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ABB

vie de n’avoir qu’un costume extraordinairement simple. Il combla de caresses et de bienfaits le fils de Saefy, le désigna pour son héritier, et afin de lui assurer la couronne, il fit crever les yeux aux deux fils qui lui restaient. Abbas était alors à Recht, dans le Mazenderan ; quand les dix premiers jours de son deuil furent écoulés, il se rendit à Qazwyn, où il convoqua plusieurs kans ou gouverneurs de provinces, dont la fidélité lui était suspecte. On leur servit des breuvages empoisonnes, et on ne leur permit plus de sortir de la salle d’audience. Tous expirèrent en présence du monarque. Quoiqu’il eut accordé au meurtrier de son fils la récompense promise, la vue de ce misérable lui était odieuse, et il cherchait l’occasion de le punir de cet excès de zèle. « Va, lui dit-il un jour, couper la tête toi-même à ton fils, et fais-la rouler à mes pieds, » L’infâme courtisan baisse les yeux, s’éloigne et revient bientôt avec cet horrible prescrit. « Ton fils et le mien n’existent plus, dit Abbas ; tu es maintenant aussi à plaindre que moi, et notre malheur est ton ouvrage. » Ce trop zèle serviteur périt quelque temps après, de la main d’un de ses esclaves, aposté sans doute par le roi, qui se félicita hautement d’être délivré de la présence d’un personnage odieux. La guerre fut déclarée, et les campagnes de 1602 et 1603 donnèrent aux Persans les forteresses de Nakhdjevan, de Tauris, d’Erivan, etc. Le monarque, voulant séparer ses états de ceux du sultan de Constantinople par un immense desert, transporta, au mois de juin 1604 les habitants de l’Arménie dans l’intérieur de la Perse, tant du côté de Tauris que dans le Laristan. Quant aux habitants de Djulfah, célèbres alors par leurs immenses richesses, et surtout par leurs talents pour le commerce, ils eurent ordre de se rendre à Ispahan. On leur assigna un vaste emplacement situé au delà de la rivière qui borde cette ville à l’orient. Là ils bâtirent un faubourg auquel ils donnèrent le nom de la ville qu’ils avaient été contraints d’abandonner. Cette mesure, si désastreuse pour la portion la plus intéressante des habitants de la Perse, n’eut d’autre résultat que de forcer les armées ottomanes à prendre une autre direction. Elles fondirent sur la Géorgie et le Chirvan. Sinan-Pacha essaya de reprendre Tauris, et livra en 1605, une bataille, dans laquelle il fut complètement défait par les Persans, qui reconquirent l’Arménie. Tiffis et Tauris retombèrent en leur pouvoir. La ville de Qaudjah éprouva le même sort en 1606, suivant Antoine de Gouvea, qui nous apprend qu’Abbas fit trancher la tête au gouverneur turc et à tous les soldats de la garnison, en représailles du traitement qu’ils avaient fait subir, l’année précédente, à un seigneur persan. La conquête du Chirvan, de grandes victoires sur les Ottomans, et la soumission du Kourdistan, signalèrent les années suivantes. Enfin, les Ottomans, las d’une guerre désastreuse, demanderait la paix et l’obtinrent en 1611. Abbas en profita pour embellir la nouvelle capitale de ses états. Le Meyden, ou grande place, fut trace, et environné d’un immense portique et de différents édifices, parmi lesquels on distingue encore aujourd’hui la grande mosquée. Mais la guerre ne tarda pas rallumer avec les Turcs, qui reprirent les hostilités après avoir formé une ligue offensive avec les Tartares de Kaptchak et suscité des troubles en Géorgie. La fortune fut de nouveau contraire aux Ottomans ; après plusieurs défaites partielles, ils furent complètement vaincus près de Sultanieh, en 1618, et signèrent un traite de paix qui garantissait aux Persans toutes leurs conquêtes. Le nom d’Abbas retentit dans tout l’Orient ; ce prince reçut successivement des ambassadeurs le la Russie, de Golconde, du Dekehar et du grand mogol Akbar. L’abaissement de la puissance ottomane, tel fut le but constant de la politique d’Abbas ; aussi rechercha-t-il avec persévérance l’alliance des princes chrétiens qu’il jugeait disposés à consommer avec lui le renversement de la Porte. Sous son règne, les relations de la Perse avec la chrétienté étaient beaucoup plus fréquentes qu’aujourd’hui. Les rois d’Espagne, de Portugal, d’Angleterre, les états de Hollande, la Russie lui envoyèrent des ambassadeurs, qu’il reçut et traita avec magnificence. Il montrait une prédilection particulière pour le pape, qu’il regardait connue le plus grand ennemi des Turcs. Les Européens étaient accueillis à sa cour avec bienveillance et distinction ; il fermait les yeux sur la prédication des missionnaires, et les employait adroitement à tromper les princes chrétiens de la Géorgie qu’il soumit et réunit à son empire. Abbas était trop puissant pour souffrir patiemment la domination portugaise établie dans l’ile d’Ormus, conquise en 1307 par Albuquerque : il résolut de les chasser de cette position importante. Une première tentative n’avait pas été heureuse, il réclama assistance de la compagnie anglaise des Indes orientales, dont la jalousie s’accordait avec ses desseins. Les Anglais fournirent des vaisseaux : une flotte anglo-persane assiégea Ormus et s’en empara, en 1623. Abbas transporta son commerce à Bender-Abbassi, fort situe en face de l’île. La compagnie anglaise eut sa part du butin, mais elle n’obtint pas le prix qu’elle avait espéré de ses services : son allié sut habilement déjouer les projets qu’elle avait formés de fonder sur ce point un établissement commercial. Tandis qu’Abbas dirigeait en personne cette expédition, une autre armée persane, conduite par son généralissime Allay-Veyrdy-Kan, enlevait le Candahar à l’empire Des succès aussi éclatants et aussi multipliés excitèrent la piété du monarque ; il voulut faire un pèlerinage aux tombeaux d’Ali et de ses enfants, situés en Irac-Araby. Cet acte de dévotion lui suggéra le projet de retirer des mains des Ottomans, qui sont sunnytes, et conséquemment hérétiques aux yeux des Persans, des lieux vénérés par tous les chyites. De là une nouvelle guerre entre les deux nations. Bagdad fut prise ; la garnison persane tint une année entière contre l’armée turque, qui fut obligée de lever le siége, en 1623. Le prince victorieux alla prendre quelques délassements a Sulthangeh, de la à Qarwyn, où il reçut les hommages du souverain des Afghans, et