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conseil municipal décida, en 1831, que la rue conduisant à ce pont porterait le nom de rue du pont-Aguado. Le droit de lever un péage pendant quatre-vingt-dix-neuf ans, qui n’était qu’un bien faible dédommagement des dépenses, évaluées a plus de 670,000 fr., avait été accordé à Aguado et à ses héritiers ; depuis, il en a fait don en toute propriété à la commune de Ris. Dans ses relations commerciales, il était prompt, adroit, décidé, conciliant. Il fit souvent preuve d’un noble désintéressement à l’égard de débiteurs malheureux ; il ne se montra pas moins libéral envers les artistes ; mais son penchant pour les femmes le poussa à des prodigalités dont on retrouve les suites jusque dans ses dernières dispositions. L’administration de l’opéra fut l’objet de sa faveur spéciale et de son appui. Aguado avait à peine 57 ans ; il était plein de force et de santé, lorsqu’au mois d’avril 1842 il entreprit un voyage dans les provinces du nord de l’Espagne, pour visiter son établissement des mines de Langreo : arrivé à Gijon, il fut frappe d’une attaque d’apoplexie. Son corps, embaumé dans cette ville, fut embarqué pour Nantes, où l’aîné de ses fils alla le recevoir et l’accompagna à petites journées jusqu’à Paris. La, des funérailles vraiment princières furent célébrées en son honneur en l’église de Notre-Dame-de-Lorette, sa paroisse, à l’embellissement de laquelle il avait contribué par ses largesses. On disait publiquement que l’inventaire de sa succession se montait à plus de 35 millions. Dans son testament, outre des libéralités qui, ainsi que nous l’avons dit, prenaient leur source dans ses faiblesses, il a laissé à des hommes honorables des marques de munificence et de bon souvenir. Dans les derniers temps de sa vie, Aguado avait été élu président de l’Athénée de la rue du Lycée ; et il se proposait de rendre une nouvelle vie à ce vieil établissement, en appelant les principaux artistes à y donner des concerts. D-r-r.


AGUESSEAU[1] (Henri-François d’) chancelier de France, naquit à Limoges, le 27 novembre 1668, de Henri d’Aguesseau, alors intendant du Limousin, et depuis conseiller d’État. Le nom de d’Aguesseau, allié à d’anciennes familles de la Saintonge et du Limousin, avait été illustré, dès le 16e siècle, par des hommes distingués dans la magistrature. Antoine d’Aguesseau, aïeul du chancelier, avait été premier président du parlement de Bordeaux. Henri-François, celui dent nous nous occupons, eut le bonheur d’être formé par son père à toutes les sciences et à toutes les vertus qui conviennent au magistrat. Reçu, en 1690, avocat du roi au Châtelet, il devint, peu de mois après, avocat général au parlement de Paris, à l’âge de vingt-deux ans. Le roi, en le nommant si jeune à une place aussi importante, fut déterminé uniquement par le témoignage et la recommandation de son père. « Je le connais dit-il, incapable de me tromper, même sur son propre fils. » Le jeune d’Aguesseau justifia complètement cette honorable confiance, et Denis Talon, qui avait obtenu tant de réputation dans cette même place, ne put s’empêcher de dire « qu’il voudrait finir comme ce jeune homme commençait. » Après avoir exercé pendant dix ans ces fonctions, avec l’éclat qui avait signalé son début, il devint procureur général (1700), et de nouveaux devoirs lui fournirent l’occasion de montrer d’autres talents et de rendre plus de services. L’administration des hôpitaux fut améliorée par ses soins ; un grand nombre de règlements sages, rendus sur ses conclusions, prévinrent ou corrigèrent des abus ; l’ordre et la discipline furent maintenus ou rétablis dans les tribunaux, et l’instruction criminelle fut perfectionnée. Dans les questions relatives aux intérêts du domaine, il étonna par la sagacité de ses recherches, et par sa profonde connaissance de nos monuments historiques. En 1709, les malheurs publics donnèrent plus d’importance à sa place : la famine se joignit aux désastres de la guerre. Le contrôleur général Desmarets, dans ces circonstances difficiles, forma une commission des principaux magistrats, et y appela d’Aguesseau, qui en devint bientôt l’âme par ses lumières et son dévouement. Il anima tout par son exemple ; il découvrit des accaparements et fit punir les coupables ; il rétablit la circulation, et dissipa les inquiétudes et les défiances. Depuis ce temps, d’Aguesseau fut souvent consulté sur les matières les plus difficiles de l’administration, et chargé de rédiger différents mémoires pour le roi. Sur la fin du règne de Louis XIV, d’Aguesseau parut menacé d’une disgrâce absolue, à cause de sa résistance à l’enregistrement de la trop fameuse bulle Unigenitus. Ce fut à cette occasion que sa femme, en le voyant partir pour Versailles, lui dit : « Allez, oubliez, devant le roi, femme et enfants ; perdez tout, hors l’honneur. » D’Aguesseau, sans juger le fond de la doctrine condamnée par cette bulle, avait vu dans sa forme et dans plusieurs de ses dispositions une atteinte aux droits de la monarchie, qu’il osait défendre contre le monarque lui-même. C’est ce qu’il exprima d’une manière énergique dans sa réponse au nonce Quirini, qui lui disait un jour à Fresnes, où il était venu le visiter : « C’est ici que l’on forge des armes contre Rome ? — Non, monsieur, reprit vivement d’Aguesseau ; ce ne sont point des armes, ce sont des boucliers. » (Voy ; l’Hist. chr. du président Hénault.) Louis XIV mourut, et d’Aguesseau continua de jouir, sous la régence, de tout le crédit que méritaient ses vertus. Il succéda au chancelier Voisin en 1717 ; mais un an ne s’était pas encore écoulé depuis sa nomination, lorsque le régent lui retira les sceaux, et l’envoya en exil, pour s’être oppose à l’établissement de la banque royale, et à tous ces dangereux projets connus sous le nom de système de Law. Cette effrayante émission de billets, dont la valeur ne reposait que sur une hypothèque imaginaire, révolta le sentiment profond d’équité que le chancelier portait dans l’administration ; il combattit de toutes ses forces pour faire triompher la raison et la bonne foi ; mais l’intrigue et l’amour de

  1. Le chancelier signait Daguesseau, sans apostrophe, dans ses lettres familières qui n’ont été imprimées qu’en 1823, par les soins de M. Rives directeur des affaires criminelles et des grâces au département de la justice. Il les tenait de M. le comte de Ségua pair de France, et propriétaire, par sa femme, de ce précieux dépot.