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avec cet infidèle, fait marcher contre lui Yézyd, son lieutenant, qui met en fuite les Grecs et tue leur chef, Après cette victoire, Haroun longe le Sangaris à la tête d’une armée de 95,000 hommes, traverse la Bithynie, et pénètre jusqu’au Bosphore. Ses lieutenants n’obtinrent pas moins de succès. Lachanodracon, le plus habile général grec, fut battu, et trois armées arabes, prêtes à se réunir, menacèrent Constantinople. Irène députa auprès du vainqueur Staurace, Antoine, et Pierre, grand maître du palais. À peine ces trois officiers sont-ils arrivés au camp d’Haroun, qu’il les fait jeter en prison, sous prétexte qu’ils n’avaient point de lettres de sauvegarde. Irène, privée de ses conseillers, et livrée elle-même, se soumit à la loi du vainqueur, et s’engagea à payer un tribut annuel de 70,000 pièces d’or (environ un million), à faire pratiquer des chemins pour le retour de ses ennemis, et à leur indiquer leur route, par des colonnes élevées de distance en distance. Au retour de cette expédition, le calife, père d’Haroun, le déclara successeur du premier de ses fils nommé, Hady. (Voy. Hady) Ce calife mourut en 160 de l’hégire (785-6) ; et Haroun, loin de profiter pour usurper le trône de l’absence de son frère, occupé à faire la guerre en Djordjan, le proclama calife, et reçut en son nom le serment de fidélité des troupes. Le mérite éclatant d’Haroun, et la confiance dont l’avait honoré son père, excitèrent la jalousie de Hady. À cette jalousie se joignait un ressentiment particulier : Haroun avait reçu de son père mourrant un diamant d’une rare beauté, et le portait à son doigt. Hady, lorsqu’il fut calife, désira le posséder, et le fit demander a Haroun, un jour qu’il se promenait sur les bords du Tigre. Haroun refusa de donner ce gage précieux de la tendresse de son père ; et Hady ayant ordonné qu’on le lui prit par force, il le détacha de son doigt, et le jeta au milieu du fleuve. Ce trait de fermeté ne contribua pas peu à aigrir le calife contre son frère. Il tenta plusieurs fois de le priver de la succession au trône, et n’en fut empêché que par les conseils et l’ascendant de Yahya le barmécyde. Enfin, lassé de l’opposition que ce ministre mettait à ses desseins, et craignant de plus en plus son frère, il ordonna la mort de l’un et de l’autre. Cet ordre allait être exécuté, lorsque le calife mourut lui-même subitement. Cet événement sauva la vie à Haroun, et le mit en possession du trône, le 15 de rebyi 1er, 170 de l’hégire (14 septembre 786 de J.-C.). Dès qu’il y fut monté, il s’acquitta de la reconnaissance qu’il devait à Yahya, et en fit le second personnage de l’empire. Telle fut l’origine de la fortune rapide des Barmécydes. Les talents de ce ministre et les services de ses fils ne contribuèrent pas peu à la splendeur du règne d’Haroun. Ce prince possédait un des plus vastes empires qui aient jamais existé, mais cette étendue même était une source de guerres et de rébellions continuelles. Les provinces orientales étaient livrées aux incursions des peuples voisins ; à l’occident, la Grecs attaquaient sans relâche l’empire, déchiré au dedans par la faction des Alydes. (Voy. Ali.) Haroun s’opposa lui-même aux Grecs, tandis que ses lieutenants, et particulièrement Fadhl, fils de Yahya, soumirent les peuples rebelles par leurs victoires, ou par une sage administration. En 791, il désigna pour son successeur son fils âgé de 5 ans. Ce fut une démarche impolitique d’assurer la couronne à un prince dont il ne pouvait connaître la capacité et le peuple, qui la jugea telle, refusa de reconnaître Amyn, et ne donna son consentement que lorsqu’il y fut contraint. En 792, l’alyde Yahya, qui s’était sauvé dans le Déylem, fut reconnu pour iman par les habitants de cette province. Haroun envoya contre lui Fadhl, fils de Yahya, qui, par une adroite négociation, l’amena à des dispositions pacifiques. Yahya consentit même à se rendre à la cour du calife, s’il voulait lui donner des lettres de sauvegarde écrites de sa propre main et signées de ses principaux officiers. Haroun dissimula, délivra les lettres de sauvegarde, et lorsque Yahya fut à sa cour, il se saisit de sa personne et le fit mourir. Les écrivains orientaux n’ont point cherché à diminuer l’horreur de ce crime, et les poëtes osèrent même déplorer dans des élégies l’assassinat de Yahya, et couvrir de honte le prince des croyants. En 797, Haroun marcha sur Moussoul, et, irrité des rébellions fréquentes des habitants, il fit abattre les murs et les fortifications de cette ville. La même année il rentra dans l’Asie Mineure, enleva Sassaf aux Grecs, et revint chargé d’un riche butin. Il s’acquitta pompeusement du pèlerinage, en 802, et fit suspendre son testament a la Kaabah. Il y déclarait Amyn son successeur, et lui donnait la Syrie et l’Irac. Mamoun devait succéder à son frère Amyn, et avait pour apanage toute la partie orientale de l’empire. L’apanage de Motassem, son troisième fils, se composait du Djezyreh, des Tsaghour, de l’Awasim et de l’Arménie. Nicéphore, qui était monté sur le trône de Constantinople, après la chute d’Irène, écrivit à Haroun pour lui redemander les sommes que lui avait payées cette impératrice. Il ne lui laissait point d’alternative entre la restitution ou la guerre, et ses ambassadeurs présentèrent au calife un faisceau d’épées en signe des intentions de leur maître. Haroun écrivit pour toute réponse sur le dos de la lettre : « Haroun, commandeur des croyants, à Nicéphore, chien de Romain. Fils d’une mère infidèle, j’ai lu la lettre ; tu n’entendras pas ma réponse, tu la verras. » Et rompant en même temps le faisceau d’épées d’un coup de cimeterre : « Vous voyez, dit-il aux ambassadeurs, si les armes de votre maître peuvent résister aux miennes ; mais, eut-il mon cimeterre, il lui faudrait encore mon bras. » L’effet suivit de près la menace ; Haroun traverse une partie de l’Asie, assiège Héraclée, met tout à feu et à sang, et fait trembler le faible Nicéphore, qui s’offre de lui-même à payer un tribut annuel. Haroun accepta sa proposition et se retira : La rigueur de l’hiver qui suivit parut à Nicéphore une occasion favorable pour refuser de payer le tribut. Mais Haroun, bravant la pluie et le froid le plus rigoureux, traverse de nouveau l’Asie Mineure, et vient encore une fois près du Bosphore recevoir le tribut de Nicéphore. Plus avide d’argent que de