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vorés de jalousie, ne pouvaient pas consentir à être exclus plus longtemps du gouvernement. Aucune réconciliation n’était possible entre des factions trop divisées ; les triumvirs convinrent qu’il n’y avait de salut pour eux qu’en chassant leurs adversaires de leur patrie, comme du gouvernement ; seulement ils ne accordèrent pas sur le moment d’agir. Lapo pressait l’exécution du complot ; Pierre Albizzi voulut différer jusqu’à la fête de St. Jean de l’année 1378 ; et il se laissa ainsi prévenir par ses adversaires. La conjuration des Ciompi éclata (voy. Salvestro de Médicis, Benoit Alberti, et Michel de Lando) ; le parti démocratique et gibelin remporta une pleine victoire ; Lapo de Castiglionchio fut réduit à s’enfuir. Pierre Albizzi, demeuré à Florence, était réservé à un sort plus rigoureux ; une année après la révolution, il fut arrêté, accusé d’avoir conspiré contre le parti démocratique, avec un grand nombre d’anciens magistrats. Il aurait pu éviter la prison, s’il avait voulu accepter les services de ses amis qui s’empressaient autour de lui pour le défendre. Il fut examiné par ses juges, sans que ceux-ci trouvassent aucun motif pour le croire coupable ; mais le peuple. rassemblé autour du tribunal, demandait avec des cris furieux la mort de ceux qu’il regardait comme ses ennemis. « Que le juge les condamne, « s’écriait-il ; car, s’il ne les fait pas mourir, « nous les mettrons en pièces, et, avec eux, leurs « femmes et leurs enfants. Tous périront, ainsi que « leur juge ; et leurs maisons seront rasées avec le « palais de justice. » Cante des Gabrielli, le juge devant qui les prévenus étaient traduits, ne se laissant point intimider par ces menaces, protesta que jamais il ne prononcerait une sentence réprouvé par sa conscience ; mais Pierre Albizzi, voyant la fureur du peuple, comprit qu’il n’y avait plus de salut à espérer pour lui ; que son supplice serait plus affreux s’il tombait entre les mains de ces forcenés, et que sa mort serait suivie de la ruine de toute sa famille. Il engagea ses compagnons d’infortune à s’accuser volontairement avec lui de conspirations dans lesquelles ils n’avaient point trempe. Il appela Cante des Gabrielli pour lui faire ces aveux inattendus, et il marcha au supplice avec grandeur d’âme. S. S-i.


ALBIZZI (Thomas, ou Maso), neveu du précédent, fut le chef de la république Florentine, depuis 1382 jusqu’à 1417. Pendant le triomphe des Alberti et celui des Ciompi, il avait été frappé coup sur coup de plusieurs calamités ; un grand nombre de ses amis avaient péri du dernier supplice ; ses maisons avaient été brûlées, et il avait été envoyé en exil ; mais la fortune sembla prendre à tâche, pendant trente-cinq ans, de le dédommager de toutes ces pertes. Il tira une vengeance cruelle de ses ennemis ; les Ricci, déchus de leur ancien crédit, et sans chef, avaient renoncé à leur rivalité ; mais les Alberti et les Médicis furent exclus des magistratures ou envoyés en exil, et leur chute ne laissa point de rivaux aux Albizzi ; aussi n’y a-t-il pas d’époque dans l’histoire florentine où le gouvernement ait été animé d’une manière plus constante par un seul esprit. Nulle autre époque encore n’est signalée par des suc- cès- plus glorieux. Les villes de Pise, d’Arezzo et de Cortone furent soumises ; la noblesse immédiate et indépendante dans les Apennins fut forcée à l’obéissance ; deux puissants ennemis, Jean Galéas Visconti, duc de Milan, et Ladislas, roi de Naples, cédèrent à la fortune des Florentins ; le commerce, la richesse, les arts, les sciences et l’élégance des manières, élevèrent Florence au-dessus de toutes les autres villes d’Italie ; Maso Albizzi, dont les richesses particulières s’étaient accrues avec la fortune publique, demeura, jusqu’à la fin de sa vie, l’âme de tous les conseils ; des amis dignes de lui l’entouraient et le secondaient, sans lui disputer jamais la prééminence qu’il devait à la supériorité de son esprit et à la vigueur de son caractère. C’est au milieu de ces prospérités qu’il mourut, en 1417, âgé de 70 ans. Nicolas d’Uzzano, son ami et son contemporain, hérita du crédit qu’il avait exercé, jusqu’au temps où Renaud Albizzi, fils de Maso, pût prendre la direction des affaires publiques. S. S-i.


ALBIZZI (Renaud), fils du précédent. Nicolas d’Uzzano (voy. ce nom) était demeuré à la tête de la république florentine et du parti Albizzi, depuis la mort de Maso jusqu’à l’année 1429 ; mais, à cette époque, on vit Renaud manifester son impatience contre la modération et la lenteur d’un vieillard auquel il était forcé d’obéir. Renaud regardait déjà l’administration de l’État comme appartenant sa famille par un droit héréditaire ; et la jalousie républicaine des Florentins ne servait qu’à exciter davantage son ambition. Il s’associa, en 1429, avec Cosme et Laurent, fils de Jean de Médicis, pour forcer les conseils, en dépit de Nicolas d’Uzzano, à déclarer la guerre à Paul Guinigi, seigneur de Lucques. Il espérait signaler l’ouverture de sa carrière politique par la conquête de Lucques, et ne craignit pas de chercher des appuis contre le vieux ami de son père parmi les ennemis héréditaires de sa famille, et ceux qui devaient un jour causer sa ruine : mais cette guerre ne répondit point à ses espérances ; il manifesta une avarice qui ne pouvait lui permettre des succès. Les Florentins furent obligés, en 1433, d’accorder la paix à la ville de Lucques, sans avoir conservé aucune conquête, ou retiré aucun fruit de leurs immenses sacrifices. Pendant cette même guerre. la rivalité entre Renaud Albizzi et Cosme de Médicis avait dégénéré en une haine acharnée. Renaud voulut engager Nicolas d’Uzzano à se réunir à lui pour attaquer les Médicis à force ouverte et les chasser de la ville ; mais Uzzano voyait le déclin de son parti, et il voulait éviter une crise qui ne pouvait manquer de lui être fatale. L’oligarchie à laquelle Florence s’était soumise n’avait de force que par l’horreur qu’avait inspirée le règne des Ciompi et de la populace ; mais le souvenir s’en effaçait graduellement, et l’on craignait bien plus l’autorité sous laquelle on était opprimé, que le retour d’une tyrannie dès longtemps détruite. D’ailleurs, Nicolas d’Uzzano, qui voyait le pouvoir disputé entre Cosme de Médicis et Renaud des Albizzi, craignait autant le triomphe de l’un que celui de l’autre. Il maintint donc la paix jusqu’à sa mort, en 1453.