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d’être cultivées, et Philippe ne négligea rien pour cela. Il lui donna pour gouverneur Léonidas, parent d’Olympias, connu pour la sévérité de ses mœurs, et, pour sous-gouverneur, Lysimaque d’Acarnanie, à qui l’on attribue les vices que la flatterie développa dans la suite chez ce prince ; mais Aristote fut celui qui prit le plus de part à l’éducation d’Alexandre[1]. Le séjour d’une cour étant peu propre aux études sérieuses, le philosophe se retira, avec son élève, dans un lieu consacré aux nymphes, près de Miexa, sur les bords du Strymon. Du temps de Plutarque, on y voyait encore les siéges de pierre sur lesquels s’étaient assis le maître et le disciple, et les allées d’arbres à l’ombre desquels ils s’étaient promenées. Aristote lui fit parcourir tout le cercle des connaissances humaines[2], sans en excepter la médecine, science dont Alexandre eut plusieurs fois occasion de faire usage ; il s’appliqua surtout à l’instruire dans les sciences nécessaires à un souverain, et composa pour lui un traité sur l’art de régner[3], dont on ne saurait trop regretter la perte. Comme la Macédoine était entourée de voisins dangereux, et que le souverain d’un pareil royaume devait être victime de la guerre, s’il ne s’élevait par elle sur les ruines des autres États, Aristote chercha à inspirer à Alexandre les vertus guerrières, par de fréquentes lectures de l’Iliade[4]. Il prit même le soin de revoir le texte de ce poème ; et cet exemplaire, corrigé par Aristote, était le livre chéri d’Alexandre, qui ne se couchait jamais sans en avoir lu quelques pages[5]. Ces études ne lui faisaient pas négliger les exercices du corps, dans lesquels il montrait beaucoup d’adresse. Tout le monde sait comment, jeune encore, il dompta le cheval Bucéphale, que personne n’osait monter. Il n’avait que seize ans, lorsque Philippe, obligé de partir pour faire la guerre aux Byzantins, le chargea de gouverner en son absence. Les Médares, sujets des rois de Macédoine, pleins d’un injuste mépris pour sa jeunesse, crurent le moment favorable pour recouvrer leur indépendance. Alexandre prit leur ville[6], les en chassa, et, après l’avoir repeuplée, lui donna le nom d’Alexandropolis. Il fit ensuite des prodiges de valeur à Chéronée[7], où il eut la gloire d’enfoncer le bataillon sacré des Thébains. « Mon fils, lui dit a Philippe, en l’embrassant après la bataille, citerai cite un autre royaume ; celui que je te laisserai n’est pas assez grand pour toi ! Cependant la discorde survint dans la maison de Philippe, lorsque ce prince répudia Olympias pour épouser Cléopâtre. Alexandre ayant pris la défense de sa mère, de vives querelles s’élevèrent entre le père et le fils. Dans un accès de colère, Philippe fut sur le point de tuer Alexandre, qui, pour se soustraire à son ressentiment, su retira en Epire avec Olympias[8] ; mais il obtint bientôt son pardon, et revint auprès de Philippe. Peu de temps après, il marcha contre les Triballes avec son père, et lui sauva la vie, en le couvrant de son bouclier, dans une mêlée. Philippe, nommé généralissime des Grecs, se préparait à porter la guerre dans les États du roi de Perse, lorsqu’il fut assassiné l’an 357 avant.J.-C. Alexandre, qui n’avait pas encore vingt ans, monta sur le trone, fit punir quelques-uns de ceux qui avaient trempé dans l’assassinat de son père[9], se rendit ensuite

  1. On connaît la fameuse lettre par laquelle Philippe annonça, dit-on, au grand philosophe, la naissance d’Alexandre. La réalité d’une lettre pareille est plus que douteuse. Aulu-Gelle (t. 2, 3), est le seul qui nous l’est transmise, mais au moins voit-on que cette fable (imaginé au moins dans le sens des faits) remonte à une assez haute antiquité. À l’imitation de Philippe, et peut-être sous l’inspiration de cette lettre, Napoléon voulait préparer à l’instruction de son fils, l’illustre Cuvier, et déjà il avait chargé ce savant de dresser les plans d’une bibliothèque du roi de Rome
  2. Bien moins nombreuses alors que de nos jours. Personne n’était plus capable de donner cet enseignement universel ou encyclopédique qu’Aristote, qui le premier opéra la division scientifique des sciences, et qui réunissait en lui toutes celles qu’on connaissait de son temps. C’est de lui surtout que date chez les anciens l’expression la plus analogue à notre idée d’encyclopédie, Encyclios pœdia (l’éducation en cercle ou qui parcourt le cercle entier des connaissances) ; et, pour le dire en passant, c’est là l’idée du nom de péripatéticien, donné aux disciples d’Aristote. Ce nom n’indique certainement pas les promenades faites par Aristote eu donnant ses leçons a ses disciples, mais le mouvement de l’intelligence autour de toutes les sciences, en quelque sorte un périple intellectuel. Val. P.
