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scandale et murmures dans le peuple, qui souffrait de la guerre et de la disette, à la vue de ces vêtements « si superbes, que la reine ne paraissoit rien auprès d’Agnès. » Du reste, comme toutes les femmes de princes de ce temps-là, comme la duchesse de Bourgogne entre mille autres, la reine, délaissée par son mari, souffrait qu’il eut des maîtresses, et quand elle connut cette passion, elle sut gré à la demoiselle de Fromenteau de ce qu’elle n’usait de son pouvoir que pour le bien de la cour et l’honneur du roi ; elle lui tint compte de ses bons sentiments et de son esprit. — Agnès semble s’être prêtée en 1432 et 33 aux projets des ennemis du ministre Georges de la Trémoille ; et il est très-vraisemblable qu’elle ne fut point étrangère à l’indifférence que témoigna Charles VII pour l’arrestation et l’exil de son favori. La demoiselle de Fromenteau usa encore avec succès de son influence dans une circonstance autrement grave. Brantôme rapporte qu’elle dit un jour au roi « que lorsqu’elle estoit encore jeune fille, un astrologue lui avoit prédit qu’elle seroit aimée et servie de l’un des plus vaillants et courageux roys de la chrestienté : que quand le roy lui fist cet honneur de l’aimer, elle pensoit que ce fust ce roy valeureux qui lui avoit été predit, mais que le voyant si mol avec si peu de soin de ses affaires, elle voyoit bien qu’elle estoit trompée, et que ce roy si courageux n’estoit pas luy, mais le roy d’Angleterre qui faisoit de si belles armes et lui prenoit tant de belles villes à sa barbe ; dont, dit-elle au roy, je m’en vais le trouver ; car c’est lui duquel entendit l’astrologue. — Ces paroles piquèrent si fort le cœur du roy, ajoute Brantôme, qu’il se mit à plorer et de la en avant prenant courage, et quittant la chasse et ses jardins, prit le frein aux dents ; si bien que par son bonheur et sa vaillance il chassa les Anglois de son royaume. » Les faits consignés dans cette historiette sont évidemment controuvés. Henri VI, rival de Charles VII, ne montra ni courage ni talents : il prêta son nom au règne de Bedfort : voilà toute sa gloire. Le roi d’Angleterre, « qui faisoit de si belles armes et prenoit tant de belles villes à la barbe du roi de France, » ne pouvait être que Henri V mort en août 1422, avant même l’avènement de Charles VII. Pourtant, un fait résulte de cette anecdote, dans l’hypothèse même où elle ne serait point authentique : c’est qu’à l’époque où Brantôme écrivait, on croyait a l’intervention d’Agnès dans le changement subit de l’esprit du roi. Tel était aussi le sentiment de Baïf. Suivant ce poëte, Agnès aurait sauvé la France. Il raconte que, désignée par l’injustice et la malveillance du peuple, comme la cause de la mollesse et de l’inertie du roi, elle conçut une généreuse indignation, alla le trouver et lui rappela énergiquement ses devoirs

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Doncques, sire, armez-vous, armez vos gens de guerre,
Delivrez vos subjects, chassez de votre terre
Votre vieil ennemi. ..........
Si l’honneur ne vous peut de l’amour divertir,
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Vous puisse au ùoins l’amour de l’honneur avertir
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Et aussitôt le roi de prendre la cuirasse et l’épée pour ne les plus quitter avant l’expulsion des Anglais. Enfin la même opinion était répandue à la cour de François Ier ; car on sait que se trouvant un jour chez Arthus Gouffier de Boissi, comte d’Étampes, autrefois son gouverneur, et feuilletant un portefeuille sur lequel la dame de Biossi avait dessiné le portrait de plusieurs personnes illustres, entre autres celui d’Agnès, il écrivit au bas ces vers :

Gentille Agnès, plus d’honneur tu mérite,

La cause étant de France recouvrer.
Que ce que peut dedans un cloitre ouvrer

Close nonnain ou bien dévot ermite.

Ces témoignages rassemblés démontrent, ce nous semble, qu’Agnès contribua puissamment à réveiller le courage du roi. Et en cela elle ne fit qu’obéir ai un sentiment que l’on rencontre chez toutes les femmes. « Elles bayssent naturellement les couards et les poltrons, dit Montluc, encore qu’ils soient bien peingnez, et aiment les hardis et courageux, pour laids et difformes qu’ils soient. » Brantôme dit également : « Il ne fut jamais que les belles et honnestes dames n’aimassent les gens braves et vaillants, encore que de leur nature elles soient poltrones et timides ; mais la vaillance a telle vertu à l’endroit d’elles, qu’elles l’aiment. » Au moyen âge les chevaliers cherchaient-ils d’autre manière de plaire à leur dame que de briser une lance dans un tournoi ou sur un champ de bataille ? Et suivant les fictions de l’antiquité païenne, Vénus n’a-t-elle pas porté ses prédilections sur le dieu de la guerre, l’idéal du courage ? Comment donc Agnès, qui avait conservé une certaine noblesse de sentiments, n’eût-elle pas été jalouse aussi de l’honneur et de la vaillance de son amant ? Comment l’eût-elle laissé dans sa honteuse indifférence, si semblable à de la lâcheté ? ─ En l’année 1430, une révolution remarquable s’opéra dans l’âme de Charles VII, qui jusque-là n’avait montre qu’une coupable insouciance pour ses intérêts et ceux de son royaume. Désormais ce ne sera plus une simple velléité de courage, un éclair d’énergie qui s’éteindra après une victoire, comme à la prise de Montereau en 1437. Assurément le souvenir de Jeanne d’Arc, les conseils de la reine, cette princesse si résignée et si pieuse, les remords, le sentiment de l’honneur, l’exemple de tant de braves gentilshommes exposant chaque jour leur vie et se couvrant de gloire, les malheurs de la France et le silence des populations, durent seconder les efforts d’Agnès ; mais nous aimons à la garder comme une des causes les plus puissantes de ce triomphe, et elle a, sans aucun doute, mérite cet honneur. ─ Les succès du roi augmentèrent sa faveur à la cour. Il lui fit bâtir à Loches un château où elle se retirait souvent, et Dreux de Radier raconte que de son temps il y avait encore à Loches une vieille tour dans laquelle, disaient bonnement les paysans, le roi enfermait Agnès lorsqu’il allait à la chasse. Il lui donna aussi le comté de Penthièvre en Bretagne, les seigneuries de Roquecesière, d’Issoudun, de Vernon-sur-Seine, enfin le château de Beauté, qui avait appartenu à l’infor-