Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/287

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
271
AIG

les bornes de ses pouvoirs, en anticipant sur son propre jugement, et en rendant, le 4 juillet 1770, un décret qui déclarait le duc d’Aiguillon « prévenu « de faits qui entachaient son honneur, et suspendu « des fonctions de la pairie jusqu’à son jugement » La France entière semblait faire cause commune avec le parlement de Paris ; mais, sous ce règne, le caprice d’une vile courtisane était plus puissant que les parlements et l’opinion publique. Le chancelier Maupeou évoqua l’affaire à la cour des pairs, et Louis XV vint justifier lui-même l’accusé dans un lit de justice où siégeait d’Aiguillon (1770). Le duc triompha de ses ennemis, qui n’eurent plus à lui opposer que des chansons satiriques. Aidé de la protection de la favorite, il fit enlever du greffe du parlement toutes les pièces de sa procédure, qui fut ainsi anéantie. L’année suivante, il obtint l’exil de Choiseul, et vit enfin son ambition satisfaite par son élévation au ministère. Le département des affaires étrangères lui fut d’abord confié. Un triumvirat, que formèrent ce ministre, l’abbé Terrai et le chancelier Maupeou, changea totalement le système de l’administration. L’autorité royale parut y gagner ; cependant c’est de cette époque que date la fermentation des esprits qui, vingt ans plus tard, entraina la chute de la monarchie. On ne saurait le nier, jamais hommes d’État n’encoururent plus justement le mépris et la colère d’une nation généreuse et jalouse de son honneur. Tandis que Maupeou supprimait les parlements, et que Terrai remédiait au désordre des finances par la banqueroute, le duc d’Aiguillon laissait s’accomplir l’acte le plus inique des temps modernes, le plus dangereux pour l’équilibre européen, et en même temps le plus honteux pour la France, le partage de la Pologne par la Russie, la Prusse et l’Autriche. À cette nouvelle, Louis XV s’écria : « Si Choiseul eut été ici, le partage n’aurait « pas eu lieu. » Ces paroles, dans la bouche d’un tel prince, marquent d’une flétrissure indélébile la politique du duc d’Aiguillon. Tout ce qu’on a pu alléguer pour sa défense, c’est que, tout occupé à disputer au chancelier la plénitude du pouvoir et à se maintenir dans les bonnes grâces de la favorite, et mal servi en même temps par ses agents diplomatiques, surtout par le cardinal de Rohan, son ambassadeur à Vienne, il ignora totalement les projets des trois cours copartageantes, et n’apprit le premier partage de la Pologne que lorsqu’il n’était plus temps de l’empêcher ; ce qui lui eût été d’autant plus facile, que ce ne fut point sans une longue résistance et sans de violents remords que Marie-Thérèse donna son consentement à une usurpation jusque-la sans exemple. D’Aiguillon ayant payé a Gustave III, pendant le voyage de ce prince à Paris, une partie des subsides arriérés, il s’attribua l’honneur d’avoir préparé la révolution arrivée en Suède, en 1772, en faveur de l’autorité royale. Ce ministre avait tant d’éloignement pour tous les projets de son prédécesseur, qu’il se déclara contre l’alliance de l’Autriche, et affaiblit le pacte de famille qui liait la France a l’Espagne. Peu de temps avant la mort de Louis XV, il réunit le département de la guerre à celui des affaires étrangères. L’avènement de Louis XVI fut le signal de sa disgrâce. Il s’attendait à être soutenu par son oncle, le conte de Maurepas mais ce ministre ne voulut pas lutter contre la haine publique, et surtout contre celle que la jeune reine portait à d’Aiguillon. Le protégé de Mme Dubarry, dont l’égoïsme et l’incapacité avaient été si funestes à l’honneur et aux intérêts de la France, alla terminer dans l’exil sa honteuse carrière. Il mourut oublié et méprise, laissant la réputation d’un courtisan immoral, plein d’esprit et de dextérité pour l’intrigue, mais dépourvu du qualités qui font. l’homme d’État. B-p.


AIGUILLON (Armand-Vignerot-Duplessis, duc d’), fils du précédent, était, avant la révolution, colonel du régiment de Royal-Pologne, cavalerie, et commandant des chevau-légers de la garde du roi. Il fut, en 1789, député de la noblesse d’Agen ; aux états généraux. Le 25 juin, il alla avec la minorité de son ordre se réunir au tiers état. Dans la fameuse séance nocturne du 4 août, il fut le second à provoquer les gentilshommes à renoncer à leurs privilèges. Accusé d’avoir été l’un des hommes déguisés en femmes qui excitèrent le désordre à Versailles dans la nuit du 5 au 6 octobre 1789, il repoussa ces accusations ; mais ses dénégations ne convainquirent personne, et l’abbé Maury l’apostropha un jour au milieu de l’assemblée en lui disant : Tais-toi, salope. Le 4 août, il avait donné, avec le duc de · Liancourt, aux agents du parti révolutionnaire, un repas remarquable par sa profusion. Il fut membre des comités de vérification et de liquidation, puis du comité central pour l’inspection de la salle. Il présenta à la tribune quelques travaux de finance, entre autres un rapport fait à la séance du 8 août sur la situation des recettes et des dépenses, et d’où il résultait que celles-ci surpassaient la recette de 30 millions 800,000 livres. Peu de temps après, il voulut faire transférer au corps législatif la nomination des emplois, et demanda qu’il n’y eût point de destitution sans jugement. Le 4 janvier 1790, il fut élu secrétaire de l’assemblée. Le 15 avril, il se prononça pour la création des assignats. Le 15 mai suivant, à l’occasion des armements de l’Espagne contre l’Angleterre, auxquels la cour paraissait déterminée à prendre une part active, il s’éleva fortement contre la guerre, qu’il qualifia de piège tendu par les ministres à la constitution, et développa, avec une adresse dont on ne le croyait pas capable, les dangers pour un État libre d’un roi guerrier et victorieux ; il insista en conséquence pour que l’assemblée commençât par déterminer à qui du corps législatif ou du roi appartiendrait le droit de paix et de guerre ; et dans la discussion qui s’ensuivit, il se prononça pour l’attribution de ce droit à la nation. À la séance du 7 décembre au soir, il répondit à Cazalès qui attaquait la conduite du ministre son père. À la séance du 23 février 1791, après la lecture d’une lettre de la municipalité de Moret, qui annonçait qu’elle avait en vain essayé de s’opposer au départ de Mesdames, tantes du roi, et qu’elle avait été obligée de céder à la force, le duc d’Aiguillon de-