctète, de Sophocle ; les Grenouilles, d’Aristophane ; Panégyrique de Trojan, par Pline (publié d’abord à Paris en 1787, in-8o) ; seize satires, dont plusieurs sont fort courtes, et qui ne remplissent toutes ensemble qu’un très-petit volume : elles sont principalement dirigées contre les Français, mais on peut dire qu’elles le sont aussi contre tout le monde ; la traduction de Salluste, faite à loisir, retouchée avec soin, et digne en tout de son auteur ; une traduction complète en vers des comédies de Térence ; l’Énéide de Virgile, aussi traduite en vers, ouvrage qui n’en est pas un, et livre à l’impression dans un état d’imperfection qui fait peine ; Sept comédies d’un genre bizarre, satirique, politique si l’on veut, mais peu plaisant ; un petit recueil de sonnets, pour joindre à ceux que l’on trouve dans ses œuvres diverses ; et enfin sa Vie, qui remplit les deux derniers volumes. il parait qu’on n’a rien laissé d’inédit, si ce n’est le Miso-Gallo (l’ennemi des Français), dont il est souvent parié dans sa Vie[1]. On ne voit pas trop pourquoi cette exception ; il est difficile que l’auteur soit plus anti-français dans son Miso-Gallo que dans sa Vie et dans ses satires. On a publié en France trois traductions d’Alfieri : 1° de la Tyrannie (par un anonyme), Paris, Molini, an 10 (1802), in-8o ; 2° Œuvre dramatique du comte Alfieri, traduites par C.-B. Petiot, Paris, 1802, 4 vol. in-8o ; 3° Vie de Victor Alfieri, écrite par lui-même et traduite par M***, Paris, H. Nicolle, 1809, 2 vol. in-8o, Alfieri était d’une taille haute et noble, d’une figure distinguée, mais peu imposante, quoique son air fût habituellement dédaigneux et hautain, son front était grand et ouvert, ses cheveux épais et bien plantés, mais roux ; ses jambes longues et maigres. Il aimait passionément les chevaux : il en a eu jusqu’à douze ou treize à la fois, presque tous fins et de prix. Il se plaisait peu dans le monde, et n prenait aucun soin pour y plaire. La qualité distinctive de son esprit et de son âme était l’élévation : son défaut dominant l’orgueil. Ce fut l’orgueil plutôt que par penchant, ce fut pour exciter l’admiration, pour être le premier en quelque chose, pour vivre dans la postérité, qu’il devint poëte. au milieu de ses succès poétiques et littéraires, il eut un grand malheur : c’est à ce qu’il parait, de n’aimer véritablement ni la poésie ni les lettres. Ses passions étaient sincères et ardentes. On l’aurait cru peu sensible ; il l’était pourtant en amitié ; il y était aussi très-fidèle. Dans d’autres affections il fit souvent de mauvais choix ; mais, dès qu’il eut trouva une femme digne de l’attacher, il fut constant, et le fut pour la vie. Sa réputation littéraire s’est établie avec peine. On trouvait à son style des défauts qui ont été regardés depuis comme des qualités. Il n’écrivait pas comme tout le monde ; on l’en blâmait ; mais tout le monde, ou du moins tous poètes tragiques, ont fini par vouloir écrire comme lui. Le système dramatique qu’il a introduit en Italie est, quoi qu’il en ait dit, celui de France : il n’a fait qu’essayer d’en corriger les longueurs et les longueurs. Il a supprimé les confidents et presque tous les personnages secondaires : il en résulte plus de vigueur sans doute, et une action plus serrée, mais aussi moins d’épanchements, de la sécheresse et de la roideur. Notre théâtre est déjà maigre, auprès de celui des Grecs ; celui d’Alfieri est, à l’égard du notre, presque dans la même proportion. Il parle rarement au cœur ; mais il est éloquent et nerveux dans les passions fortes il a de la grandeur, et, dans ses idées comme dans son style, il aspire toujours au sublime ; ses caractères ont de l’énergie, quelquefois aux dépens de la vérité historique et même dramatique ; ne donnant rien aux yeux et peu au cœur, il fait peu d’effet au théâtre mais il en fait beaucoup à la lecture. Son dialogue est souvent un modèle de précision, de justesse et d’argumentation dramatique. La coupe de ses vers est savante et harmonieuse ; mais son style ; toujours fort, est quelquefois un peu dur. Il en sera de lui comme de la plupart des inventeurs ; d’autres Italiens feront mieux que lui mais en l’imitant ; ils iront plus loin, mais en suivant la route qu’il leur a tracée[2]. G-é.

  1. Ginguené ignorait sans doute en 1811, lorsqu’il a composé cette notice, que le Miso-Gallo avait été plusieurs fois imprimé en Italie, notamment à Asti, en 1799, in-8o, sous le rubrique de Londres. Il l’a encore été depuis, en 1814, à Florence et dans d’autres endroits. M-D J
  2. M. de Fallette-Barrol, de l’Académie de Turin, a donné une notice sur Alfieri dans les Archives littéraires de l’Europe t. 3 (1804), p. 137-150. L’Académie de Lucques avait proposé un prix pour le meilleur ouvrage qui lui serait présenté sur le mérite littéraire d’Alfieri, considéré comme un poète tragique ; il fut remporté en 1807 par M. Carmiguani, professeur de droit à Pise, et son mémoire parut la même année à Florence, in-8o, sous le titre de Dissertatione sulie tragedie d’alfieri. Il n’est pas inutile de remarquer que l’auteur couronné dit plus de mal que de bien du poète qu’il est chargé d’apprécier ; exemple rare, surtout en Italie, où l’on aime à prodiguer les superlatifs de la louange et de l’admiration. ─ Ginguené, dans l’article auquel nous nous permettons d’ajouter cette note, a dédaigner de citer les deux Lettres à un académicien de Turin sur un passage de la vie de Victor Alfieri, Paris, 1809, in-8o de 24 pages. Il est bon d’en faire mention ici. (Voy. Guinguené.) Elles sont adressées au svant abbé Valperga de Caluso, et servent de réponse aux injures dont Alfieri avait payé une offre de service que lui avait faite Ginguené. Le passage où il est question de Ginguené étant un de ceux qui ont été retranchés dans la traduction française de la Vie de Victor Alfieri, publié en 1809 (par Petitot), le littérateur français ne distribua en France que peu d’exemplaires de ses lettres, et fit passer presque toute l’édition en Italie. ─ Depuis la notice de Ginguené, on a imprimé à Paris le Prince, traduit de l’italien d’Alfieri (par Jean Loque), 1816, in-8o C-D-A.