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non-seulement une versification élégante et harmonieuse, mais encore des descriptions animées et poétiques, des scènes touchantes, et une foule de sentiments nobles exprimés avec énergie. Le Caton fut censuré à Oxford, comme un ouvrage de parti ; mais il y trouva de chauds défenseurs. Peu de temps après sa publication, il fut traduit en italien par Salvini, et traduction fut représentée sur le théâtre de Florence ; d’un autre côté, les jésuites de St-Omer en donnèrent une traduction latine qu’ils firent jouer par leurs écoliers. Les pièces de vers qui furent composées dans le temps à l’honneur de Caton sont innombrables. Addison s’essaya aussi dans la comédie : il composa le Tambour, ou la Maison où il revient des esprits, joué en 1715. Il ne s’en fit pas connaître pour l’auteur, même à ses amis. Quoiqu’on trouve dans cette pièce beaucoup d’esprit, des scènes comiques et un caractère original bien tracé, la représentation n’eut aucun succès. L’imitation qu’en a faite Destouches, sous le titre du Tambour nocturne, a été mieux reçue sur notre théâtre, où elle est restée comme pièce de répertoire. Après la mort de la reine Anne, Addison fut porté, par les circonstances, à divers emplois publics. Il alla, pour la seconde fois, en Irlande, en qualité de secrétaire du vice-roi, le comte de Sunderland ; il fut fait ensuite lord du bureau du commerce ; enfin, en 1717, il se vit élevé à la place de secrétaire d’État. Dans l’année précédente, il avait épousé la comtesse douairière de Warwick ; mais ce mariage ne contribua pas plus à son bonheur, que son élévation au ministère n’ajouta à l’opinion qu’il avait donnée de son esprit et de ses talents. Il n’était parvenu qu’à force de temps et de soins à obtenir la main de la comtesse, femme vaine, qui croyait descendre de son rang en s’unissant à un homme sans titre et sans dignités. Elle consentit à l’épouser, dit Samuel Johnson, à peu près sur le même pied qu’une princesse du sang ottoman épouse un sujet turc ; le Grand Seigneur, en la mariant, lui dit : Fille, je te donne cet homme pour esclave. Quant à la place de secrétaire d’État, Addison ne tarda à faire remarquer son incapacité à en remplir les fonctions. Dans la chambre des communes, il se montra hors d’état de prononcer un discours, et, par conséquent, d’appuyer et de défendre les mesures du gouvernement. On a conservé l’anecdote suivante. Peu de temps après son entrée dans la chambre des communes, Addison se leva pour parler sur une question importante ; et, s’adressant à l’orateur, suivant l’usage, il dit : Monsieur, je conçois… Puis, voyant tous les yeux fixés sur lui, il se troubla, répéta trois fois, en bégayant, les mêmes mots ; enfin, ne pouvant trouver le fil de ses idées, il se rassit fort confus. Alors un membre tory, se levant, dit d’un ton très-grave : « Monsieur, les trois avortements dont nous venons d’être témoins, de la part d’un auteur connu par sa fécondité, prouvent évidemment la faiblesse de la cause qu’il voulait de fendre. » La figure des avortements excita dans la chambre un grand éclat de rire, qui contribua sans doute à dégoûter tout à fait Addison de l’ambition de se montrer comme orateur. Dans les détails de l’administration, il ne pouvait ni donner un ordre, ni écrire une lettre, sans perdre un temps précieux à soigner son style, a corriger ses phrases, et à rechercher une élégance, très-inutile en pareille circonstance. On pourrait citer son exemple comme une preuve de l’opinion accréditée par ces esprits routiniers, qui sont si vains d’une certaine aptitude aux détails de l’administration où se distinguent tant d’hommes médiocres, que les gens de lettres ne sont pas propres aux grandes affaires. Une foule d’exemples d’hommes d’État du plus grand mérite, et qui, en Angleterre même, joignent au talent des t’affaires ceux de la littérature, a prouvé le contraire ; et si Newton, Locke, Addison se sont montrés au-dessous des places qu’ils ont occupées, c’est que leur esprit ne pouvait, connue on l’a dit, s’abaisser à des détails trop peu dignes de fixer leur attention. En considérant Addison comme homme de lettres, il se présente sous différents aspects : il a publié un assez grand nombre d’ouvrages dans des genres très-divers ; dans aucun, il est vrai, il ne s’est élevé au degré de supériorité qui distingue les génies du premier ordre, mais dans tous il s’est placé fort au-dessus de la médiocrité, et dans quelques-uns il a montre une réunion l’esprit et de raison, de bon goût et de bonne plaisanterie, aussi rare que ce qu’on appelle le génie. Comme poëte, il a commencé par des poëmes latins fort admirés dans le temps, mais qu’on ne connait guère hors des Iles britanniques, où vraisemblablement ils sont même peu lus aujourd’hui. Il a composé en anglais un assez grand nombre de pièces de vers sur différents sujets, dont la plupart son des traductions ou imitations de Virgile, d’Horace et d’Ovide. Le plus considérable comme le plus célèbre de ses poëmes est celui qu’il a composé sur la bataille de Blenheim, et qu’il a intituél la Campagne (the Campaign). Il y a de grandes beautés dans cet ouvrage, mais plus encore d’enthousiasme patriotique que de verve poétique ; et la victoire qu’il a célébré a donné plus d’éclat au poëme qu’elle n’en a reçu. Addison est regardé par les gens de goût, en Angleterre, comme un poëte-ingénieux et sage, toujours élégant et harmonieux, mais jamais original ni sublime. On le place généralement au-dessous de Dryden et de Pope ; des critiques éclairés lui préfèrent même Gray et Cooper, qui sont venus après lui. Comme poëte tragique, il n’occupe qu’un rang très-inférieur. Sans parler de Shakspeare, à qui les Anglais ne comparent rien, les bonnes tragédies d’Otway, de Rowe, et beaucoup d’autres dont les auteurs sont moins célèbres, mais qu’on joue tous les jours avec succès, sont préférées avec raison au Caton, qui a des beautés supérieures, mais qu’on ne peut plus mettre au théâtre. « Dans cette tragédie d’un patriote et d’un philosophe, a dit Voltaire, le rôle de Caton me paraît surtout un des plus beaux personnages qui soient sur aucun théâtre. Il est bien triste que quelque chose de si beau ne soit pas une belle tragédie ; des scènes décousues qui laissent souvent le théâtre vide ; des aparté trop longs et sans art ; des amours froids et insipide ; une conspiration inutile à la pièce ;