  3. C’est Diogène de Laërte qui l’atteste. Vie d’Aristote. Les Arabes, selon Barlolocci, avaient en leur langue un traité d’Aristote sur cette matière, traité traduit en hébreu et lu en cette langue par Bartolocci. Ces assertions ne forcent point la conviction. En toute hypothèse, il est toujours bien sûr que Diogène parle d’un traité tout différent de la Politique. Val. P.
  4. Ce moyen pourrait paraître bizarre ; mais on peut dire qu’en l’initiant à la poésie et aux lettres, Aristote (il sentir profondément à son élève les vraies et hautes beautés d’Homère, Pindare, et que ces poètes gardèrent toujours le premier rang à ses yeux. Du reste, Alexandre eut aussi un faible pour Euripide, le tragique à la mode en Macédoine. Val. P.
  5. Nous devons ajouter ici quelques mots sur l’éducation scientifique d’Alexandre. On ne peut douter qu’Aristote ne s’y soit attaché particulièrement. D’une part rien n’était plus dans son génie ; de l’autre, mille traits de la vie d’Alexandre montrent qu’il appréciait et aimait les sciences. Il eut à sa suite, dans toutes ses campagnes, deux géomètres, Diognète et Béton, prenant partout des mesures géodésiques ; de toutes parts et toujours, il envoya des animaux et autres objets d’histoire naturelle à son maître, qui, sans lui, sans doute, n’eut point enrichi de tant de faits vrais ses magnifiques ouvrages sur les sciences positives. Il étudia eu voyageur le bassin du Sindh, et fit opérer par Néarque, de l’embouchure du Sindh et celle de l’Euphrate, un voyage scientifique. Tout le plan de l’expédition d’Asie, et une foule de détails d’exécution, supposent de hautes notions géographiques étendues et précises. En un mot, on pourrait soutenir que l’éducation scientifique donnée par Aristote a son élève fut pour près de moitié dans la réussite de ses plans. Val. P,
  6. Suivant Justin, au contraire, Philippe devant Byzance (540 avant J.-C.) appela son fis près de lui. Si donc Alexandre avait été chargé de quelque partie du gouvernement en l’absence de Philippe, c’est un peu avant ce siége, pendant les préparatifs, ou pendant que Philippe achevait de soumettre diverses peuplades thraces (341). Ceci admis, ce serait du camp devant Byzance qu’Alexandre aurait été détaché contre les Médares. Ceux-ci ne sont connus que par cette mention qu’en fait Plutarque. Leur mouvement était peut-être excité par Athènes, qui, en ce moment et à la voix de Démosthène, envoyait à Byzance des troupes et Phocion. Ce dernier força Philippe a lever le siége. Val. P.
  7. En 358.
  8. En 357. On a vu que l’Epire était la patrie d’Olympias. À son père, mort en 542, avait succédé son frère, Alexandre le Molosse, oncle d’Alexandre le Grand. Bientôt le Molosse épousa sa nièce Cléopatre, fille de Philippe et d’Olympias (536 avant J.-C.), union amenée probablement par la présence d’Olympias en Epire. Alexandre, dans l’intervalle, avait rejoint son père. Val. P.
  9. On ne peut douter qu’Olympias n’eût ordonné ou facilité le meurtre, témoin les honneurs qu’elle affecta de rendre à la cendre du meurtrier (Alexandre le Lynceste). La complicité d’Alexandre est infiniment plus douteuse. Au cas même où sa belle-mère eût eu des enfants, il les aurait primés en droit ; et sa supériorité d’âge l’eût aidé aussi à les primer en fait. Toutefois il est bien difficile d’admettre qu’il n’ait absolument rien su de la trame ourdie dans l’ombre contre Philippe, et qui finit par un assassinat au milieu de ses gardes. Il est vrai que c’est la cour de Suse, dit-on, qui arma le meurtrier de Philippe : Alexandre reproche à Darius (dans une lettre écrite après Issus et que nous a transmise Arrien) de s’en être vanté. Mais ne se pourrait-il pas qu’Alexandre, aimant autant faire l’expédition de Perse en roi qu’en fils de roi, ait laissé faire ce dont il se doutait, et ce dont il se réservait de bien proclamer que d’autres étaient auteurs ? Il est bon d’ajouter que bientôt les supplices atteignirent et Cléopâtre (la rivale d’Olympias), et Attale, avec de nombreux adhérents. Issu du sang des Caranides, ce dernier pouvait avoir des prétentions au trône, et avec les symptômes de troubles qui se manifestaient (voy. note 49), ses prétentions avaient des chances de réussite. Val. P.