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un espace de 80 stades entre la mer et le lac Maréotis, où il fonda Alexandrie, qui devint ensuite une des première villes du monde. Il alla ensuite dans les déserts de la Lybie consulter l’oracle de Jupiter-Ammon. Quelques historiens ont prétendu que ce dieu le reconnut pour son fils ; Arrien dit seulement qu’Alexandre le consulta sur des choses secrètes, et qu’il fut satisfait de sa réponse. D’habiles critiques, fondés sur des passages de Strabon, ont rejeté comme des fables tout ce qui a été raconté sur ce voyage[1]. Au retour du printemps, Alexandre se mit en marche par la Phénicie, pour aller chercher Darius ; qui avait formé une nouvelle armée en Assyrie [2]. Il reçut alors de ce prince l’offre d’une de ses filles en mariage, avec 10,000 talents (54 millions) pour la rançon de sa famille, et la cession de toute l’Asie jusqu’à l’Euphrate. Alexandre communiqua la lettre de Darius à ses principaux officiers : « J’accepterais, dit Parménion, si j’étais Alexandre. — Et moi aussi, repartit Alexandre, si j’étais Parménion. » Sa réponse au roi de Perse ne laissant aucune espérance d’accommodement[3], les deux armées se rencontrèrent bientôt à Gaugamèle, bourg voisin de la ville d’Arbelle, en Assyrie, à quelque distance de l’Euphrate. Justin évalue les forces de Darius à 400,000 hommes d’infanterie, et à 100,000 de cavalerie ; mais Diodore de Sicile, Arrien et Plutarque disent que ce monarque avait plus d’un million d’hommes, et trois cents chariots armés de faux[4]. Étonnés à la vue d’une armée si nombreuse, les généraux macédoniens étaient d’avis de combattre pendant la nuit, pour cacher aux soldats l’infériorité de leur nombre. « Je ne suis pas accoutumé à dérober la victoire, » répondit Alexandre. Il donna ses ordres pour le lendemain, et alla se reposer dans sa tente. Quoique cette bataille dût décider de son sort, il ne témoigne aucune inquiétude, et, à l’heure marquée pour ranger l’armée en bataille, ses généraux le trouvèrent plongé dans un profond sommeil. Après les avoir envoyés à leur poste, il prit son armure, fit paraitre le devin Aristandre, qui prédit a l’armée le succès le plus complet ; puis, se mettant à la tête de sa cavalerie, il s’avança dans la plaine, suivi de sa phalange. Avant le premier choc, l’avant-garde des Perses prit la fuite. Alexandre poursuivit avec ardeur les fuyards, et les renversa sur le corps de bataille, ou ils portèrent l’épouvante. Ce fut dans ce moment qu’il apprit que son aile gauche était enfoncée par la cavalerie persane qui avait pénétré jusqu’aux équipages. Parménion, qui commandait sur ce point, lui ayant fait demander des secours : « Dites-lui, répondit Alexandre, que nous ne manquerons pas d’équipages lorsque nous serons vainqueurs des Perses ; et que, si nous sommes vaincus, nous n’en aurons pas besoin. » Ce ne fut donc qu’après avoir enfoncé le corps de bataille de Darius qu’il fit dégager Parménion[5]. Son principal désir était de prendre ou de tuer le roi de Perse, qu’on voyait sur un char élevé, au milieu de son escadron royal. Les gardes de Darius le défendirent d’abord avec courage ; mais, voyant Alexandre renverser tout ce qui se présentait devant lui, ils prirent la fuite, et le roi de Perse se trouva entouré du spectacle le plus effrayant. Sa cavalerie, rangée devant son char qu’elle voulait défendre, est taillée en pièces, et les mourants tombent à ses pieds. Près d’être pris lui-même, il se jette sur un cheval, et échappe au vainqueur par la fuite, abandonnant son armée, ses équipages, et des trésors immenses. Cette grande victoire mit toute l’Asie au pouvoir d’Alexandre[6]. Babylone et Suze,

  1. Il n’y a nulle raison sérieuse de rejeter ce voyage, complètement dans le goût d’Alexandre. Quant à l’appellation de fils d’Ammon, donnée par le dieu au conquérant, pour qui connait les formules égyptiennes, rien de plus simple, aimé de Fta ou fils de Fta, aimé d’Amon ou fils d’Ammon, sont des titres prodigués au anciens Pharaons sur tous les monuments. Si les Grecs, identifiant Jupiter et Ammon, en conclurent qu’Alexandre voulait sérieusement faire croire que Jupiter était son père, et avait eu commerce avec Olympias, sous forme de dragon (on sait que Knef ou Ammon revêt parfois la forme d’ouréé ou serpent favorable), il ne faut voir dans tout cela que de fausses interprétations de la légende grossièrement traduite et mal comprise. Val. P.
