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privilèges. Rodolphe, à l’instigation de son fils Albert, avait fait quelques tentatives pour s’arroger graduellement la souveraineté d’un pays où il avait ses propriétés patrimoniales ; mais ces premiers envahissements ayant alarmé particulièrement les cantons démocratiques, la modération et la sagesse de Rodolphe l’avaient bientôt engagé à renoncer à ses vues. Il avait confirmé, de la manière la plus solennelle, les droits de l’Helvétie, et rassuré sans peine de confiants et paisibles montagnards. Cependant quelques démonstrations d’Albert, après la mort de son père, les ayant alarmés de nouveau, ils avaient embrassé le parti d’Adolphe. La mort de ce malheureux Empereur, et l’élévation d’Albert à la dignité impériale, les avaient contraints de le reconnaître comme le chef de l’Empire, mais sans diminuer leur attachement à leur liberté. Albert, qui, malgré les oppositions qu’il provoquait partout, se croyait le maître de toutes les forces de l’Allemagne, parce que ces oppositions n’étaient que partielles, ne prit aucune peine pour tromper une poignée d’hommes qui n’étaient protégés que par des rochers ; il désirait, au contraire, les amener à la résistance, pour motiver l’oppression qu’il méditait, et ses agents le secondèrent en prodiguant au peuple suisse l’insulte et les vexations[1]. Enfin, le 13 janvier 1308, la révolution éclata dans les trois cantons d’Unterwald, de Schwitz et d’Uri : les gouverneurs furent tués ou chassés, et leurs châteaux tombèrent entre les mains des paysans insurgés. Albert se crut arrivé au but de ses desseins, et il se félicita d’un soulèvement qui mettait fin, suivant ses espérances, à de prétendus privilèges qui lui semblaient un scandale ; mais, loin d’avoir un tel résultat, ce premier soulèvement ne fut que le commencement d’une lutte dont Albert ne vit pas la fin. Une nouvelle injustice produisit un crime, et mit un terme à son ambition et à sa vie. Jean, fils de Rodolphe, frère puiné d’Albert, avait été privé par lui de son héritage, et l’avait revendiqué plus d’une fois inutilement ; marchant à la suite de son oncle, dans son expédition contre la Suisse, il crut l’occasion favorable pour renouveler ses réclamations ; Albert, joignant l’insulte à la spoliation, se fit apporter des guirlandes de fleurs, et les présentant à son neveu ; « Prends ceci, lui dit-il, « qui sied bien à ton âge, et laisse-moi le soin « de gouverner des États. » Jean se retira, le cœur profondément ulcéré, et méditant une horrible vengeance. Son gouverneur, Walter d’Eschenbach, et trois de ses amis, Rodolphe de Wart, Rodolphe de Balm et Conrad de Tegelfeld, s’associèrent à ses projets de vengeance. Les cinq conjurés, tombent sur Albert, séparé de sa suite par la Reuss, petite rivière qu’il venait de traverser, le massacrèrent ; et le fils de Rodolphe de Habsbourg rendit le dernier soupir, le 1er mai 1308, entre les bras d’une mendiante, qui étancha son sang avec des haillons. Des talents militaires assez distingués, et quelques affections privées, plus douces et plus constantes que la dureté de sa conduite envers ses sujets ne semblait l’annoncer, ne sauraient effacer les vices dont son caractère fut entaché. Il différa presqu’en tout de son père, qui dut à ses vertus son élévation, et qui fonda son pouvoir sur des alliances et sur les mariages de ses nombreuses filles, dont les époux étaient devenus les fermes soutiens. Albert, au contraire, fut toujours en querelle, et quelquefois en guerre avec ses beaux-frères et ses neveux. Inquiet, arrogant, avide, souvent cruel, surtout par ses agents subalternes, violent, mais dissimulé, injuste pour ses parents, dangereux pour ses voisins, infidèle à ses alliés, sans scrupule et sans pitié pour ses ennemis, il n’eut de qualité que celles de bon père et de bon mari. Il dédaignait la flatterie, mais par mépris pour l’espèce humaine, plutôt que par un sentiment de modestie. Il regardait les hommes comme destinés, chacun dans son état, à tracer sous le joug un pénible sillon. Que le soldat soit brave, le prêtre dévot, la femme soumise, le paysan laborieux, et rien de plus, était une maxime qu’il avait rendue proverbial à force de la répéter. L’extérieur d’Albert était grossier, ignoble et presque féroce, homo grossus, aspectu ferox, rusticanus in persona. Il réussit dans la principale de ses entreprises, celle de placer sur sa tête la couronne impériale ; il échoua dans presque toutes les autres, guerroyant sans cesse contre les nations que le sort soumettait à son empire. Son ambition et son inquiétude n’attendaient jamais la fin d’un projet pour en entamer un autre. Son bras fut levé sans relâche sur la foule d’ennemis qu’il provoquait. Aucun de ses succès ne fut complet, parce que son impatience abusait de la victoire avant qu’elle fût consolidée. Plusieurs de ses revers furent humiliants ; et, parvenu au faite de la puissance, sur le corps sanglant d’un rival, il opprima ses peuples, mérita leur haine, vécut dans le trouble, et mourut assassiné. Il avait été marié, en 1276, à Élisabeth, fille de Meinhard, duc de Carinthie, et il en avait eu vingt et un enfants. Aucun de ses fils ne lui succéda comme Empereur. B. C-t.


ALBERT II, duc d’Autriche, fils de l’Empereur Albert Ier, se trouvait encore en bas âge quand son père fut assassiné. Il était le quatrième des cinq fils de cet Empereur ; mais les trois aînés étant morts sans postérité, dans l’espace de quatre ans, l’administration de toutes les possessions autrichiennes échut à Albert, et à Othon son frère cadet. Celui-ci

  1. l’auteur de cet article n’explique pas, ce nous semble, avec assez de précision le but de la conduite d’Albert Ier à l’égard de la vieille Suisse, ni la nature des liens qui rattachaient les trois cantons à l’Allemagne. Après la chute des Hohenstaufen et le démembrement de leurs possessions, les cantons avaient pris rang parmi les vassaux immédiats de l’Empire ; l’Empereur, leur seigneur immédiat, leur envoyait des avoyers chargés de leur rendre la haute justice ; cette position les mettait a l’abri de l’ambition et de l’arbitraire des princes, et leur assurait plus d’indépendance et de sécurité. Albert Ier, plus jaloux d’augmenter la puissance de sa famille que de maintenir les droits de l’autorité impériale, voulait obtenir pour lui-même et pour les siens l’hommage des cantons, afin qu’après sa mort ils restassent soumis à la maison d’Autriche. La tyrannie systématique et cruelle qu’il exerça contre eux devait, dans sa pensée, les amener à préférer à leurs privilèges de vassaux immédiats, le sort plus doux des vassaux autrichiens ; mais le courage et le dévouement patriotique des montagnards d’Unterwald, de Schwila et d’Uri trompa singulièrement les calculs de cette atroce politique. C. W-R