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entrepôt des richesses de l’Orient, ouvrirent leurs portes au vainqueur qui dirigea sa marche vers Persépolis. Les défilés appelés pyles persides, seul passage pour pénétrer en Perse, et regardés jusqu’alors comme inaccessibles, étaient encore défendus par 40,000 hommes, sous les ordres d’Ariobarzane. Alexandre sut les tourner, et prendre à dos l’armée d’Ariobarzane, qu’il tailla en pièces. Il fit alors son entrée triomphante à Persépolis, capitale de l’empire. Ici finissent les jours les plus glorieux d’Alexandre : possesseur[1], il devient l’esclave de passions ; se livre à l’orgueil, à la débauche ; se montre ingrat et cruel ; et c’est du sein des voluptés qu’il ordonne la mort, ou qu’il verse lui-même le sang de ses plus braves capitaines. Jusqu’alors sobre et tempérant, ce héros, qui aspirait à égaler les dieux par ses vertus, et qui se disait dieu lui-même, semble se rapprocher du vulgaire des hommes, en se livrant aux derniers excès de l’intempérance. Un jour, plongé dans l’ivresse, il quitte la salle du festin, sur la proposition de Thaïs ; courtisane athénienne, et, portant comme une torche enflammée, il met le feu au palais royal de Persépolis, qui, construit presque entièrement de bois de cèdre, passait pour la merveille du monde[2]. Honteux lui-même de cet excès, il répondit à ses courtisans qui le félicitaient d’avoir ainsi vengé la Grèce : « Je pense que vous auriez été mieux vengés en contemplant votre roi assis sur le trône de Xercès que je viens de détruire. » Il sortit bientôt de cette ville à la tête de sa cavalerie, et se mit à la poursuite de Darius, qu’il était impatient d’avoir en sa puissance. Apprenant que Bessus, satrape de la Bactriane, venait de priver ce monarque de sa liberté, et le menait enchaîné à sa suite, il accéléra sa marche, dans l’espoir de le sauver. Plutarque assure qu’il fit 122 lieues en moins de onze jours.[3] ; mais il ne put arriver à temps : Bessus, se voyant serré de trop près, fit tuer Darius, qui le gênait dans sa fuite[4]. Arrivé sur les confins de la Bactriane, Alexandre aperçoit, sur une charrette, un homme couvert de blessures : c’était Darius qu’on venait d’égorger. À ce spectacle, le héros macédonien ne put retenir ses larmes. Après avoir fait rendre aux restes de son ennemi tous les honneurs funèbres usités chez les Perses, il se remit en marche, subjugua l’Hircanie, le pays des Mardes, la Bactriane[5], et se fit proclamer roi d’Asie. Il formait des desseins plus vastes encore, lorsqu’une conspiration éclata dans son propre camp. Les historiens, quoique peu d’accord sur les détails, conviennent tous que Philotas, fils de Parménion y fut enveloppé. On le chargea de chaînes, et, sur ses aveux obtenus au milieu des tortures, il fut condamné à mort. La chute de Philotas entraîna celle de son père, et Parménion, qui commandait en Médie, fut tué en trahison par ordre d’Alexandre ; ce qui excita un grand mécontentement dans l’armée. « Ils murmuraient tous hautement, dit Justin, redoutant un pareil sort[6]. » Dans ce même temps,

    à conquérir, mais à parcourir voyez d’abord ce qui suit sur l’affaire des pyles persides, puis la note 30. Val. P.

  1. Il ne faut pas dater d’Arbelles sa vie de plaisir et d’orgies, et bien moins encore ses bouffées de morgue ou de cruauté (qu’on pense à Tyr et à Gaza, même en effaçant les trois quarts de la tradition vulgaire) : c’est bien méconnaître les faits que de ne pas voir que jamais Alexandre ne passa au delà de quelques semaines ai plus dans cette vie de plaisirs, et que jamais elle ne lui fit suspendre ni vastes combinaisons, ni rudes travaux. Tandis que d’autres, une fois possesseurs des provinces opulentes, se seraient contentés de ce lot, ou du moins n’eussent plus agi que par leurs lieutenants. Alexandre veut encore soumettre toutes les autres provinces de la domination persanes, et même pousser dans l’Inde, opérer par lui-même les conquêtes, examiner par ses yeux la topographie, les ressources des pays, en organiser la défense et en grossir la population par des colonies, ouvrir de nouvelles routes au commerce, etc., etc. Cette activité dévorante, incessante ; toujours hardie, et toujours pourtant allant au réel, au solide, est justement ce qui arrache l’admiration, lorsqu’on suit pas à pas la vie d’Alexandre ; et jamais il ne déploya cette activité avec autant d’éclat qu’après Arbelles, et à l’époque où on voudrait le représenter comme abruti par les voluptés et l’ivresse. ─ Restent donc la question d’élégance quand il s’enivrait, et la question de morale pour quelques-unes de ses distractions. Il nous semble qu’on devrait penser ici à ce que c’est que de jeunes militaires, et aussi à la grossièreté des anciens. Il y a des gens qui ont recherché sérieusement si Annibal avait été chaste : ceux-là peuvent s’étendre à loisir sur ce qu’ils appelèrent les désordres d’Alexandre. Pour nous, nous tenons qu’Alexandre et Annibal avaient beaucoup de vertu pour des pirates. Val. P.
