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moins potier, quoiqu’il portât le diadème, ce qu’Ausone a très-bien exprimé dans une pièce de vers dont voici la fin :

Rex ego qui sum

Sicaniœ, figulo sum genitore satus.
Fortunam reverenter habe quicumque repente

Dives ab exili progrediere loco.

Agathocles affectait aussi de se montrer aux assemblées publiques, seul et sans gardes. La, naturellement railleur et comédien, il contrefaisait avec tant de vérité les orateurs qui étaient auprès de lui, que le peuple en riait aux éclats, et oubliait sa tyrannie en faveur de sa popularité. L’opinion de Polybe est qu’Agathocles ne dut son élévation et ses succès qu’à ses grands talents et a sa valeur ; Timée prétend au contraire qu’ils furent uniquement l’ouvrage de la fortune ; mais cet historien a été réfuté en cela par Polybe, qui lui reproche sa partialité. Diodore de Sicile, qui nous a fait connaître Agathocles, loue l’exactitude de Timée dans les choses où il ne pouvait satisfaire sa malignité contre ce tyran, qui l’avait chassé de Sicile. Scipion l’Africain pensait comme Polybe à l’égard d’Agathocles. Consulté un jour sur les hommes célèbres qui avaient, à son avis, témoigné le plus de prudence dans l’arrangement de leurs desseins, et de hardiesse dans l’exécution, il désigne Denys l’Ancien et Agathocles. C’est évidemment de ce dernier que Scipion apprit que, pour vaincre Carthage, il fallait l’attaquer en Afrique. En répondant à Fabius, qui n’approuvait pas une entreprise si hardie, ce grand homme n’oublia point de citer l’exemple d’Agathocles ; mais la prudence, l’habileté et la valeur d’Agathocles n’en ont pas moins été effacées put ses perfidies et sa cruauté. La Vie d’Agathocles, publiée à Londres en 1661, et traduite en français par Bidons, Paris, 1752, in-8o, est une sorte de satire de la tyrannie de Cromwel. Agathocles a fourni à Voltaire le sujet de sa dernière tragédie. M. Philippon a publié un petit ouvrage intitulé : Agathocles et Monk, ou l’Art d’abattre et de relever les trônes, Orléans, 1797, in-18. B-p.


AGATHON (d’Athènes), l’un des premiers poëtes dramatiques du siècle de Périclès, partagea la faveur des Athéniens avec Euripide, dont il fut l’émule et l’ami. Jeune encore, il remporta le prix du concours tragique, et ce fut pour célébrer les succès de sa muse qu’il donna dans sa maison ce fameux banquet où se trouvèrent réunis Socrate, Alcibiade, Aristophane, Phèdre, et qui a fourni à Platon le sujet et le titre d’un de ses dialogues. La beauté d’Agathon était proverbiale chez les Grecs ; Socrate lui-même ne l’appelait que le bel Agathon. Aristophane confirme cet éloge, mais il lance en même temps les traits les plus sanglants contre ses mœurs efféminées et ses débauches. Dans les Thesmophories, les femmes, irritées des déclamations d’Euripide contre leur sexe, vont se réunir dans le temple de Cérès et Proserpine pour délibérer sur les moyens de perdre leur ennemi. Euripide, effrayé, prie Agathon de se déguiser en femme, de se glisser dans le thesmophorion, où son sexe ne court aucun risque d’être reconnu, et de prendre sa défense. Au moment où Agathon parait sur la scène, Mnésilochus l’apostrophe ainsi : « D’où vient cet efféminé ? quelle « est sa patrie ? son vêtement ? Que signifie cette vie « désordonnée ? cet instrument de musique avec cette « robe couleur de safran ? cette lyre avec ce réseau ? « cette fiole de gymnase avec cette ceinture ? Quel « étrange contraste ! comment allier une épée avec un « miroir ? Toi-même, jeune enfant, qui es-tu ? un « homme ? Mais où en est la preuve ? le manteau ? « l’épaisse chaussure ? Serais-tu femme ? alors où est « ta gorge ? Eh bien, tu te tais ? Au reste, si tu refuses « de le dire toi-même, ta voix te fait assez connaître. « — Mon costume, répond le poëte, est conforme aux « pensées qui m’occupent : un poëte doit prendre le « ton des sujets qu’il traite. Ses pièces roulent-elles « sur des femmes, sa personne doit reproduire leurs « habitudes et leurs mœurs. » Ses pièces ne nous sont pas parvenues ; il ne nous en reste que des titres et de courts fragments, conservés par Aristote et Athénée : nous ne savons si l’on doit beaucoup regretter cette perte. La poésie d’Agathon portait l’empreinte fidèle de son caractère ; tous les témoignages sont unanimes à cet égard. Avec lui le drame descend de cette hauteur idéale où l’avaient porté le génie de Sophocle et d’Eschyle ; la muse tragique, uniquement préoccupée du désir d’émouvoir et de flatter les sens, achève d’oublier ces accents mâles et graves, ce ton élevé et ferme, ces élans sublimes que lui inspiraient, dans sa jeunesse et dans sa virilité, la religion, le patriotisme et l’amour de la vertu. Au reste, cette dégradation de l’art était la conséquence inévitable de la dégradation des mœurs et des caractères : la génération sensuelle, corrompue, sceptique, polie, frivole et vaniteuse, qui avait, remplacé la génération héroïque représentée par Miltiade, Aristide et Thémistocle, avait, dans Euripide, dans Agathon, deux interprètes fidèles et agréables de ses mœurs, de ses sentiments et de ses idées. Les pièces d’Agathon devaient justifier l’accusation que Platon porte contre les poëtes tragiques, quand il dit « qu’ils livrent l’homme à l’empire des pas« sions ; » un l’amour sensuel et voluptueux en était le sujet ordinaire et principal : « Quelle douce et voluptueuse « mélodie, s’écrie Aristophane, plus tendre « et plus lascive que tous les baisers ! Tous mes « sens ont tressailli de plaisir. » Telles étaient les impressions que laissaient dans l’âme les vers de l’ami d’Euripide. Formé à l’école des sophistes, il prodiguait les maximes et les subtilités. Le discours que Platon lui met à la bouche, dans le Banquet, est rempli d’ornements apprêtés, d’antithèses et de jeux de mots. À l’exemple d’Euripide, il cherchait à engager l’art dans des voies nouvelles ; ce fut lui qui, le premier, choisit ses sujets en dehors des traditions mythologiques, et donna à ses personnages des noms imaginés. « Il existe, dit Aristote (Poétique, « liv. 7), des pièces où pas un mot n’est « connu, comme dans la tragédie d’Agathon qu’il « a appelée la Fleur, et elles ne laissent pas de faire « plaisir. » Plus loin, l’auteur de la Poétique lui reproche d’avoir manqué à la simplicité de l’action dramatique, en faisant de la tragédie un tissu