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plus se passer de lui. N’osant plus se fier aux Lacédémoniens, il entreprit de servir sa patrie, et commença par faire entendre à Tissapherne qu’il n’était pas de l’intérêt du grand roi que les Athéniens fussent affaiblis de manière à ne pouvoir plus résister aux Spartiates ; qu’il fallait, au contraire, les laisser se détruire les uns par les autres. Tissapherne, d’après ce conseil, ne fournit plus qu’avec parcimonie aux dépenses des Lacédémoniens, qui, se trouvant lors hors d’état de pousser la guerre avec activité, laissèrent un peu de relâche aux Athéniens. Ces derniers avaient alors à Samos des forces considérables ; Alcibiade fit dire aux généraux qui les commandaient que, s’ils voulaient réprimer l’insolence du peuple d’Athènes, et établir dans cette ville l’autorité des grands, il leur procurerait l’amitié de Tissapherne, et empêcherait l’escadre phénicienne de se réunir à celle des Lacédémoniens. Ces généraux y consentirent tous, à l’exception de Phrynichus, qui chercha même à perdre Alcibiade dans l’esprit de Tissapherne. Ils envoyèrent. alors à Athènes Pisandre, l’un d’eux, qui fit donner le gouvernement à un conseil composé de quatre cents personnes. Ce conseil, ne songeant qu’à affermir son autorité, ne s’occupa point du retour d’Alcibiade ; mais l’armée de Samos l’envoya chercher, lui déféra le commandement, et demanda à aller tout de suite à Athènes pour renverser les tyrans ; il eut le bon esprit de leur résister ; et, ne voulant pas rentrer dans sa patrie avant de lui avoir rendu quelque service, il alla attaquer l’escadre des Lacédémoniens, commandée par Mindarus, et la défit complètement. Étant revenu ensuite auprès de Tissapherne, ce satrape, qui craignait que les Lacédémoniens ne portassent des plaintes contre lui au roi de Perse, le fit arrêter, croyant se justifier par là, et le fit enfermer à Sardes ; mais Alcibiade trouva le moyen d’en sortir au bout de trente jours, et répandit le bruit que c’était Tissapherne qui l’avait fait échapper. Ayant repris le commandement de l’armée, il livra, auprès de Cyzique, un combat sur mer et sur terre, en même temps, à Mindarus qui commandait les vaisseaux des Lacédémoniens, et à Pharnabaze, satrape du roi de Perse : il les défit tous les deux, reprit ensuite Cyzique, Chacédoine et Byzance, rendit l’empire de la mer aux Athéniens, et retourna dans sa patrie, où on l’avait rappelé par une loi rendue sur la proposition de Critias. Il y fut reçu avec un enthousiasme universel, les Athéniens étant persuadés que son exil avait été la cause de tous les malheurs qu’ils avaient éprouvés. On le renvoya bientôt en Asie avec cent vaisseaux ; mais, comme on ne lui fournissait pas d’argent pour payer ses équipages, il fut obligé d’aller chercher les secours dont il avait besoin dans la Carie, et il eut l’imprudence de laisser le commandement de la flotte à Antiochus, son pilote, homme vain et présomptueux, que Lysandre n’eut pas beaucoup de peine à attirer dans une embuscade où il fut tué, et perdit une partie de ses vaisseaux. Les ennemis d’Alcibiade, à Athènes : profitèrent de cette affaire pour l’accuser, et vinrent à bout de faire envoyer d’autres généraux à sa place. Ne jugeant pas à propos de retourner dans son ingrate patrie, il se retira à Pactyes, place de la Thrace qui lui appartenait, rassembla des troupes, et se mit à faire la guerre, pour son compte, aux Thraces libres, sur qui il fit beaucoup de butin, et assura la tranquillité des villes grecques du voisinage. Il contracta, à cette occasion, des liaisons d’amitié avec quelques rois de la Thrace, qui furent tout étonnés de voir qu’il supportait encore mieux qu’eux l’excès du vin. Les généraux athéniens étaient alors stationnés, avec leur flotte, à Ægos-Potamos, à peu de distance de celle des Lacédémoniens. Il les avertit du danger de leur position, et leur conseilla d’aller à Sestos, leur offrant d’obliger Lysandre a accepter le combat, ou à demander la paix, en le faisant attaquer du côté de la terre par Seuthès, l’un des rois de la Thrace ; mais ils dédaignèrent ses avis, et la flotte athénienne fut défaite peu de temps après, sans qu’il s’en échappât plus de huit vaisseaux. Alcibiade alors, craignant la puissance des Lacédémoniens, se retira dans la Bithynie, voulant passer de là auprès d’Artaxercès, pour l’intéresser en faveur de sa patrie ; mais les trente tyrans que Lysandre avait établis à Athènes, sentant qu’il leur serait difficile de contenir le peuple, tant qu’il pourrait compter sur Alcibiade, s’adressèrent, pour le faire assassiner, à Lysandre, qui s’y refusa, jusqu’à ce qu’en ayant reçu l’ordre de sa patrie, il ne lui fût plus possible de résister. Il chargea Pharnabaze de l’exécution de cet ordre. Alcibiade était alors dans un bourg de la Phrygie, avec la courtisane Timandra, qui lui était restée attachée. Ceux que Pharnabaze envoya pour le tuer, n’osant pas l’attaquer ouvertement, mirent le feu à sa maison. Le bruit de l’incendie l’ayant éveillé, il parvint à s’échapper avec un Arcadien qui l’avait toujours suivi. Les meurtriers n’osèrent pas l’attendre ; mais, se tenant loin de lui, ils le tuèrent à coups de flèches. Lorsqu’ils se furent retirés, Timandra enleva son corps, et lui donna la sépulture d’une manière honorable. Alcibiade mourut dans la première année de la 94° olympiade, l’an 404 avant J.-C., à l’âge d’environ 45 ans. Telle fut la fin d’un homme sur qui la nature s’était plu à répandre les qualités les plus opposées, ou plutôt, comme dit Plutarque, qui, semblable au caméléon, était toujours prêt à prendre l’impression des objets dont il se trouvait entouré. « Chez tous les peuples, dit Barthélemy, il s’attira les regards, et maitrisa l’opinion publique. Les Spartiates furent étonnés de sa frugalité ; les Thraces, de son intempérance ; les Béotiens, de son amour pour la gymnastique ; les Ioniens, de sa mollesse et de sa volupté ; les satrapes de l’Asie, d’un luxe qu’ils ne pouvaient égaler. Il ne fallait point chercher dans son âme cette élévation qu’excite la vertu ; mais on y trouvait cette hardiesse que donne la conscience de sa supériorité. Aucun obstacle, aucun revers ne pouvait ni le surprendre ni le décourager. Il semblait persuadé que, lorsque les âmes d’un certain ordre ne font pas tout ce qu’elles veulent, c’est qu’elles n’osent pas tout ce qu’elles peuvent. Il fut, toute