  2. Il n’y eut sans doute que quelques pavillons de brûlés à Persépolis. Qu’on pense au mode de construction des habitations royales d’Asie (parcs, viviers, bâtisses éparses) ; mais c’est encore trop peu pour l’honneur d’Alexandre. Peut-être est-ce le plus ravissant des ces petits Trianons qui brûle ? Fut-ce accident ? Fut-ce une des folles fantaisies de l’ivresse ? Nous inclinons pour la seconde hypothèse, malgré de très-habiles critiques modernes, qui, en justifiant Alexandre des absurdités qu’on lui impute, oublient trop qu’il eut des moments (nous ne disons, ni des années, ni des journées, mais des moments) de vertige. Quant à l’existence de Persépolis après Alexandre, elle est prouvée par une suite de faits, les uns presque contemporains de la mort d’Alexandre, les autres du 2e siècle de notre ère.
  3. C’est beaucoup, mais tout le pays est en plaine sans ondulations (sauf vers le pyles caspiennes) ; et Alexandre n’avait avec lui que de la cavalerie d’élite. Val. P.
  4. Bessus voulait se faire, de satrape, roi de Bactriane. Darius pouvait lui servir de prête-nom pendant un temps, au cas où il eût trouvé de la résistance ou des rivalités. Mais probablement Darius sentait confusément que mieux valait pour lui se trouver aux mains d’Alexandre qu’entre celles de ce barbare, et retardait sa marche tant qu’il pouvait. De là sa mort. Val. P
  5. 1o De Persépolis, Alexandre se rendit dans la Parétacène, qu’il subjugua rapidement, se dirigeant sur la Médie, où disait-on, Darius voulait lui livrer bataille avec des Scythes et Cadussi 2o Marchant toujours, il sut que Darius, ne pouvant compter sur ses troupes, prenait la route de l’est-nord-est avec Bessus, il entra dès lors sans coup férir à Ecbatane et occupa la Médie, puis chargea Parménion d’occuper l’Hyrcanie. 3o Il se mit à la poursuite de Darius, entra ainsi en Parthiène, passa les pyles caspiennes, et ne trouva que le cadavre de Darius. 4o de La Parthiène (soumise), il passa dans l’Hyrcanie, soumise aussi à peu près (c’était revenir un peu vers l’ouest mais plus au nord). 5o Continuant sa route en sens ouest, il traversa les dures régions des Marées, qui furent plusieurs fois battus dans leurs montagnes, reçut la soumission des Tapures (Tabéristan), et revint à Zadracart (capitale de l’Hyrcanie), bien plus maître de la lisière méridionale de la mer Caspienne, que ne l’avait jamais été Darius. 6o En 320, il reçut la soumission de l’Ariane ou Arie, capitale Susia. 7o Il marchait sur la Bactriane où Bessus venait de se faire proclamer, quand, apprenant la révolte prochaine des satrapes d’Ariane, qui, d’accord avec Bessus, devait fuit, tourna vers la Drangiane (où Barzente, meurtrier de Darius, se préparait à les seconder), et l’occupa. ─ Dans tous ces pays, il laissa les satrapes antérieurs, ou bien nomma des satrapes persans (Oxathre en Parétacène, Oxydate en Médie, Autophradate en Tabéristan et sur les Mardes, Satibarzane, puis Arsace, en Arie). ─ Enfin, on voit qu’en tout ceci il n’y a rien qui ressemble encore à la soumission de la Bactriane : ce ne sont que les préparatifs, laborieux déjà, d’une guerre bien plus laborieuse. Val. P.
  6. À Prophthaise en Drangiane. ─ La réalité du complot de Philotas a toujours a toujours été mise en doute, et la mort de Parménion