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AKB

À la suite de cet entretien, Beyram jura sur les mânes d’Houmajoun de remplir fidèlement les devoirs que lui imposaient les malheurs de l’État. Un conseil de guerre fut assemblé ; les omrahs hésitaient et parlaient de se soumettre ; Beyram, au contraire, proposait une énergique résistance. Akbar appuya. cet avis avec tant de chaleur, que les omrahs y adhérèrent. La guerre fut résolue. Chaja-Chijer-Chan fut envoyé au Pendjab pour tenir Secunder en respect ; et l’empereur marcha sur le Sirhind, où vinrent le rejoindre les omrahs de l’armée de Tirdi-Beg. Ce dernier, arrêté par ordre de Beyram, paya de sa tête l’abandon de Delhi. Cette sentence ne fut connue d’Akbar qu’après l’exécution. Beyram s’en justifia sans le moindre embarras ; il avait, disait-il, redouté de son maître un acte de clémence dangereux en pareil cas. Sous cette apparente justice, Akbar aurait pu voir le coup d’essai d’une audacieuse volonté qui tendait à ne relever que d’elle-même ; mais il parut seulement affligé de la cruauté du supplice, et finit par remercier Beyram du service, très-réel, que celui-ci lui avait rendu ; car cet acte barbare jeta, parmi les omrah dont la fidélité chancelait, une salutaire terreur. Le 2 moharrem 964 (5 novembre 1556), les deux armées en vinrent aux mains. Malgré l’étonnante valeur qu’il déploya, malgré ses 400,000 cavaliers, ses éléphants monstrueux et son artillerie, Himu dut céder devant l’impétuosité des Mogols. Il fut fait prisonnier et conduit devant Akbar. Beyram était présent, et engagea le jeune prince à décapiter Himu de sa propre main. Akbar, tout en larmes, se contenta de lui toucher légèrement le cou du plat de son sabre ; mais Beyram s’écria que la clémence n’avait été que trop funeste à la race de Timour, et fit rouler lui-même aux pieds d’Akbar la tête de l’infortuné général. Les immenses trésors amassés par Himu tombèrent en même temps que Meswat et Delhi aux mains de l’empereur. Sur un autre point de l’empire, Chaja-Chijer-Chan, que les Patans tenaient, pour ainsi dire, prisonnier dans Lahore, parvint a sortir nuitamment de la ville avec toute la garnison, se porta rapidement sur Mancot, et s’en empara, après avoir fait prisonnier le fils de Secunder. Le roi des Patans consentit alors à se retirer au Bengale, et la tranquillité fut un moment rétablie (ramazan 964 ; 7 juin 1556). Pendant cette campagne, quelques faveurs accordées par Akbar à des ennemis personnels de Beyram irritèrent si fort ce dernier, qu’il se tint assez longtemps éloigné des affaires. Akbar lui ayant assuré que ces faveurs étaient de simples récompenses accordées au mérite, il revint alors à la cour ; mais il rapportait de son exil volontaire une colère sourde et concentrée dont les effets ne tardèrent pas à se manifester au dehors. Chajer-Callan, qui, dans la dernière guerre, avait montre de grands talents, eut l’imprudence de se déclarer ouvertenent contre l’administration de Beyram. L’audacieux ministre mettre à mort, sans même consulter Akbar. Il alla même jusqu’à exiler le tuteur de celui-ci, Mullu-Pier-Mohammed, dont il craignait l’influence. Cette fois l’empereur laissa voir une certaine irritation. Alors Beyram lui proposa la conquête de Gualier, ou s’était réfugié le fils du rebelle Camiran. Cette entreprise ne coûta pas une goutte de sang ; on eut seulement à débattre du prix auquel le commandant du fort mettait sa capitulation. Ces circonstances, rapprochées de la liaison intime qu’on sut avoir existé entre Beyram et Abuel-Carim (ainsi se nommait le cousin germain d’Akbar), purent faire supposer que l’expédition de Gualier n’était pas sérieuse et qu’elle n’avait été destinée qu’à opérer une diversion dans les pensées d’Akbar, sans exposer Beyram aux chances et à la responsabilité d’une défaite. Vers cette époque, une victoire sérieuse, remportée sur les Patans par l’omrah Schah-Ziman, livra à l’empereur deux villes d’une immense richesse, Djonpoor et Benarès ; mais chaque nouveau succès, en affermissant la puissance d’Akbar, diminuait celle de Beyram en le rendant moins nécessaire. L’heure de sa chute approchait à grands pas : il l’accéléra lui-même. Se laissant guider par une ombrageuse jalousie, il éloigna de la cour un rajah nommé Schah-Mohammed-Ghori, qui, pendant l’exil d’Houmajoun, avait donné les preuves les moins équivoques de son attachement à la dynastie mogole. Un jour, la négligence d’un des esclaves d’Akbar occasionna la mort d’un éléphant appartenant à Beyram ; l’esclave fut décapité par ordre du ministre, au mépris de l’autorité impériale. Cette fois, la colère d’Akbar éclata. Beyram eut recours à son expédient ordinaire : la conquête de Malwah fut proposée et accomplie ; mais une circonstance fortuite vint porter le dernier coup au régent. Akbar partit pour la ville de Delhi, ou sa mère était dangereusement malade. Le rajah de Delhi avait maintes fois encouru le ressentiment de Beyram ; croyant pressentir sa propre perte dans l’arrivée d’Akbar, il accourt le fléchir et lui avoue ses craintes. Akbar se sentit profondément blessé de l’étendue de ce pouvoir usurpateur qui avait grandi à l’ombre de son trône, et qui, dans l’opinion publique, faisait de l’empereur l’instrument des vengeances du ministre. Les ennemis de Beyram, fort nombreux à la cour, saisirent l’occasion qui se présentait de l’accabler ; ils portèrent contre lui les accusations les plus graves ; les reproches de trahison ne furent pas épargnés ; on fit surtout valoir contre lui ses relations avec Abuel-Carim. À la fin, Akbar en vint à faire emprisonner, sans même les entendre, deux envoyés de Beyram. Il le déclara déchu de la régence, et désormais gouverna par lui-même. Beyram se laissa dépouiller sans résistance de toutes les marques de sa dignité, et, la rage dans le cœur, s’achemina vers la Mecque. À peine au terme du voyage, l’ambitieux se prit à regretter amèrement d’avoir si vite abandonné la partie. il retourna dans l’Inde, et leva l’étendard de la révolte. Aboul-Mali, détenu dans une forteresse pour crime de trahison, s’échappa et se joignit a lui. Cependant Mullu-Pier-Mohammed, rappelé d’exil à son tour, poursuivit les rebelles avec toute l’ardeur de la haine. Beyram se réfugia dans le Pendjab, qu’il avait jadis peuplé de ses créatures ; mais ceux qui lui devaient le plus furent les plus ingrats ; et bientôt il se trouva