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pour le mettre au-dessus du besoin. Le temps a déchiré le voile dont ils ont voulu se couvrir : on sait aujourd’hui que d’Alembert était le fils de madame de Tenein, femme célèbre par son esprit et par sa beauté, et de Destouches, commissaire provincial d’artillerie, au nom duquel on ajoutait le mot canon, pour le distinguer de l’auteur du Glorieux : D’Alembert annonça de bonne heure une grande facilité et de l’application. Mis dans une pension à l’âge de quatre ans, il n’en avait que dix lorsque le maître de cette pension, homme de mérite, déclara qu’il n’avait plus rien à lui apprendre ; ce ne fut néanmoins qu’à douze ans qu’il passa au collège Mazarin, où il entra en seconde. Ses dispositions avaient frappé ses maîtres, au point qu’ils espéraient trouver en lui un nouveau Pascal pour le soutien de la cause du jansénisme a laquelle ils étaient fortement attachés. Il fit, dans sa première année de philosophie, un commentaire sur l’Épître de St. Paul aux Romains, et commença, dit Condorcet, comme Newton avait fini ; mais lorsqu’il eut étudié les mathématiques, il prit aussitôt pour elles le goût qu’elles inspirent a ceux qui ne peuvent captiver leur esprit que par des vérités absolues, et trompa l’espérance de ses maîtres en renonçant pour toujours aux discussions théologiques. En sortant du collège, il prit le grade de maître és-arts, étudia en droit, fut reçu avocat, mais n’en continua pas moins de se livrer aux mathématiques. « Sans maître, presque sans livres, et sans même avoir un ami qu’il pût consulter dans les difficultés qui l’arrêtaient, il allait aux bibliothèques publiques ; il tirait que la quelques lumières générales des lectures rapides qu’il y faisait, et, de retour chez lui, il cherchait tout seul les démonstrations et les solutions ; il y réussissait pour l’ordinaire ; il trouvait même souvent, des propositions importantes qu’il croyait nouvelles, et il avait ensuite une espèce de chagrin, mêlé pourtant de satisfaction, lorsqu’il les retrouvait dans des livres qu’il n’avait pas connus. » Ce passage d’un mémoire que d’Alembert nous a laissé sur sa vie n’est pas seulement curieux par l’idée qu’il nous donne des difficultés que cet homme illustre a eues à surmonter ; mais parce qu’il montre combien il s’en fallait alors que les moyens d’étudier les sciences fussent aussi multipliés qu’ils le sont maintenant. Les amis qui dirigeaient la conduite de d’Alembert l’engageant a choisir un état qui put le mener à quelque aisance, il se décida pour la médecine, comme une profession moins étrangère aux sciences que toute autre. Cependant, afin d’éviter les distractions, il voulut éloigner de lui, pour un temps, ses livres de mathématiques ; mais, poursuivi par ses idées, tournées sans cesse vers ce sujet, il les reprit tous un a un, bien avant le terme qu’il s’était fixé : il cessa donc de résister à son goût, et se consacra entièrement à la science ou il devait paraître au premier rang, Un mémoire sur le mouvement des corps solides à travers un fluide, un autre sur le calcul intégral, présentés a l’Académie des sciences en 1739 et 1740, le firent connaître de cette compagnie, qui l’admit au nombre de ses membres en 1741 ; et bientôt (en 1743) il publia son Traité de dynamique, où, par un principe qui n’est qu’une heureuse énonciation d’une condition du mouvement évidente par elle-même, il est parvenu à réduire aux lois de l’équilibre d’un système de corps la détermination des mouvements que ce système doit prendre. Rappelant ainsi à une méthode uniforme la mise en équation des problèmes de ce genre, qu’on faisait dépendre de principes incohérents, et plutôt devinés que démontré, il mit fin, dit Lagrange, aux espèces de défis que les géomètres s’adressaient alors sur cette matière. En 1744 parut la première édition de son Traité des fluides, faisant suite à celui dont je viens de parler. D’Alembert fut encore obligé, dans cet écrit, de s’astreindre aux hypothèses par lesquelles Jean et Daniel Bernouilli étaient parvenus à rendre le mouvement des fluides accessible au calcul ; mais, en appuyant ses solutions sur le principe qu’il avait appliqué à la recherche du mouvement des corps solides, il rectifia quelques erreurs échappées à ses illustres devanciers, et mit à l’abri de toute difficulté ce qu’ils avaient trouvé d’exact. À cet ouvrage succéda la pièce qui a remporté, en 1740, le prix propose par l’Académie de Berlin, sur la théorie des vents, et où se trouve le germe de l’application rigoureuse de l’analyse au mouvement des fluides. La société savante qui venait de couronner d’Alembert l’adopta par acclamation au nombre de ses membres. Parmi les mémoires qu’il lui adressa, trois ont particulièrement contribué aux progrès de la science : ceux de 1746 et de 1749 sur l’analyse pure, et celui de 1748 sur les cordes vibrantes. Ce dernier a fixé l’attention des géomètres sur le calcul intégral aux différentielles partielles, dont Euler ne s’était occupé qu’en passant, et sans en faire aucune application. D’Alembert prenait également part aux recherches qui ont complété les découvertes de Newton sur le mouvement des corps célestes, et achevé de changer en théorie ce qu’on n’avait d’abord appelé qu’un système. Pendant qu’Euler et Clairaut s’en occupaient, il remit, des 1747, à l’Académie des sciences, une solution du problème des trois corps ; problème dont le but est de déterminer les dérangements que les attractions réciproques des planètes causent dans le mouvement elliptique qu’elles exécuteraient autour du soleil, si elles n’obéissaient qu’à leur pesanteur vers cet astre. D’Alembert suivit ces travaux avec assiduité pendant plusieurs années ; ils produisirent l’ouvrage ayant pour titre : Recherches sur différents points importants du système du monde ; le premier volume parut en 1754, et le troisième en 1756. Les Recherches sur la précession des équinoxes, publiées en 1749, contiennent la première application de l’analyse à la détermination générale du mouvement de rotation d’un corps de figure quelconque, et font époque dans la dynamique, aussi bien que dans l’astronomie physique, L’Essai sur la résistance des fluides fut envoyé pour concourir au prix proposé en 1750 par l’Académie de Berlin ; mais ce prix ayant été remis, d’Alembert retira sa pièce et la publia. L’oubli dans lequel est tombée celle qui fut couronnée l’année suivante prouve que les tracasseries littéraires influent