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ADA

Adam s’attacha plus tard au comte d’Artois, Robert II, neveu de St. Louis, et, en 1282, il suivit à Naples ce seigneur, qui allait aider son oncle, Charles d’Anjou, a tirer vengeance des Vêpres siciliennes. La langue et la littérature françaises étaient à cette époque très-répandues en Italie ; nos fabliaux, nos romans, nos chansons et notre musique même y étaient fort goûttés ; aussi la personne et les vers du trouvère artésien furent-ils honorablement accueillis dans la capitale des Deux-Siciles. Ce fut alors qu’il composa, pour les divertissements de la cour de Naples, le Jeu de Robin et Marion, comédie pastorale qui fut représentée avec le plus grand succès. Adam mourut a Naples vers 1286 ou 1287. Les renseignements qui nous restent sur les dernières années de ce poëte se trouvent dans le Jeu du Pèlerin, prologue écrit à sa louange, et peu de temps après sa mort, par un trouvère d’Arras dont le nom est inconnu. Le personnage principal de cette petite pièce y fait le récit qu’on va lire :

… Je suis mont lassés ; esté ai à Luserne,
En terre de Labour, en Toscane, en Sezile ;
Par Puille m’en reving, où on tint maint concille
(où l’on s’entretient beaucoup)
D’un clerc net et soustieu (subtil) grascieus et nobile
Et le nomper du mont ; nes fu de ceste ville ;
(qui n’avait pas son pareil un monde)
Maistre Adam li bochus étoit chi apelés,
Et la Adam d’Aras…
…Chis clerc dont je vous conte
Ert (était) amés et prisles et honnerès dou conte
D’Artois ; si vous dirai mout bien de quel aconte :
(à quel propos)
Chieus maistre Adam savoit dis et chans controuver,
Et li quens ! (le comte) désirroit un tel home à trouver.
Quant acointies en fu, si li ala rouver (prier)
Que il feïst un dis pour son sens esprouver.
Maistre Adam, qui eu seut très bien à chief (bout) venir,
En fist un dont il doit mont très bien sousvenir,
Car blaus est a oïr et bons à retenir,
Li quens n’en vaurroit mie cine chens livres, tenir,
(ne le donnerait par pour cinq cents livres).
Or est mors maistre Adam ; Diex li fache merchi !
A se tombe ai esté ; dou Jhesu-Crist, merchi !
Li quens (comte) me le monstra, le soie grant merchi !
Quant jou i fui l’autre au.


Nous citerons encore les vers suivants, qui sont, pour ainsi dire, l’oraison funèbre du poëte, et ajouteront quelques traits à cette esquisse biographique :

…Maitre Adam, la clerc d’onneur,
Le joli, le largue donneur,
Qui ert de toutes vertus plains,
De tout le mont doit être plains ;
Car mainte bèle grâce avoit,
Et seur tous biau diter savoit,
Et s’estoit parfois en chanter.


Le nom d’Adam de la Halle se trouve, dans les origines de notre théâtre, avant les auteurs de mystères, de moralités et de sotties ; il appartient a cette période de l’histoire dramatique ou les laïques commencent à s’emparer des arts scéniques, exclusivement exercés jusque-la par le clergé, dans l’intérêt du culte chrétien. Ses Jeux ont agrandi le domaine de l’art, en introduisant pour la première fois sur la scène les sujets profanes et la langue nationale. Au reste, il ne faut considérer ces monuments primitifs que comme les ébauches d’un art encore dans l’enfance : ils n’offrent ni action suivie, ni intrigue, ni caractères savamment tracés : ce sont des scènes détachées, des dialogues sans suite, où l’un des personnages passe en revue les ridicules et les vices de ses compatriotes, qu’il désigne par leurs noms propres, comme dans l’ancienne comédie des Grecs. On rencontre toutefois, parmi ces bouffonneries, des traits d’un vrai comique, des saillies vives et fines et qui révèlent un véritable talent d’observation. Mais l’intérêt de ces essais dramatiques réside principalement dans la peinture naïve des mœurs du peuple et de la bourgeoisie au 13e siècle. La grossièreté de ces mœurs se trahit dans le langage licencieux des acteurs ; les noms de la Vierge, du pape et des saints se mêlent continuellement dans leur bouche aux propos les plus obscènes, à des plaisanteries dont s’effaroucheraient, de nos jours, les oreilles d’un auditoire de farceurs forains : la lecture du Jeu Adam ne permet pas le doute a cet égard. Le Jeu de Robin et Marion, la dernière et la meilleure pièce de l’auteur, se recommande par une action mieux conduite et plus intéressante, par des sentiments plus délicats et par une expression généralement plus décente ; on y sent partout, dans la pensée comme dans le style, l’influence d’une cour élégante et polie. Les chansons d’Adam soutiennent avantageusement la comparaison avec les chansons provençales ; elles ont plus de finesse et de variété ; le style en est facile et doux ; on y trouve de belles coupes lyriques, des pensées ingénieuses, des grâces naturelles, une mélancolie vraie et touchante. — Ce trouvère s’est encore exercé dans un genre plus élevé ; il a célébré en vers alexandrins la sagesse, la valeur et les hautes qualités de Charles d’Anjou, roi de Naples. Le poëme du Roi de Sicile s’arrête à l’arrivée du frère de St. Louis a Rome ; on y remarque des vers heureux, comme celui-ci, on l’auteur se plaint de la décadence des sentiments chevaleresques :

Nus n’aime par amors ; on le veut contrefaire.
(C’est du roi de Sézile.)


Adam de la Halle composait lui-même la musique de ses pièces et la notait suivant le système inventé par Gui d’Arezzo, au 11e siècle, et qui devint d’usage général au 13e. Il choisissait de préférence, comme les plus populaires, les modes usités dans les églises ; ses airs offrent des phrases assez chantantes, la mélodie en est facile et naïve, et plus rhythmique que le plain-chant ; mais, sous le rapport de l’harmonie, ils accusent un art encore dans l’enfance : les intervalles de quarte, de quinte et d’octave y dominent et se heurtent d’une façon désagréable a l’oreille. Ces compositions sont un curieux monument de