Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/432

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
416
ALE

chanoine de Pise, il fut appelé à Rome par le pape Eugène III, qui l’ordonna cardinal-diacre du titre de St-Côme et de St-Damien, puis cardinal-prêtre du titre de St-Marc ; enfin, il fut fait chancelier du siége apostolique. « Car il était éloquent, dit Fleury, et bien instruit des choses divines et humaines ; bénin, patient, sobre, chaste, bon aumônier, et toujours attentif aux choses agréables et plaisantes à Dieu. » Élu pape le 16 septembre 1150, après la mort d’Adrien IV, son élection fut troublée par des violences inconnues jusqu’alors. De vingt-cinq cardinaux qui y concoururent, trois lui refusèrent leurs suffrages, et choisir Octavien, l’un d’entre eux ; sous le nom de Victor III. Alexandre était déjà revêtu de la chape écarlate, lorsque Victor la lui arracha ; un des sénateurs présents s’en saisit ; aussitôt Octavien fait signe a son chapelain qui le revêt d’une chape préparée en secret et le salue du nom de Victor III ; mais, dans sa précipitation, il lui met la chape à l’envers ; ce qui fit dire qu’il avait été élu à rebours. Alexandre et ses amis se retirèrent dans la forteresse de St-Pierre, où ils demeurèrent neuf jours, assiégés par les soldats stipendiés par le parti de Victor. Au bout de ce temps, Alexandre fut délivré par le peuple, qui avait à sa tête Hector Frangipane et d’autres nobles. Cet événement fut accompagné des signes d’une joie universelle. Alexandre. conduit à quelques milles de Rome, au lieu nommé Sancta Nympha, y fut sacré par six évêques ; tous les cardinaux de son parti et le peuple romain en foule assistèrent à cette cérémonie. Victor, de son côté, trouva avec peine trois évêques qui voulussent coopérer à son sacre. Les deux adversaires écrivirent, chacun de leur côté, à Frédéric Barberousse, pour avoir son approbation. Cet Empereur les manda l’un et l’autre au concile de Pavie, qu’il avait dessein d’assembler pour prévenir le schisme. Alexandre prétendit qu’un concile ne pouvait être convoqué sans la participation de l’Église romaine. Cependant il y avait des exemples contraires, dans des circonstances semblables, avec cette différence que le pape était devenu souverain de Rome, et qu’il s’agissait d’annuler une élection faite par la réunion des pouvoirs politiques. Quoi qu’il en soit, le concile de Pavie, composé d’évêques de Lombardie et d’Allemagne, et où Frédéric vint, après avoir pris et brûlé Crème qu’il assiégeait, confirma l’élection de Victor. Alexandre y fut déposé, et s’en vengea en excommuniant Frédéric, dans une assemblée d’évêques et de cardinaux tenue à Anagni. Il déclara les sujets de ce prince déliés du serment de fidélité. Persécuté avec acharnement par l’Empereur et par l’anti-pape, Alexandre se réfugia en France (1161), ou régnait Louis le Jeune, alors en guerre avec Henri II, roi d’Angleterre et duc de Normandie. Arnould, évêque de Lisieux. conçut le projet de faire reconnaître Alexandre par les deux monarques, ce qui s’exécuta d’abord dans deux assemblées particulières, l’une du clergé anglican, à Londres, et des évêques normands, au pays de Caux ; l’autre, du clergé de France à Beauvais ; et enfin dans un concile général à Toulouse, après la conclusion de la paix entre les deux couronnes. Alexandre se fit également reconnaître par les rois d’Espagne, de Sicile, de Jérusalem et de Hongrie. Cependant, Victor, après avoir obtenu quelques partisans en Italie, mourut à Lucques, où les chanoines de la cathédrale et ceux de St-Frigidien refusèrent de l’enterrer chez eux, comme intrus et schismatique. Frédéric ne lui en fit pas moins donner un successeur, qui fut Gui de Crème, l’un des cardinaux sectateurs d’Octavien, et qui prit le nom de Pascal III. À la nouvelle de cet événement Louis le Jeune, prévoyant que le pape ne pourrait de longtemps retourner à Rome, l’invita à fixer sa résidence dans une ville de son royaume, et Alexandre choisit Sens en Bourgogne, où il alla s’établir le 1er octobre 1163, après avoir posé la première pierre de l’église Notre-Dame de Paris. Ce fut à Sens, où il séjourna deux ans, qu’Alexandre reçut les lettres de Thomas Becket. Craignant de se mettre un nouvel ennemi sur les bras, le pape refusa l’entrevue que Thomas lui demandait, et se contenta de lui écrire qu’il le rétablissait dans sa dignité épiscopale. Le nouvel anti-pape n’exista pas longtemps, et fut remplacé par Jean, abbé de Sturme, que l’on nomma Calixte III. Celui-ci abjura bientôt sa faute et vint se jeter aux pieds d’Alexandre, qui le reçut avec joie et le traita avec bonté. Enfin, quelques schismatiques, à la place de Jean de Sturme, élurent Lando Sitino, de la famille des Frangipane, qu’ils nommèrent Innocent III. Un chevalier, frère de l’anti-pape Octavien, prit le nouvel intrus sous sa protection, dit Fleury, en haine d’Alexandre, et lui donna une forteresse qui lui appartenait près de Rome. Alexandre l’en tira par la suite, et, malgré sa soumission, le traita comme un séditieux. Il le fit enfermer à Cava. La plupart des historiens ont dédaigné de s’occuper de lui. Alexandre, triomphant ainsi successivement de ses contemporains, avait profite de l’insurrection des villes lombardes contre Frédéric pour retourner, en 1165, en Italie, où le vœu général l’appelait. Il restait dans Anagni, éloigné de Rome, où la division des partis l’empêchait encore de rentrer ; il avait encore à vaincre l’inimitié de Frédéric. Cet Empereur, qui avait conçu le projet de la monarchie universelle, voyait alors le bonheur des ses armes troublé par la révolte de la Lombardie, et par la perte de la bataille navale de Lignano, gagnée par les Vénitiens. Frédéric songea alors à se rapprocher d’Alexandre ; et, après quelques hésitations, la réconciliation se fit à Venise, en 1176, de la manière la plus solennelle. Quelques historiens ont raconté, de cette réunion, des détails injurieux pour Alexandre, et humiliants pour Frédéric ; il est sûr qu’il ne s’y passa pas autre chose que ce qui avait eu lieu entre ce même Empereur et Adrien IV, et ce qui s’est pratiqué longtemps après dans de pareilles entrevues. Avant de quitter Venise, Alexandre, voulant laisser à la république un témoignage de sa reconnaissance, donna au doge son anneau en lui disant de le jeter dans la mer, qu’il lui donnait pour épouse. Telle est l’origine de la cérémonie qui se renouvelait tous les ans à Venise, où le doge épousait