Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 1.djvu/285

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
269
AIG

à personne, surtout aux gens de lettres ; il avait de l’esprit, l’usage du monde, une politesse exquise, des reparties heureuses et de l’instruction. Il était petit, gros et rond, sa figure passablement enluminée

semblait d’ortolans seuls et de bisques nourrie ;

il portait une petite épée, se dandinait en marchant, comme son illustre patron dont il était le fidèle Achate. Tout Paris eût été surpris, si Cambacérès, qui faisait chaque soir sa promenade au Palais-Royal, fût sorti, sans d’Aigrefeuille. Le second acolyte de l’archichancelier dans ces promenades si régulières était le marquis de la Villevieille, long, sec, maigre, pâle, représentant par son piètre extérieur le gastronome sans argent ; il semblait fait exprès pour former auprès de d’Aigrefeuille un contraste ou plutôt une caricature parfaite. Les événements qui, en 1814, amenèrent la restauration ne changèrent pas d’abord les relations intimes qui existaient depuis tant d’années entre d’Aigrefeuille, redevenu marquis et Cambacérès rentré dans la vie privé, mais conservant le titre de duc et une très-belle fortune. Les faiseurs de caricatures n’épargnèrent pas alors l’archichancelier déchu ainsi que ses deux acolytes : tous trois devinrent les héros des croquis les plus divertissants. D’Aigrefeuille avait le bon esprit de rire tout le premier de ces pochades : heureux si jusqu’au dernier moment il fût demeuré fidèle à son patron ! Mais, tout en fréquentant sa maison, il recevait de la police royale une indemnité pécuniaire pour donner chaque soir le bulletin de ce qui se passait chez l’ex-archichancelier. Cette indemnité n’allait pas à plus de dix louis par mois ; et l’on conviendra que c’était se déshonorer pour une bien modique somme. Cambacérès finit par le savoir et il tarit la source de ses bienfaits envers d’Aigrefeuille, qui mourut en 1818, dans un état voisin de l’indigence. Ceux qui ont reproché à Cambacérès son ingratitude envers son ancien acolyte ont ignoré cette particularité, que nous tenons de bonne source. D’Aigrefefeuille, à la restauration, avait repris le cordon noir, ce qui donna lieu à cette épigramme :

Eh ! quoi, d’Aigrefeuille, est-ce un jeu ?

Pour relever ta large mine,
Un cordon noir !… ah ! c’est trop peu.
Depuis longtemps à la cuisine,

Tu méritais le cordon bleu.

D-r-r.


AIGUEBERRE ou AIQUEBERT (Jean Dumas d’), mort le 31 juillet 1755, était conseiller au parlement de Toulouse, sa patrie. Il a donné : 1° les trois Spectacles, 1729, in-8o. Cet ouvrage est composé d’un prologue en prose ; de Polyxène, tragédie en un acte et en vers ; de l’Avare amoureux, comédie en un acte et en vers ; de Pan et Doris, pastorale héroïque, espèce d’opéra, avec des ballets et des chœurs, dont la musique est de Mouret. Il fut représenté le 9 juillet 1729, avec un grand succès : on en donna au théâtre italien une parodie, sous le titre de Melpomène vengée, et on l’a réimprimé dans le tome 12 du Théâtre Français. Un anonyme publia, en 1739, des Lettres sur la pièce des trois Spectacles, in-12. 2° Le Prince de Noisy, comédie en trois actes et en prose, avec un prologue, jouée le 4 novembre 1730, non imprimée. 3° Colinette, parodie de sa tragédie de Polymène, non imprimée. A. B-t.


AIGUILLES. Voyez Boyer.


AIGUILLON (Marie-Madeleine de Vignerot, duchesse d’), fille de René de Vignerot, seigneur de Pont-Courlay, et de Françoise Duplessis., sœur du cardinal de Richelieu, parut à la cour de Louis XIII après la mort de sa mère. Le crédit de son oncle lui fit obtenir la place de dame d’atours de la reine Marie de Médicis. Elle épousa, en 1620, Antoine du Roure de Combalet. Restée veuve sans enfants, madame de Combalet eut beaucoup à souffrir des querelles de la reine mère avec le cardinal de Richelieu. Malgré les prières et même les ordres de Louis XIII, cette princesse renvoya madame de Combalet, et poussa dans la suite la haine jusqu’à vouloir la faire enlever au milieu de Paris. Le roi, informé de cette tentative, déclara qu’il n’aurait pas hésité à aller en Flandre avec 50,000 hommes pour la délivrer. Le cardinal de Richelieu désirait ardemment l’élévation de sa nièce, qu’il aimait tendrement, parce qu’elle avait, comme lui, de la hauteur et de la générosité. Après avoir essayé inutilement de lui faire épouser le comte de Soissons, petit-fils du prince de Condé, il entama de nouvelles négociations pour la marier avec le cardinal de Lorraine. Ce ministre tout-puissant, qu’aucun obstacle n’effrayait, s’engageait à faire rentrer le duché de Bar dans la maison de Lorraine, pour dédommager le prince des biens ecclésiastiques qu’il aurait perdus en renonçant au chapeau. Ce projet ne put réussir ; alors le cardinal acheta pour sa nièce le duché d’Aiguillon, en 1638. Après la mort du cardinal, en 1642, la duchesse d’Aiguillon se jeta dans la plus profonde dévotion ; elle se mit sous la direction de St. Vincent de Paul ; et, portant dans cette nouvelle manière de vivre la générosité qui lui était naturelle, elle fit des dons immenses, dota des hôpitaux, fit racheter des esclaves en Afrique ; et, ne bornant point son intarissable charité à un seul hémisphère, elle fonda l’hôtel dieu de Québec, dont elle dressa elle-même les règlements. Guidée par cette piété ardente, elle engagea en un seul jour pour 200,000 francs de biens, parce qu’on l’avait assurée qu’elle parviendrait, par ce sacrifice, à rappeler à la religion catholique la plus grande partie des ministres protestants. Madame d’Aiguillon mourut en 1675, laissant une haute idée de son esprit et de ses vertus ; elle légua le duché d’Aiguillon à sa nièce, Thérèse de Vignerot, sœur du duc de Richelieu, et lui substitua son neveu, le marquis de Richelieu, dont le petit-fils, de la branche cadette des ducs de Richelieu, fut déclaré duc d’Aiguillon, par arrêt du parlement, en 1751. L’oraison funèbre de la duchesse d’Aiguillon a été faite par Fléchier [1] B-y.

  1. On a publié à Paris en 1808, l’histoire secrète du cardinal de Richelieu ou ses amours avec Marie de Médicis et madame de la Combalet, depuis duchesse d’Aiguillon. L’éditeur anonyme de ce petit livre est feu Chardon de la Rochette. B-SS