Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
359
ALB

Albuquerque, faisant apporter devant les ambassadeurs des grenades, des boulets, des sabres : « Voilà, leur dit-il, la monnaie des tributs que paye le roi de Portugal. » Les peuples et les monarques de l’Orient cédaient de toutes parts à l’ascendant de ce grand homme. Toutes les actions, tous les projets d’Albuquerque caractérisent un génie extraordinaire. Il s’était avance dans la mer Rouge, pour y détruire le port de Suez, où les Vénitiens et les Arabes armaient une flotte, qui devait disputer aux Portugais l’empire de l’Asie ; ne pouvant pénétrer avec ses vaisseaux au fond de ce golfe orageux, il voulut obliger le roi d’Éthiopie à détourner le cours du Nil, en lui ouvrant un passage pour se jeter dans la mer Rouge : l’Égypte serait devenue un désert inhabitable ; et le port de Suez, ses armements et son commerce, la rivalité dangereuse dont il menaçait les Portugais, tout aurait été détruit. Mais il n’eut pas le temps d’exécuter ce vaste projet [1] : peu de temps après qu’il en eut conçu l’idée, les Turcs s’emparèrent de l’Égypte. Alors, tranquille au centre des colonies portugaises, Albuquerque réprima la licence des troupes, établit l’ordre dans les comptoirs, affermit la discipline militaire, et se montra tout à la fois actif, prévoyant, sage, humain, juste et désintéressé. L’idée de ses vertus avait fait naître une impression si profonde sur les Indiens, que, longtemps après sa mort, ils allaient a son tombeau pour lui demander justice des vexations de ses successeurs. C’est à lui que les Portugais durent la création de cette puissance singulière qui, même après sa ruine, a laisse dans l’Inde des souvenirs ineffaçables. Malgré les services importants qu’il avait rendu à la cour de Portugal, Albuquerque ne put échapper à l’envie des courtisans ni aux soupçons du roi Emmanuel, qui, s’étant laisse persuader que le vice-roi voulait se rendre indépendant, envoya pour le remplacer Lopès Soarez, son ennemi personnel. Ce grand homme était alors malade à Goa. « Quoi ! s’écria-t-il à cette nouvelle, Soarez gouverneur des Indes ! Vasconcellos et Diego Pereira, que j’ai fait passer en Portugal comme criminels, renvoyés avec honneur ! J’encours la haine des, hommes pour l’amour du roi, et la disgrâce du roi pour l’amour des hommes !. Au tombeau, vieillard sans reproche, il est temps ; au tombeau ! » Il écrivit une lettre au roi pour lui recommander son fils ; la lettre était courte, et finissait par ces mots : « Je ne vous dis rien des Indes ; elles vous parleront assez pour elles et pour moi, » Il mourut peu de jours après, à Goa, le 16 décembre 1515. Emmanuel honora sa mémoire par de longs et inutiles regrets. Ce prince voulut que Blaise Albuquerque, fils du vice-roi, prit le nom d’Alphonse, afin que cette conformité lui rappelât plus souvent son illustre père, et il l’éleva rapidement aux plus hautes dignités de son royaume. ─ Alphonse d’ALBUQUERQUE vécut 80 ans, et publia, en portugais les mémoires de son père, imprimés à Lisbonne, en 1576, in-fol., sous ce titre : Commentarios do grande Alfonso de Alboquerque capitan general dà India, dans la 63e année âge. E-d.


ALBUQUERQUE (Georges d’), succéda, dans le gouvernement de Malaca, à Roderic Brito qui se retira à Goa. Le Portugal était alors (commencement du 16e siècle) gouverné par Emmanuel, son 14e roi. Le premier usage que fit Albuquerque de son pouvoir indisposa les Indiens contre lui. Un homme de cette nation, nommé Ninachétuen, était charge de garder les côtes de Malaca. Il occupait depuis longtemps cet emploi avec honneur. Albuquerque le lui ota, et le confia au roi de Campar. Le vieux Ninachétuen désespéré ne put survivre à cet affront. Il fit dresser un échafaud orné de fleurs et de parfums, sur lequel était allumé un bûcher de bois odoriférant, et y monta, vêtu d’habits magnifiques. C’est ainsi que ce malheureux Indien pérît, après avoir rappelé aux nombreux spectateurs les services qu’il avait rendus aux Portugais. Les Indiens, indignés, murmurèrent ouvertement contre le gouverneur. Albuquerque fut informé de tout, mais il garda le silence, s’occupant uniquement de consolider dans les Indes la puissance portugaise. C’est dans ce but qu’il fit demander par Bégie, l’un de ses capitaines, au roi de Cambaie, la permission de bâtir une citadelle à Diou, ville de son royaume ; mais il n’obtint cette permission que pour Surate, ou Bombain, villes situées sur la mer. C’était le temps où le grand Alphonse d’Albuquerque (voy. ce nom) forçait les rois d’Ormuz et de Narsingue à lui accorder une place dans leurs États pour y bâtir des forteresses. En 1519, Georges d’Albuquerque fut mis à la tête de treize vaisseaux. Arrive au Mozambique, il envoya aux Indes quatre de ces vaisseaux, et avec le reste il alla croiser dans la mer d’Arabie. Comme il voulait punir le gouverneur de Diou, qui, par sa conduite malveillante, avait excité les plaintes des Portugais, il ordonna à Christophe de Sala d’aller avec trois galères ravager la côte de Cambaie. Sala fit un butin considérable. Deux ans après (1521), le gouverneur de Malaca exécuta une entreprise plus glorieuse. Un jeune prince, fils du roi de Pacem, qu’un sujet révolté avait fait périr pour usurper sa couronne, se réfugia sur la flotte d’Albuquerque. Celui-ci accueillit favorablement le légitime maître de Pacem, et prit la résolution de le replacer sur le trône de son père. Avant de commencer son entreprise, il somma Guimal (c’était le nom de l’usurpateur) de restituer la couronne au fils de son maître. Gumial répondit qu’il paierait un tribut annuel au roi de Portugal, mais que, pour le sceptre qu’il avait. conquis par la force des armes, il ne s’en dessaisirait jamais. Alors Albuquerque fit répondre à l’usurpateur qu’il eût à se préparer à la guerre ; ce que fit Guimal avec autant de vigueur que d’activité. En peu, de jours il eut muni sa capitale de tout ce qui, lui était nécessaire pour soutenir un siége. Mais toutes ses précautions furent inutiles ; le guerrier portugais eut à peine commencé le siége de Pacem, qu’il se rendit maître, après un combat vif où avait

  1. Ce projet gigantesque, auquel Bruce ne veut pas croire, et qui frappa d’étonnement Napoléon lui-même, lorsqu’il en eut connaissance pour la première fois à Ste-Hélène, Albuquerque l’avait sérieusement propose à son roi. C. W-R