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furent mis en prison. L’histoire n’ajoute point que le pape eût porté plus loin la vengeance : Alexandre n’en fut que plus ardent à poursuivre ses violentes revendications, en élevant sa famille sur les ruines de toutes les autres. Pendant que César prenait Faenza, et joignait à ses autres titres celui de duc de la Romagne, tandis qu’il s’emparait, soit par ruse, soit par force, du duché d’Urbin, de Bologne et d’autres domaines qui étaient l’objet de son ambition, Alexandre en faisait condamner à Rome les titulaires par les tribunaux qui lui étaient dévoués, et les vaincus se trouvaient toujours coupables ou de félonie ou d’usurpation. Ce fut dans ces circonstances qu’Alexandre revêtit Lucrèce du gouvernement de Spolette : elle était veuve alors d’Alphonse d’Arragon ; Alexandre lui fit épouser Alphonse d’Est, fils du duc de Ferrare. Rodrigue d’Arragon, fils de Lucrèce, eut le duché de Sermoneta : le duché de Nepi fut donne à Jean Borgia, que quelques-uns supposent aussi fils naturel d’Alexandre, mais d’une autre femme que Vanozia, et que l’on désigna dans l’investiture comme fils de César. Pour subvenir aux frais immenses de toutes ces entreprises. Alexandre, sous prétexte d’une croisade, imposa des taxes énormes sur tous les États de la chrétienté. Dans le seul territoire de Venise, elles donnèrent 799 livres pesant d’or, somme énorme pour un temps où l’Amérique n’avait pas encore versé en Europe le produit de ses mines. Ce nouveau monde venait d’être découvert, et déjà sa possession excitait des différends entre les rois de Castille et de Portugal. Alexandre les termina en traçant à ces souverains une ligne de partage et de démarcation. À ce prix, il obtint d’eux de reconnaître César comme duc de la Romagne, ce qui avait déjà été fait par les Vénitiens et le roi de Hongrie. Alexandre ne négligeait pas d’autres moyens de grossir son trésor. Il vendit les indulgences, s’empara de la succession des cardinaux de la Rovère, de Capoue et de Zéno, au mépris des dispositions testamentaires qu’ils avaient faites, et sous prétexte qu’elles l’avaient été sans son consentement. Ces excès de la cour de Rome excitèrent surtout le zèle de Savonarole. religieux dominicain de Florence, qui, dans de fougueuses prédications et des écrits violents, essaya de soulever les peuples, et d’obtenir, la réforme entière de l’Église et la déposition d’un pontife qu’il faisait envisager comme simoniaque. Cet homme avait commencé Luther, mais il n’eut pas l’adresse de mettre des puissances dans son parti. Alexandre l’excommunia, et lui interdit la prédication. Il continua cependant d’écrire ; il proposa des épreuves, qu’ensuite il voulut éluder. La multitude se tourna contre lui. Son procès lui fut fait par le général de son ordre, l’évêque de Romolino et les députés d’Alexandre. Il fut condamné à être pendu et brûle, et la sentence fut exécutée. La mésintelligence s’étant mise à Naples entre les Français et les Espagnols, le pape commençait déjà à se dégoûter de l’alliance de Louis XII ; il témoignait quelques incertitudes, lorsqu’il mourut le 18 août 1503, âgé de 74 ans environ, après 11 années et quelques jours de pontificat. Quelques historiens, à l’exemple de Guicchardin, prétendent qu’il s’empoisonna lui-même, par méprise, d’un breuvage qu’il avait préparé pour le cardinal Adrien Corneto et plusieurs autres, dont il voulait envahir les richesses ; mais ils ne sont point d’accord sur les dates. Ils ajoutent que César pensa périr victime de la même erreur. Ainsi finit cet homme qui déshonora la tiare par ses vices, sans illustrer son gouvernement par aucun acte généreux. On ne peut lui refuser des talents pour l’administration, du savoir, de l’éloquence, de l’habileté dans la politique ; comme il partagea toutes ces qualités avec César Borgia, il doit partager aussi avec lui les louanges de Machiavel. Alexandre VI ne fit point usage, comme les Grégoire VII, les Boniface VIII, et quelques autres, de ces anathèmes religieux qui appelaient les peuples à la révolte en proscrivant des souverains légitimes. Ces mesures commençaient à perdre de leur puissance ; il n’avait d’ailleurs à revendiquer que des droits de propriétés domaniales ; mais il y mêla des vues personnelles d’ambition et de cupidité. Il porta l’oubli des mœurs jusqu’au scandale, et la jalousie du pouvoir jusqu’à la plus odieuse sévérité. Il employa, il est vrai, beaucoup de fermeté et de vigueur à la répression du brigandage et au rétablissement de la justice. Mais ce qui est un sujet d’éloge dans un bon prince n’est souvent qu’un artifice dans un souverain animé par des haines particulières. On ne peut nier que ce ne fût là le mobile principal de toute la conduite d’Alexandre, et le trait dominant de son caractère. Mais il n’est pas également avéré qu’il ait employé tous les moyens qu’on lui attribue. Les ennemis qu’il se fit pendant sa vie lui ont attiré de la part de ses contemporains des diatribes sanglantes, que d’autres écrivains se sont plu à copier et à répéter, toutes les fois qu’ils ont voulu décrier l’autorité pontificale. Gordon est le plus remarquable de ces écrivains ; il a recueilli avec soin toutes les satires de ceux qui l’ont procédé, et les accusations d’empoisonnement contre Alexandre se multiplient sous sa plume avec une profusion qui devient suspecte. Le fait le plus frappant en ce genre est relatif à Zizime, frère de Bajazet. Ce malheureux prince mourut, suivant l’aveu de Gordon lui-même, quelques jours après avoir été remis entre les mains du roi de France, à la suite d’une dyssenterie, maladie très-ordinaire et presque inévitable dans une armée un peu nombreuse, sous un climat qui lui est étranger. Cet historien assure néanmoins que Zizime périt d’un poison qui lui avait été donné quelques jours auparavant. Il ajoute qu’Alexandre commit ce crime à l’instigation de Bajazet, qui lui promettait 300,000 ducats, s’il le délivrait ainsi de son frère. Gordon avoue que les lettres de Bajazet, où ces propositions étaient contenues, furent interceptés par le gouvernement d’Ancône, qui les envoya à Charles VIII, de manière qu’Alexandre ne dut pas les connaître. De tout cela il résulte une obscurité qui aurait dû rendre les copistes plus défiants, et leur faire observer à tous la réserve du président Hénault, qui raconte cet événement comme un bruit public, et ne le donne point comme un fait positif.