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protestants, des choses si extraordinaire, qu’elles paraitraient incroyables si elles n’étaient pas attestés par tout les historiens. Valence fut la première villa dont il s’empara. Lamothe-Gondrin, lieutenant de Guise, et qui était détesté des protestants, fut percé d’un coup de hallebarde ; on pendit son cadavre aux fenêtres. Des Adrets fut alors revêtu de toute l’autorité qu’avait auparavant Gottdrin ; et après avoir établi dans Valence, dont il fit sa place d’armes, la liberté de religion, il s’empara de Lyon, de Grenoble et de Vienne, avec une diligence incroyable. Nous nous abstiendrons de tracer le tableau des fureurs dont le fanatisme couvrit ces malheureuses contrées. Des Adrets ordonna l’abolition de la messe. Le prêche se tint à Grenoble, dans l’église des jacobins, convertie en temple. Le parlement et la chambre des comptes y allèrent en corps, ayant a leur tête le baron ; et la crainte que le souvenir de cet événement inspira fut telle, que, pendant une année, la messe ne se dit dans le bas Dauphiné qu’en secret, et par des prêtres déguisés. Orange, Montelimart, Pierrelatte, le Bourg, Boulène, etc., furent successivement le théâtre des exploits et des fureurs du baron Des Adrets. Rien ne lui résista, si ce n’est Montbrison, ou il se livra à une cruauté qui ternit tous ses succès. Ses troupes s’étaient emparées de la ville, et l’avaient inondée du sang des habitants ; il restait un fort ou s’étaient retirés ceux qui avaient échappé au carnage ; Des Adrets le prit, et fit couper la tête a une partie des soldats. On raconte qu’après le diner il fit monter les autres sur, une tour très-élevée, et qu’il forçait ces malheureux à se précipiter eux-mêmes en sa présence. Un soldat seul dut son salut a une repartie qui a été conservée. Cet infortuné prit deux fois son élan d’un bout de la plate-forme à l’autre, comme pour mieux sauter, et deux fois il s’arrêta au moment de se précipiter. « Allons donc, lui dit le baron, je n’ai pas de temps a perdre. Voici déjà deux fois que tu te reprends. ─ M. le baron, repartit le soldat, je vous le donne en dix. » Des Adrets, admirant la force d’esprit d’un homme qui pouvait plaisanter dans un danger si pressant, lui accorda sa grâce. Après ces cruelles expéditions, il revint a Lyon, où Soubise venait d’arriver en qualité de lieutenant du prince de Condé, à l’exclusion du baron. Ce fut le commencement de la décadence de son autorité. Il ne put dissimuler son mécontentement ; Soubise sut néanmoins ménager sa fierté, et il eut soin de l’adoucir et de l’exhorter à faire la guerre avec plus de modération, et à ne pas traiter si rigoureusement ceux qui se rendraient. Des Adrets s’excusa sur la manière dont les catholiques avaient traité la ville d’Orange ; et il prétendit que, pour relever le nom et la réputation des protestants, qu’on regardait comme un parti vil et abattu par les outrages, il avait fallu quelque action d’éclat et quelque châtiment capable d’inspirer de la terreur à ceux qui n’avaient eu jusqu’alors que du mépris pour eux. Malgré ces excuses, on l’accusa bientôt d’avoir compromis les intérêts des protestants par des lenteurs, et enfin de les avoir trahis. Ce fut dans ce temps que le duc de Nemours gagna deux combats sur le baron ; mais il n’osa s’engager a un troisième. Celui-ci, plus irrité qu’abattu, fit tête aux catholiques, et les obligea à quitter la campagne. Les troupes du duc de Nemours, épouvantées du nom seul de ce général, se retirèrent avec tant de précipitation, que leur marche avait l’air d’une fuite. Jugeant qu’il était plus sûr et plus expédient pour le service du roi de gagner des Adrets que de le combattre, le duc de Nemours entra en négociation. La circonstance était favorable : les désagréments qu’il éprouvait depuis quelque temps augmentaient chaque jour. Soupçonné par quelques-uns, haï de plusieurs, envié par les autres, on le craignait, on lui marquait de la défiance. Rebuté de servir un parti ingrat qui lui devait tous ses succès, mais, d’un autre côté, retenu par la considération de tout ce qu’il avait fait contre les catholiques, il flottait encore ; quelques lettres injurieuses que l’on surprit, et l’adresse de Nemours, achevèrent de le determiner. Il écrivit au duc qu’il n’était entré dans cette guerre que pour défendre et maintenir la liberté du roi et des protestants contre les violations des édite de Sa Majesté. Il ajouta que, si l’on voulait remettre le roi en liberté, et rendre justice aux protestants, il était prêt à renoncer au titre de gouverneur du Dauphiné qu’on lui avait donné. Durant les démarches qui précédèrent le traite de la pacification proposé aux états de la province par des Adrets, on cherchait, auprès du prince de Condé, à le rendre suspect de trahison. Il fut arrête a Romans, par Montbrun et Mouvans, ses anciens lieutenants. Son premier mouvement fut de porter la main sur son épée ; mais on ne lui donna pas le temps de se défendre : il fut saisi et retenu par ceux qui l’entouraient. Nemours fut très-fâché de cet événement, parce qu’il s’était flatte de s’emparer de la plupart des villes de la province par l’autorité du baron. On voulut d’abord lui faire son procès ; mais il récusa ses juges, « vendus, disait-il, à ses ennemis. » Tous les auteurs conviennent qu’il fut en grand danger pour sa vie. Dans les divers interrogatoires qu’il subit, il repoussa avec tant de fermeté tous les chef d’accusation, que, lorsque la paix survint, on n’avait point encore prononcé sur son sort. L’édit de pacification fut signé a Amboise le 19 mars 1563. Le prince de Condé, fait prisonnier à la bataille de Dreux, fut mis en liberté ; Des Adrets fut délivré, de son côté, par les protestants, sans absolution ni condamnation, dit Théodore de Bèze. Cet édit portait le pardon et l’oubli de tout le passé. Les calvinistes évacuèrent Orléans et Lyon, les deux seules grandes places qui restassent encore. « et dont la dernière, dit l’historien de la Ligue, pouvait être regardée comme la conquête de Des Adrets. » Le baron n’avait pas été neuf mois à la tête des protestants, et il avait fait des choses si extraordinaires, qu’on n’avait point d’exemple d’une telle activité ; son nom fut connu de toute la France. « Jamais homme, dit Le Laboureur, ne s’acquit tant de réputation en si peu de temps, et jamais grand capitaine n’en déchut plus tôt. » Si l’on veut en croire Brantôme, il devait pousser la fortune, et ne point abandonner un parti ou il s’était fait un si