  2. Darius était à l’est du Tigre. On était alors en 331 ; l’occupation de l’Égypte avait eu lieu dans l’arrière-saison de 332 et au commencement de l’année suivante. Val. P.
  3. C’est donc la troisième ambassade de Darius. Ce n’est ici que la seconde. Val. P.
  4. Toujours les levées en masse, comme nous l’avons vu plus haut (note 29), levées qu’en ne savait pas distribuer et échelonner, qu’on armait fort mal, et qui ruinaient le pays sur leu passage, de manière qu’en réalité elles ne faisaient que du mal. Nous inclinons pourtant à borner les combattants de Gaugamèle à 500,000 hommes, ne voyant dans le reste qu’un arrière-ban, sans réserve possible. Val. P.
  5. Parménion se dégagea tout seul, grâce, au reste, à la faute qu’avaient commise les barbares, qui pouvaient lui faire courir les plus grands dangers. Ne cherchant qu’a fuir, un énorme corps du centre perse, qui avait Alexandre par derrière, avait marché sur la phalange qui formait le centre des Macédoniens. Celle-ci avait ouvert ses rangs et laissé passer sans coup férir. Il est clair qu’alors ces Perses, qui étaient derrière le centre macédonien, pouvaient prendre à revers la gauche aux ordres de Parménion. ─ En général, les détails de la bataille d’Arbelles, outre ce qu’ils offrent d’intéressant en eux-mêmes pour la tactique, présentent ce fait bien remarquable que, sauf les corps d’élite qui formaient comme la maison de Darius, les grands corps de son armée ne se battent pour ainsi dire pas, et ne cherchent en quelque sorte qu’à s’échapper. Beaucoup s’échappent en effet, et, à ce qu’il semble, ils s’échappent par grandes masses, sans être rompus ou inquiétés. On dirait qu’une force à laquelle ils n’ont obéi que malgré eux les a réunis à Gaugamèle, et que, dès qu’ils le peuvent, ils reprennent chacun la route de leur pays. Le mauvais commandement, l’indifférence, ne suffisent peut-être pas à expliquer ces nombreuses retraites ; et l’on se demande si Alexandre ne leurra pas plusieurs des grands chefs nationaux de l’espoir de l’indépendance chez eux, au cas on ils n’agiraient pas. — N’en concluons pas que la bataille d’Arbelles ne fut point une bataille (on se battit très-sérieusement, au contraire, autour de Darius et sur les deux ailes macédoniennes) ; mais ce n’est pas là une bataille de 500,000 hommes. Alexandre, suivant Arrien, en avait 47,000 (et même plus si l’on calcule en détail), Val. P.
  6. Les anciens ne se doutaient pas même de ce que c’était que l’Asie ; et la bataille d’Arbelles ne mettait pas tout l’empire perse au pouvoir d’Alexandre. 1o Elle assurait au Macédoniens (outre l’Assyrie) les quatre provinces aux quatre capitales (Babylone, Susiane, Médie, Perside). 2o Impossible désormais à Darius de réunir les nombreuses armées de Sokh, de Gaugamèle. 3o Impossible aussi pour lui, au cas ou des forces tirées de l’est et du nord lui eussent donné des avantages, de recréer l’empire perse avec suprématie des Achéménides. 4o Grand risque enfin pour lui (privé dorénavant de provinces centrales, de forces propres, de trésors, et à la merci des satrapes des lointaines provinces) d’être ou livré ou tué (ce qui eut lieu en effet). Mis les Macédoniens n’en avaient pas moins encore près de moitié du territoire à conquérir ; et, parmi en dernières provinces, s’en trouvaient de très-peu facile, non-